Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile (SC) Sixtine a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prononcer la décharge du supplément d'impôt sur les sociétés et des pénalités qui lui ont été assignés au titre de l'année 2010 en ce qui concerne notamment les conséquences de la cession des parts sociales de la société Vermont.
Par un jugement n° 1701627 du 28 février 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n'a que partiellement fait droit à cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 mai 2019 la société SC Sixtine, représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 3 du jugement du 28 février 2019 par lequel le tribunal administratif a rejeté le surplus de sa demande ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce que le tribunal s'est fondé sur un mémoire de l'administration qui ne lui a pas été communiqué ;
- le prix des actions retenu lors des ventes D... et SC Axel est opposable à l'administration qui ne l'a jamais remis en cause et ces transactions constituent des comparables seuls à même d'établir la valeur des titres des sociétés non cotées s'agissant d'une cession minoritaire de titres d'une société marquée par un fort intuitu personae et en proie à des difficultés ;
- les cessions réalisées sont conformes à son intérêt compte tenu des contreparties qu'elle en a retirées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société SC Sixtine ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de Mme Haudier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par deux actes de vente du 23 février 2010, la SC Sixtine, ayant pour gérant et associé principal M. F... et dont les bénéfices sont imposables à l'impôt sur les sociétés, a cédé à MM. Eric et Gérard E..., respectivement 1 402 et 9 633 actions qu'elle détenait dans le capital de la SA Vermont au prix unitaire de 22,72 euros, représentant 19,94 % du capital de cette société. Estimant que le prix de cession de ces titres avait été sous-évalué, le service, à la suite d'une vérification de comptabilité et par une proposition de rectification du 18 décembre 2013, établie selon le procédure contradictoire, a arrêté la valeur vénale de chaque action à 99,50 euros et a réintégré dans le bénéfice imposable de la société le montant de la minoration estimée du prix de vente qu'il a ainsi déterminé. La société ayant refusé ce rehaussement, les impositions supplémentaires ont été mises en recouvrement le 27 octobre 2016 conformément à un avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du 16 juin 2016. L'administration fiscale ayant rejeté le 14 juin 2017 la réclamation préalable que la SC Sixtine avait formée le 22 décembre 2016 contre le supplément d'impôt sur les sociétés et les pénalités qui lui ont été assignés à la suite de cette procédure au titre de l'année 2010, la société a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant notamment à leur décharge. Par le jugement attaqué du 28 février 2019, dont la SC Sixtine relève appel, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, après avoir accordé satisfaction à la société en ce qui concerne un autre chef de litige, a rejeté le surplus cette demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort du dossier de première instance que le mémoire en défense de l'administration du 19 février 2018 s'est trouvé, en raison d'une erreur de transmission de la part du service, enregistré deux fois dans l'application télérecours, les 19 février et 14 décembre 2018. Par suite, en dépit de ce que le jugement attaqué a visé " deux mémoires en défense " de la directrice de contrôle fiscal Est, la SC Sixtine n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne aurait fondé sa décision, au mépris du contradictoire, sur un mémoire de l'administration qui ne lui aurait pas été communiqué.
Sur le bien-fondé des impositions :
3. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.
4. S'agissant de la cession d'un élément d'actif immobilisé, lorsque l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, soutient que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu'elle a retenue et que le contribuable n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause cette évaluation, elle doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l'acte de cession si le contribuable ne justifie pas que l'appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l'intérêt de l'entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu'elle en ait tiré une contrepartie.
5. La valeur vénale des titres non admis à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qui aurait résulté du jeu normal de l'offre et de la demande à la date à laquelle la cession est intervenue. Cette valeur doit être établie, en priorité, par référence à la valeur qui ressort de transactions portant, à la même époque, sur des titres de la société, dès lors que cette valeur ne résulte pas d'un prix de convenance. En l'absence de toute transaction ou de transaction équivalente, l'appréciation de la valeur vénale est faite en utilisant les méthodes d'évaluation qui permettent d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue.
6. Afin de déterminer la valeur vénale des actions de la SA Vermont à la date des ventes litigieuses l'administration, suivie par les premiers juges, s'est fondée non pas, comme le soutient à tort la société requérante, sur le prix des offres de rachat global ou partiel de ces titres que la société avait reçues antérieurement à la vente, mais sur une méthode d'évaluation ayant consisté à additionner la valeur mathématique, la survaleur (" goodwill ") et le double de la valeur de productivité et à diviser le résultat obtenu par quatre.
7. La société requérante, qui ne conteste pas les modalités de calcul retenues par l'administration, fait valoir qu'il existe des transactions comparables à celles qui sont en litige, à savoir, d'une part, la vente le 7 janvier 2008 par la société Axel de 7 550 actions de la SA Vermont, correspondant à 10,05% du capital de cette société, pour un prix unitaire de 30 euros et, d'autre part, la cession de 300 actions de la SA Vermont, effectuée le 23 février 2010 par M. D... au profit de MM. Eric et Gérard E... et de M. F... pour le même prix.
