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07/12/2021 | FRANCE | N°19NC02666

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 07 décembre 2021, 19NC02666


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 novembre 2017 et 13 avril 2018, M. B... E..., Mme A... E... et Mme D... C... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de constater l'empiètement sur leurs parcelles de la piste cyclable construite par le département du Haut-Rhin, d'ordonner la démolition de l'ouvrage public dans un délai de six semaines à compter de la notification du jugement à venir sous astreinte de deux cents euros par jour de retard, d'ordonner la surveillance de l'exécuti

on des travaux par un expert judiciaire, et de condamner le département d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 novembre 2017 et 13 avril 2018, M. B... E..., Mme A... E... et Mme D... C... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de constater l'empiètement sur leurs parcelles de la piste cyclable construite par le département du Haut-Rhin, d'ordonner la démolition de l'ouvrage public dans un délai de six semaines à compter de la notification du jugement à venir sous astreinte de deux cents euros par jour de retard, d'ordonner la surveillance de l'exécution des travaux par un expert judiciaire, et de condamner le département du Haut-Rhin à leur verser la somme globale de 17 350,20 euros au titre des honoraires du géomètre-expert, des frais de l'expert privé d'assurances, du préjudice d'exploitation et du préjudice moral qu'ils estiment avoir subis, et enfin, de mettre à la charge du département du Haut-Rhin une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1705681 du 20 juin 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné le département du Haut-Rhin à verser à M. E..., Mme E... et Mme C... une somme de 2 598 euros, a mis à la charge du département du Haut-Rhin une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 août 2019 et 20 avril 2020, M. E..., Mme E... et Mme C..., représentés par Me Brunner, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 20 juin 2019 du tribunal administratif de Strasbourg, en ce qu'il a rejeté leur demande tendant à la démolition de la piste cyclable et n'a pas fait droit à l'intégralité de leur demande indemnitaire ;

2°) d'enjoindre au département du Haut-Rhin de démolir la piste cyclable et de reconstruire un nouvel espace respectant leur droit de propriété dans un délai de six semaines à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) d'ordonner la surveillance de la mise en conformité par un géomètre et de mettre à la charge du département du Haut-Rhin les frais engagés à ce titre ;

4°) d'ordonner la vérification des travaux par un expert judiciaire et de mettre à la charge du département du Haut-Rhin les frais engagés à ce titre ;

5°) de condamner le département du Haut-Rhin à leur verser une somme de 6 132 euros au titre de leur préjudice tiré de la perte d'exploitation ;

6°) de condamner le département du Haut-Rhin à leur verser une somme de 3 066 euros au titre de leur préjudice tiré de la perte de récolte ;

7°) de mettre à la charge du département du Haut-Rhin une somme de 620,20 euros au titre des frais de l'expert privé d'assurances ;

8°) de mettre à la charge du département du Haut-Rhin, d'une part, une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de la procédure de première instance, et d'autre part, une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de la procédure d'appel.

Ils soutiennent que :

- la régularisation appropriée de la situation de l'ouvrage par acquisition des parcelles n'est pas possible, dès lors que l'ouvrage ne permet pas d'assurer aux exploitants agricoles la desserte de leurs parcelles ;

- l'intérêt général ne peut prévaloir sur leurs intérêts privés, dès lors que la piste cyclable ne met pas en valeur le patrimoine naturel et rural et ne favorisera pas le tourisme, qu'elle est extrêmement peu fréquentée, qu'elle a moins d'intérêt que l'exploitation agricole et qu'elle ne permet pas le croisement d'un cycliste et d'un engin agricole ;

- le jugement attaqué retient, à tort qu'ils auraient systématiquement refusé d'étudier les propositions successives du département aux fins de règlement du différend ;

- ils ont subi un préjudice au titre des pertes d'exploitation résultant de l'inondation imputable à la déclivité de l'ouvrage, lequel est évalué à 6 132 euros ;

- ils ont subi un préjudice au titre des pertes d'exploitation résultant des surfaces non-cultivées en raison de leur intégration à l'itinéraire cyclable, lequel est évalué à 3 066 euros ;

