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19/11/2020 | FRANCE | N°18NC01973

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 19 novembre 2020, 18NC01973


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme E... ont demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le centre hospitalier de Belfort-Montbéliard, devenu l'hôpital Nord Franche-Comté, à leur verser d'une part, en qualité de représentants légaux de leur fils C... E..., la somme de 550 000 euros à parfaire en réparation des préjudices subis du fait de la prise en charge fautive lors de sa naissance et d'autre part, en leur nom propre, une somme de 150 000 euros en réparation de leurs préjudices.

Par un jugement n° 15

00618 du 15 mai 2018, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leur demande.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme E... ont demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le centre hospitalier de Belfort-Montbéliard, devenu l'hôpital Nord Franche-Comté, à leur verser d'une part, en qualité de représentants légaux de leur fils C... E..., la somme de 550 000 euros à parfaire en réparation des préjudices subis du fait de la prise en charge fautive lors de sa naissance et d'autre part, en leur nom propre, une somme de 150 000 euros en réparation de leurs préjudices.

Par un jugement n° 1500618 du 15 mai 2018, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 juillet 2018 et un mémoire enregistré le 6 février 2020, M. C... E... représenté par ses parents et M. A... E... et Mme G... E..., ses parents, agissant en leur nom propre, représentés par Me B..., demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement du 15 mai 2018 ;

2°) de condamner le centre hospitalier à verser à C..., représenté par ses parents, une somme de 550 000 euros à parfaire en réparation des préjudices subis en raison de la prise en charge fautive de sa naissance ;

3°) de condamner le même centre hospitalier à verser à M. et Mme E... une somme de 150 000 euros à parfaire en réparation de leurs propres préjudices ;

4°) de mettre à la charge du même centre hospitalier le montant des frais d'expertise à hauteur de 1 570,12 euros ;

5°) de condamner le centre hospitalier à leur verser une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- des fautes dans l'organisation et le fonctionnement du service et des fautes médicales ont été commises dans la prise en charge tardive de l'accouchement de Mme E... dès lors que des troubles du rythme cardiaque foetal ont été constatés dès son admission ; la responsabilité du centre hospitalier doit dès lors être engagée ;

- c'est donc à tort que les premiers juges ont considéré la surveillance suffisamment attentive et le défaut de communication écrite avec le médecin n'ayant entraîné ni retard ni carence dans sa prise en charge ;

- contrairement à ce qu'ont admis les premiers juges, l'absence d'action lors de l'anomalie du rythme cardiaque foetal à 7h11 est constitutive d'une carence médicale et d'un retard préjudiciable à l'enfant ;

- contrairement à ce qu'ont admis les premiers juges, l'appel et l'intervention d'un médecin ne peuvent être considérés comme brefs et conformes aux règles de l'art ; le tribunal a commis une erreur ne constatant pas la faute ainsi commise ;

- les premiers juges n'ont pas relevé que les anomalies cardiaques se sont manifestées dès 5h du matin ;

- les premiers juges ont commis une erreur de droit dès lors que la responsabilité du centre hospitalier repose une présomption de faute ;

- le lien de causalité entre les préjudices subis par C... ses parents et les fautes commises est établi malgré les conclusions surprenantes du rapport d'expertise ; du fait de l'absence d'examen du PH du cordon lors de la naissance, les quatre critères pour établir le lien de causalité mentionnés par les experts ne peuvent être examinés ;

- C... subit des préjudices tant patrimoniaux que personnels ; ses parents souffrent d'un préjudice moral important et de préjudices patrimoniaux liés à la prise en charge du handicap de leur fils.

- le centre hospitalier a commis une faute en ne délivrant pas l'information prévue à l'article L. 1111-2 du code de la santé publique ; Mme E... n'a pas été informée des risques encourus par son enfant ;

- le suivi de grossesse n'a pas été réalisé dans les règles de l'art ;

Par des mémoires en défense, enregistrés le 7 janvier 2019 et le 3 février 2020, le centre hospitalier Nord Franche-Comté représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le régime de responsabilité est fondé sur la faute et non la présomption de faute ;

- les manquements fautifs allégués par les requérants résultent d'une lecture tronquée du rapport d'expertise ; ces derniers ne versent d'ailleurs aucun élément médical remettant en cause l'avis des experts ;

- aux termes de ce rapport il n'est pas établi l'existence d'un lien de causalité directe et certain entre les faits reprochés et les séquelles de C... E... ;

- les séquelles de C... sont apparues deux ans après sa naissance et les 4 critères cumulatifs essentiels pour déterminer l'anoxie-ischémique per partum ne sont pas réunis ;

- à titre subsidiaire une indemnisation globale serait à envisager dès lors que l'état de santé de C... n'est pas consolidé et est susceptible d'amélioration ;

- à titre infiniment subsidiaire les sommes demandées par les requérants sont excessives.

