Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 18 avril 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer une attestation de demande d'asile, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français de deux ans.
Par un jugement n° 1903372 du 29 mai 2019, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er novembre 2019, M. B... E..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1903372 du 29 mai 2019 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Bas-Rhin du 18 avril 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin, dans le délai de trente jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour jusqu'à la notification de la décision, qui devra être prise selon la procédure normale, du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, subsidiairement, de réexaminer sa situation et de lui délivrer, pendant la durée de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- la décision portant refus de délivrance d'une attestation de demande d'asile est entachée d'une erreur de droit, dès lors que le préfet du Bas-Rhin n'a pas examiné la particularité de sa situation résultant de ce que sa nouvelle demande de réexamen fait suite aux persécutions dont il a été à nouveau victime dans son pays d'origine, après l'exécution de la mesure d'éloignement prise à son encontre ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision en litige est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français de deux ans est insuffisamment motivée ;
- la décision en litige est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 février 2020, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 septembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit ;
1. M. B... D... est un ressortissant géorgien, né le 19 janvier 1965. Il est entré régulièrement en France, le 24 août 2012, accompagné de son fils mineur, alors âgé de douze ans. Les 8 novembre 2012 et 9 août 2016, le requérant a présenté respectivement une demande d'asile et une première demande de réexamen, qui ont été toutes deux rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, les 13 août 2013 et 31 octobre 2017, puis par la Cour nationale du droit d'asile, les 3 mars 2014 et 6 juin 2018. En conséquence de ces refus, le requérant a fait l'objet de deux mesures d'éloignement les 3 avril 2014 et 7 avril 2016. Le 18 avril 2019, l'intéressé a sollicité un second réexamen de sa demande d'asile en faisant valoir que, à la suite de son retour en Géorgie, il aurait fait l'objet de nouvelles persécutions liées à son appartenance à la minorité ethnique ossète, qui l'ont contraint à revenir en France. Toutefois, par un arrêté du même jour, pris sur le fondement du 5° de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer une attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français de deux ans. M. D... a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 avril 2019. Il relève appel du jugement n° 1903372 du 29 mai 2019, qui rejette sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la décision portant refus de délivrance d'une attestation de demande d'asile :
2. Aux termes de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 743-1, sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, adoptée à Rome le 4 novembre 1950, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin et l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé lorsque : (...) 5° L'étranger présente une nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif d'une première demande de réexamen (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier, spécialement des motifs de l'arrêté du 18 avril 2019, que le préfet du Bas-Rhin, avant de prendre la décision en litige, a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. D... et a, notamment, vérifié si l'intéressé courrait, en cas de retour dans son pays, le risque d'être soumis à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite et alors que, au demeurant, les allégations de persécutions dont le requérant aurait été victime en Géorgie au mois de décembre 2018 ne sont pas établies par les pièces du dossier, le moyen tiré de l'erreur de droit ne peut être accueilli.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
4. En premier lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui "."Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale".
5. M. D... se prévaut de la durée de son séjour en France et de la présence sur le territoire français de son fils, devenu majeur, qui poursuit des études à Besançon sous couvert d'un récépissé de demande de carte de séjour valable jusqu'au 11 décembre 2019. Toutefois, il n'est pas établi que le requérant aurait déféré aux deux mesures d'éloignement prononcées à son encontre les 3 avril 2014 et 7 avril 2016. L'intéressé, qui vit à Strasbourg, ne démontre pas davantage, par la seule production d'une attestation de son fils, au demeurant peu circonstanciée, entretenir des liens étroits avec celui-ci. En dehors de ce fils, M. D... ne justifie pas d'attaches familiales ou même personnelles en France et ne produit aucun élément permettant d'apprécier son intégration dans la société française. Nonobstant le décès de ses parents et à supposer même qu'il serait séparé de son épouse, il n'établit être isolé en Géorgie, où il a vécu jusqu'à l'âge de quarante-sept ans et où il affirme être retourné récemment. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
6. En second lieu, eu égard aux circonstances qui viennent d'être analysées au paragraphe 5, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement sur la situation de l'intéressé.
En ce qui concerne la décision portant fixation du pays de destination :
7. Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
8. Si M. D... fait valoir qu'il a été victime d'une violente agression en décembre 2018, les photographies et les documents médicaux versés au dossier ne permettent pas de tenir pour établi que cette agression serait survenue en Géorgie, ni, à plus forte raison, qu'elle serait en lien avec son appartenance à la minorité ethnique ossète. Dans ces conditions, le requérant ne démontre pas qu'il risquerait d'être exposé, en cas de renvoi dans son pays d'origine, à des traitements prohibés par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite et alors d'ailleurs que la demande d'asile et la première demande de réexamen de l'intéressé ont été successivement rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d'asile, le moyen tiré de la méconnaissance desdites stipulations doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
9. En premier lieu, aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) / Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. / (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".
10. Pour justifier l'adoption d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée deux ans à l'encontre de M. D..., le préfet du Bas-Rhin a retenu que l'intéressé a déclaré qu'il est entré régulièrement en France il y a six ans et huit mois environ, qu'il a fait l'objet de deux mesures d'éloignement les 3 avril 2014 et 7 avril 2016, qu'il n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine et ne démontre pas l'intensité de ses liens avec la France. Dans ces conditions, le préfet, qui n'était pas tenu de préciser expressément que le requérant ne présentait pas une menace pour l'ordre public, a suffisamment motivé sa décision au regard des critères énoncés au III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation ne peut qu'être écarté.
11. En second lieu, M. D..., qui ne démontre pas avoir exécuté les deux mesures d'éloignement prononcées à son encontre et qui ne justifie pas de l'intensité de ses liens avec la France, n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Bas-Rhin aurait commis une erreur d'appréciation en lui opposant une interdiction de retour sur le territoire français de deux ans. Par suite, le moyen doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet du Bas-Rhin du 18 avril 2019. Par suite, il n'est pas davantage fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions à fin d'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent elles aussi être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Me C... pour M. B... D... en application des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
N° 19NC03139 2