- ils ont subi un préjudice moral, lequel devra être indemnisé à hauteur de 10 000 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 décembre 2019 et 1er décembre 2020, le département du Haut-Rhin, représenté par Me Eglie-Richters, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit solidairement mise à la charge de M. E..., Mme E... et Mme C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la régularisation appropriée de la situation est possible, dès lors que les démarches nécessaires pour acquérir par voie d'expropriation les emprises foncières ont été engagées ;

- il n'appartient pas au juge de procéder à la mise en balance des intérêts privés et publics pour apprécier l'opportunité de la démolition de l'ouvrage dans la mesure où une régularisation de la situation est possible ;

- les argumentations selon lesquelles l'acquisition des parcelles ne permettrait pas de régulariser la situation ne sont pas fondées ;

- les premiers juges n'ont entaché le jugement d'aucune erreur de fait en indiquant que plusieurs propositions d'indemnisation avaient été formulées par le département du Haut-Rhin et qu'elles avaient toutes été refusées par les intéressés ;

- les développements relatifs à l'utilité publique de la piste cyclable ne peuvent prospérer, dès lors qu'il n'appartient ni au juge administratif, ni aux intéressés, d'apprécier l'utilité publique du projet ;

- les frais exposés au titre de l'intervention d'un expert privé d'assurances ne sont pas justifiés ;

- les intéressés ne sont pas fondés à solliciter une indemnisation supérieure à 1 000 euros au titre des pertes d'exploitation ;

- les intéressés ne sont pas fondés à solliciter une indemnisation supérieure à 1 000 euros au titre de leur préjudice moral.

Un mémoire a été présenté par la collectivité européenne d'Alsace, venant au droit du département du Haut-Rhin, le 15 novembre 2021, postérieurement à la clôture de l'instruction. Il n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Picque, première conseillère,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Chocron, pour la collectivité européenne d'Alsace.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de sa politique de réalisation d'itinéraires cyclables, le département du Haut-Rhin, en qualité de maître d'ouvrage, a procédé en 2012 à l'aménagement d'une piste cyclable d'une longueur de quatre kilomètres reliant les communes de Bouxwiller et d'Oltingue. Cette piste cyclable jouxte des parcelles agricoles dont celles de M. E..., Mme E... et Mme C.... A l'issue de l'aménagement de la piste cyclable, un bornage a été réalisé, à la demande de ces derniers, au terme duquel il a été constaté que l'emprise de la piste cyclable empiète sur leurs parcelles cadastrées section 8 nos 9, 10, 11, 12, 13, 14 et 106. M. E..., Mme E... et Mme C... ont saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant, d'une part, à la condamnation du département du Haut-Rhin à effectuer la mise en conformité de la piste cyclable empiétant sur leurs parcelles par démolition pure et simple de l'ouvrage, et d'autre part, à l'indemnisation des préjudices qu'ils estiment avoir subis. Par un jugement n° 1705681 du 20 juin 2019, dont M. E..., Mme E... et Mme C... relèvent appel, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné le département du Haut-Rhin à leur verser une somme de 2 598 euros et a rejeté le surplus de leurs demandes.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la demande de démolition de l'ouvrage public irrégulièrement implanté :

2. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d'une part, les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

3. En l'espèce, il résulte de l'instruction, et en particulier du bornage effectué par le géomètre-expert le 2 janvier 2013, que la piste cyclable aménagée par le département du Haut-Rhin empiète irrégulièrement sur la propriété des requérants sur une longueur de 550 mètres et une largeur allant de 0,70 à 1,40 mètres. Toutefois, postérieurement au jugement attaqué, à la suite d'une enquête publique et de l'avis favorable du commissaire-enquêteur, le préfet du Haut-Rhin, par un arrêté du 3 juin 2020, a déclaré d'utilité publique le projet d'aménagement de l'itinéraire cyclable. Ainsi, une régularisation appropriée est possible par la voie de l'expropriation. Aucun des arguments avancés par les requérants, qui, notamment, ne peuvent pas utilement discuter de l'utilité publique du projet dans le cadre de la présente instance, n'est de nature à démontrer que la procédure d'expropriation de nature à régulariser l'emprise irrégulière ne serait pas susceptible d'aboutir. Par suite, et alors que les différents intérêts, publics et privés en présence n'ont pas, du fait de la régularisation possible, à être appréciés, les requérants ne sont pas fondés à demander la démolition de la piste cyclable en cause.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la demande, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté leur demande tendant à ce qu'il soit enjoint au département du Haut-Rhin de démolir la piste cyclable, ainsi, en tout état de cause, que celle tendant à ce que soient ordonnées, d'une part, la surveillance de la mise en conformité de l'ouvrage par un géomètre, et d'autre part, la vérification des travaux par un expert judiciaire.