Un mémoire, tendant aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens, a été enregistré pour le centre hospitalier Nord Franche-Comté le 19 février 2020 et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme H..., présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,

- et les observations de Me D... pour l'Hôpital Nord Franche-Comté.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... a été accueillie au centre hospitalier de Belfort-Montbéliard, devenu le CH Nord Franche-Comté, le 16 août 2007, à 4 heures du matin, afin d'y accoucher de son deuxième enfant. Vers 7h du matin, une bradycardie foetale est apparue. Le médecin accoucheur, appelé par la sage-femme, a décidé de procéder à un accouchement par voie basse mais en recourant à une extraction instrumentale par ventouse. Immédiatement après sa naissance, l'enfant a été aspiré sous laryngoscope puis intubé à trois minutes de vie. Il a ensuite été dirigé vers le centre hospitalier universitaire de Besançon. Puis, devant l'évolution favorable de son état, il a pu regagner le domicile familial à huit jours de vie. A l'âge de deux ans, une hémiplégie, non visible à la naissance, a été diagnostiquée. Sur demande de ses parents, par une ordonnance en date du 26 juillet 2012, le président du tribunal administratif de Besançon a ordonné une expertise médicale confiée au Docteur Gilliot, gynécologue obstétricien, et au Docteur Issa Brunet, pédiatre, qui ont déposé leurs conclusions le 11 janvier 2013. M. A... E... et Mme G... E..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leur fils mineur, à la suite d'une décision de rejet du centre hospitalier du 16 février 2015 de leur réclamation préalable, ont demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le centre hospitalier Nord Franche-Comté à les indemniser des préjudices subis du fait des séquelles dont souffre C... à la suite de la carence et du retard imputables à ce centre dans la prise en charge de sa naissance. Par un jugement en date du 15 mai 2018, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leur demande. M. et Mme E... relèvent appel de ce jugement.

Sur la responsabilité :

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".

3. Il résulte de ces dispositions que, contrairement à ce que soutiennent les appelants, la responsabilité du centre hospitalier peut être recherchée sur le fondement de la faute et non pas de la présomption de faute.

En ce qui concerne le suivi de la grossesse et la prise en charge de la naissance de C... :

4. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise déposé le 11 janvier 2013 que C... a présenté en période néonatale une encéphalopathie de type hypoxie ischémique modérée.

5. S'agissant du suivi de la grossesse de Mme E..., si les experts ont relevé que la dernière visite avant l'accouchement avait été réalisée au centre hospitalier et qu'il manquait dans le dossier de la parturiente la mesure de la hauteur utérine et une évaluation du pronostic obstétrical, contrairement aux recommandations de la Haute autorité de santé en 2007, ils n'en ont induit aucune conséquence sur les conditions de la naissance de l'enfant.