8. Cependant, la première cession dont la SC Sixtine se prévaut ne peut servir de terme de comparaison dès lors qu'elle est antérieure de deux ans à celles en litige et qu'il ne résulte pas de l'instruction que ces deux cessions aient été effectuées dans un contexte économique équivalent. S'agissant de la seconde cession, celle-ci est également dépourvue de caractère pertinent dès lors qu'elle ne portait que sur 300 actions, soit 0,4 % du capital de la SA Vermont. En outre, le 8 janvier 2009, soit un an après la première des deux cessions invoquées et un peu plus d'un an avant les ventes litigieuses, les actionnaires de la SA Vermont, parmi lesquels figure la société requérante, ont confié un mandat de recherche exclusive à la société à responsabilité limitée (SARL) GMBA Ingenierie, afin qu'elle trouve des acquéreurs pour les titres de la SA Vermont. Il ressort des stipulations de ce mandat que le prix de cession ne pouvait être inférieur, sauf à parfaire, à 7,5 millions d'euros, soit un prix unitaire de 99,85 euros. Il résulte également de l'instruction que le 29 décembre 2010, soit dix mois seulement après les cessions en litige, l'intégralité des parts de la SA Vermont a été vendue au prix de 108,50 euros par action. La circonstance que le tribunal de grande instance de Troyes a estimé, dans un jugement rendu le 17 mai 2019 à la demande de M. B... E..., qu'il existait des transactions comparables à celles en litige ne lie pas la cour dans son appréciation sur le point en litige. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a refusé de tenir compte des deux cessions invoquées comme éléments de référence par la SC Sixtine pour évaluer les titres de la SA Vermont.
9. La SC Sixtine, afin d'établir que les actionnaires de la SA Vermont se trouvaient dans la nécessité de céder leurs actions au prix stipulé dans les actes litigieux, soutient que la SAS Vermont, filiale à 100 % de la SA Vermont, en charge du projet " tube ", destiné à la commercialisation d'ampoules pour automobiles, était en situation d'échec, en raison notamment des difficultés qu'elle avait rencontrées pour trouver un site de production et s'approvisionner et des problèmes de santé de son dirigeant. La requérante soutient également que l'adoption par le Parlement de l'interdiction progressive de la vente des ampoules à incandescence, issue du " Grenelle de l'environnement ", et l'envolée du cours des matières premières ont également fragilisé la situation de la SA Vermont. Cependant, si la requérante s'appuie sur les comptes de l'exercice 2009 de la SAS Vermont, qui font état d'une perte de 113 878 euros, le rapport du président de la SAS Vermont à l'assemblée générale des actionnaires du 4 mai 2010 indiquait que la ligne de transformation " tubes " était devenue opérationnelle, qu'elle devait poursuivre sa montée en puissance et que les commandes du " client pilote " étaient confirmées pour 2010. Il ressort en outre des propres éléments produits à l'appui de la requête, et notamment d'une analyse effectuée par un expert-comptable, qu'un partenaire pour la fabrication des ampoules avait été trouvé par la SAS Vermont le 30 juillet 2010, qu'en septembre 2010 une production de 160 tonnes d'ampoules avait été engagée, que le chiffre d'affaires des ventes de l'année 2010 s'était élevé à un million d'euros environ, pour une production entamée en septembre de cette année, et que la trésorerie de la SAS Vermont avait augmenté d'un million d'euros par rapport à l'année précédente. Il ne résulte pas de l'instruction que l'interdiction progressive de la vente des ampoules à incandescence ait eu un impact négatif sur la situation financière de la SA Vermont. L'administration fait, enfin, valoir que les actionnaires de la SA Vermont ont refusé, un mois avant la cession en litige, une offre d'achat à 106,50 euros par action et que l'intégralité des parts de cette société a été vendue au prix de 108,50 euros par action le 29 décembre 2010, ainsi qu'il vient d'être dit. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme établissant que les actions de la SA Vermont pouvaient être évaluées à 99,50 euros par unité à la date du 23 février 2010 et, par suite, comme démontrant l'existence d'un écart significatif entre cette valeur et le prix de vente stipulé entre la SC Sixtine et MM. E....
10. Pour justifier l'existence de contreparties à cette opération, la SC Sixtine fait valoir que, compte tenu des compétences de M. B... E... et de sa connaissance approfondie de la SA Vermont, auprès de laquelle il était intervenu à divers titres depuis 1986, les sociétés Flodrine et Sixtine, en leur qualité de principales actionnaires de la SA Vermont, ont souhaité " fidéliser " l'intéressé en lui ouvrant le capital de cette société, afin qu'il participe au rétablissement de la situation de cette dernière. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction qu'il était de l'intérêt respectif de la SC Sixtine et de la SC Flodrine que M. E..., qui intervenait déjà en tant que consultant auprès de la SA Vermont dont il était déjà par ailleurs associé et membre du comité de direction, devienne associé de cette société à hauteur de plus de 30 % du capital au prix d'une sousévaluation importante du prix de cession des titres, alors, au demeurant, que, dans le même temps, d'autres offres à un prix proche de la valeur vénale retenue par l'administration étaient en discussion auprès d'autres acquéreurs. La contrepartie avancée par la société requérante n'apparaît, dès lors, pas justifier les conditions dans lesquelles la cession a été réalisée et l'avantage ainsi consenti aux cessionnaires. Il n'est par ailleurs pas démontré que, compte tenu de la situation particulière de la SA Vermont et de l'intérêt de retenir M. B... E... en tant qu'" homme clé ", la SC Sixtine se serait trouvée, au côté des autres actionnaires, dans la nécessité de procéder à la cession à un prix minoré des actions tant au profit de ce dernier que de son frère. Par suite, c'est à juste titre, en application des règles ci-dessus rappelées, que l'administration, qui contrairement à ce que soutient la société requérante n'était pas tenue de démontrer l'existence d'une intention libérale du cédant à l'égard du cessionnaire, a réintégré dans le bénéfice imposable de la SC Sixtine le montant de la libéralité correspondant à la sous-évaluation du prix des titres de la SA Vermont qu'elle a accordée aux cessionnaires lors des cessions intervenues le 23 février 2010.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 28 février 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté le surplus de sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SC SIXTINE est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SC SIXTINE et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
N° 19NC01345 2