En ce qui concerne les demandes indemnitaires :

5. La victime de l'emprise irrégulière d'un ouvrage public sur sa propriété ne saurait être assimilée au tiers voisin qui subit un dommage du fait de l'existence ou du fonctionnement d'un tel ouvrage, et n'a donc pas à justifier d'un préjudice anormal et spécial résultant de son implantation. Elle peut utilement rechercher la responsabilité du propriétaire de l'ouvrage eu égard à la faute qu'il a commise à raison de l'emprise irrégulière. En l'absence d'extinction du droit de propriété, la réparation des conséquences dommageables résultant de la décision d'édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée ne saurait donner lieu à une indemnité correspondant à la valeur vénale de la parcelle, mais uniquement à une indemnité moindre d'immobilisation, réparant le préjudice résultant de l'occupation irrégulière de cette parcelle et tenant compte de l'intérêt général qui justifie le maintien de cet ouvrage.

Quant aux pertes d'exploitation :

6. En premier lieu, si les requérants soutiennent subir un préjudice au titre de la perte d'exploitation en raison d'une prétendue inondation imputable à la déclivité de l'ouvrage, ils n'apportent aucun élément de nature à établir qu'une partie de leur culture aurait effectivement subi un phénomène de pourrissement.

7. En second lieu, afin de contester l'indemnisation, d'un montant de 1 000 euros, que les premiers juges leur ont accordé au titre de la perte d'exploitation résultant des surfaces non-cultivées en raison de leur intégration à l'itinéraire cyclable, les requérants font référence à un rapport d'expertise établi le 14 novembre 2013 évaluant les désordres financiers qu'ils ont subis à hauteur de 3 119,24 euros. Toutefois, il ressort de ce même rapport que le montant ainsi estimé prend en compte l'ensemble des préjudices subis par les intéressés ainsi que les frais de géomètre engagés. Dans ces conditions, M. E..., Mme E... et Mme C... n'apportent aucun élément nouveau de nature à justifier que le montant de leur indemnisation au titre des seules pertes d'exploitation doive être réévalué.

Quant au préjudice moral :

8. Il ne résulte pas de l'instruction que la somme de 1 000 euros allouée par les premiers juges au titre de l'indemnisation du préjudice moral soit sous-évaluée alors, au demeurant, que l'emprise irrégulière de la piste cyclable sur les parcelles des requérants n'a perduré qu'en raison du refus systématique de ces derniers d'accepter les propositions successives du département aux fins de règlement amiable du différend. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à solliciter la réévaluation de la somme de 1 000 euros qui leur a été accordée par les premiers juges au titre de leur préjudice moral.

Quant préjudice résultant des frais de l'expertise réalisée par l'assurance :

9. Si les requérants sollicitent la condamnation du département du Haut-Rhin à leur verser la somme de 620,20 euros à ce titre, ils ne produisent aucun élément de nature à établir que cette somme aurait été mise à leur charge.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. E..., Mme E... et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué ne leur a accordé qu'une somme de 2 598 euros au titre de leurs préjudices et des frais du géomètre-expert engagés.

Sur les frais de l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la collectivité européenne d'Alsace, venant au droit du département du Haut-Rhin, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont les requérants demandent le versement au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

12. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. E..., Mme E... et Mme C..., chacun, une somme de 500 euros à verser à la collectivité européenne d'Alsace sur le même fondement.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. E..., Mme E... et Mme C... est rejetée.

Article 2 : M. E..., Mme E... et Mme C... verseront à la collectivité européenne d'Alsace chacun une somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., Mme A... E..., Mme D... C... et à la collectivité européenne d'Alsace.

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N° 19NC02666


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC02666
Date de la décision : 07/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-04-04-01 Droits civils et individuels. - Droit de propriété. - Actes des autorités administratives concernant les biens privés. - Voie de fait et emprise irrégulière.


Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Anne-Sophie PICQUE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : BRUNNER

Origine de la décision
Date de l'import : 21/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-12-07;19nc02666 ?
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