6. S'agissant du suivi du travail et de l'accouchement, d'une part, les experts relèvent que le rythme cardiaque foetal ne pouvait être considéré comme normal à l'admission de Mme E... et nécessitait donc une surveillance particulière, y compris par une demande d'avis au médecin. Toutefois, contrairement à ce qu'il est soutenu par les appelants, la surveillance existait par un enregistrement continu du rythme cardiaque foetal et un passage régulier de la sage-femme comme le reconnaît Mme E... elle-même. La sage-femme a fait état de ralentissements variables du rythme cardiaque à 6h50 qui sont considérés comme minimes. Les altérations du tracé se sont accentués à 7h11 avec bradycardie à 7h23 et le médecin a été appelé à 7h33. L'extraction a été décidée en urgence à 7h43, permettant l'extériorisation de la tête foetale à 7h52 et la naissance à 7h53 après une manoeuvre de Mac Roberts en raison d'une dystocie des épaules. Il s'est ainsi écoulé 42 minutes entre le début des troubles et la naissance et 30 minutes entre le début de la bradycardie et la naissance. Les experts expliquent que, s'agissant d'un début de travail avec un tracé qui n'est pas considéré comme normal chez une patiente à terme, il est recommandé d'effectuer une surveillance par tracé continu et de s'assurer du début du travail et de son déroulement rapide. La patiente s'est effectivement mise en travail et la sage-femme a maintenu un enregistrement en continu du rythme cardiaque foetal. En revanche, elle n'a pas prévenu le médecin. Les experts indiquent toutefois que les caractéristiques du tracé de ce rythme cardiaque sans autre anomalie au cours du travail ne nécessitaient pas d'entreprendre d'autre manoeuvre. De plus, s'ils soulignent que le " suivi par l'équipe obstétricale montre un défaut d'anticipation, dans la mesure où l'obstétricien n'a pas été informé des anomalies du tracé avant 7h33 ", ils estiment que l'attitude obstétricale n'aurait pas été nécessairement différente, eu égard notamment au délai supplémentaire qu'aurait impliqué une césarienne. Les experts en concluent que " s'il peut y avoir un manquement aux règles de l'art au cours de l'accouchement, on ne peut affirmer que celui-ci est en cause dans le préjudice ".

7. De plus, ainsi que le relèvent les experts, il ressort des recommandations relatives aux modalités de surveillance foetale pendant le travail publiées par les sociétés savantes américaines en 2003 que l'imputabilité d'une encéphalopathie néonatale ou d'une paralysie cérébrale à une asphyxie per partum dépend de quatre critères essentiels, outre des critères non spécifiques. Un unique critère se retrouve pour C..., celui de la bradycardie prolongée, alors que, si certains examens, qui n'étaient pas nécessaires au regard de l'état de santé de l'enfant, n'ont pas été réalisés, l'échographie transfontanelle réalisée cinq jours après la naissance était normale, que les analyses de réanimation pédiatrique n'ont pas retrouvé d'atteinte multisystémique et que le score d'Apgar évalué 5 minutes après la naissance n'était pas dans les limites du dernier critère.

8. Il résulte de ce qui précède que, si des manquements aux règles de l'art ont été commis lors de la dernière visite de surveillance de la grossesse de Mme E... et dans le suivi du travail avant l'accouchement, le lien de causalité entre les troubles neurologiques dont souffre C..., apparus à l'âge de deux ans, et les conditions de sa naissance au centre hospitalier Nord Franche-Comté n'est pas établi.

En ce qui concerne le devoir d'information :

9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / (...) ".

10. La circonstance que l'accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas les médecins de l'obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu'il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du foetus ou à ses antécédents médicaux. En l'espèce, toutefois, ainsi qu'il a été précisé, la grossesse de Mme E... se déroulait sans difficulté et il n'avait été décelé aucune pathologie de la mère ou de l'enfant à naître ou d'antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d'accouchement par voie basse. Par ailleurs, comme l'indiquent les experts, il n'existait pas d'alternative entre accouchement par voie basse et accouchement par césarienne. En conséquence, d'une part, en l'absence de risques connus, aucune information sur de tels risques ne pouvait être délivrée à Mme E... avant l'accouchement et, d'autre part, l'urgence caractérisant tant l'extraction de l'enfant que son transfert a dispensé les médecins de lui donner des informations, dont ils ne disposaient au demeurant pas nécessairement au moment des actes médicaux. Il suit de là qu'aucune faute n'a été commise au titre du défaut d'information lors de l'accouchement de Mme E... et de la prise en charge de son fils par le Centre hospitalier Nord Franche-Comté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leurs demandes. Leurs conclusions tendant à ce que la cour condamne le centre hospitalier Nord Franche-Comté au paiement d'indemnités doivent de même être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du centre hospitalier Nord Franche-Comté sur ce fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme E... agissant en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux de leur fils mineur C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et Mme G... E..., au centre hospitalier Nord Franche-Comté et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Saône.

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N°18NC01973


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18NC01973
Date de la décision : 19/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. Existence d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public. Diagnostic.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Sophie GROSSRIEDER
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : SELARL DEVEVEY

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-11-19;18nc01973 ?
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