Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. J... C..., Mme F... C..., M. E... C..., M. H... C..., Mme A... C... et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à leur verser une somme globale de 105 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du suicide de Mme I... C... à la maison d'arrêt de Mulhouse et de de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1706696 du 24 octobre 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 décembre 2019, sous le n° 19NC03671, M. J... C... et autres, représentés par Me Cereja, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 24 octobre 2019 ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser une somme globale de 105 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du suicide de Mme I... C... à la maison d'arrêt de Mulhouse, à raison de 65 000 euros au profit de M. J... et Mme F... C... et de 40 000 euros au profit de M. E... C..., M. H... C..., Mme A... C... et Mme B... C... ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'administration pénitentiaire a manqué de vigilance au regard de l'état mental de Mme G... C... et de ses tendances suicidaires manifestées en détention ;
- elle n'a pas exercé une surveillance adéquate de l'intéressée le jour de son suicide et a manqué à son obligation de sécurité en ne lui retirant pas ses draps à la suite de ses précédentes tentatives de suicide ;
- M. J... et Mme F... C..., parents de Mme G... C..., justifient d'un préjudice de 15 000 euros au titre des frais d'obsèques et frais divers liés au décès de leur fille, de 12 000 euros au titre des frais de rapatriement et d'un préjudice d'affectation de 50 000 euros ;
- ses frères et sœurs justifient d'un préjudice d'affectation de 10 000 euros chacun.
Par une ordonnance du 17 juin 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 juillet 2021.
Le garde des sceaux, ministre de la justice a produit un mémoire en défense le 10 décembre 2021, postérieurement à la clôture d'instruction, qui n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme G... C..., condamnée le 26 juillet 2013 pour des faits de violences sur une personne chargée de mission de service public suivie d'incapacité n'excédant pas 8 jours à une peine de 4 mois d'emprisonnement ainsi qu'à la révocation d'un sursis avec mise à l'épreuve de 3 mois, a été écrouée à la maison d'arrêt de Mulhouse à compter du 28 mai 2013. Libérable le 19 novembre 2013, elle s'est suicidée par pendaison au sein de sa cellule le 23 septembre 2013. M. J... et Mme F... C..., ses parents, et M. E... C..., M. H... C..., Mme A... C... et Mme B... C..., ses frères et sœurs, relèvent appel du jugement du 24 octobre 2019, par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser une somme de 105 000 euros en réparation des préjudices résultant du décès de Mme I... C...
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. La responsabilité de l'État en cas de préjudice matériel ou moral résultant du suicide d'un détenu peut être recherchée pour faute des services pénitentiaires en raison notamment d'un défaut de surveillance ou de vigilance. Une telle faute ne peut toutefois être retenue qu'à la condition qu'il résulte de l'instruction que l'administration n'a pas pris, compte tenu des informations dont elle disposait, en particulier sur les antécédents de l'intéressé, son comportement et son état de santé, les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre de sa part pour prévenir le suicide.
3. Il résulte de l'instruction que, dans le contexte de deux tentatives de suicide de Mme C..., survenues en détention les 14 et 21 septembre 2013, cette dernière a été placée dans une cellule en compagnie d'une codétenue. Le 23 septembre 2013, à 8 heures 30, une surveillante de la maison d'arrêt est venue chercher cette codétenue et l'a conduite à l'unité de consultation de soins ambulatoire en vue de l'administration d'un traitement. Au moment de la réintégration de cette codétenue dans la cellule à 8 heures 38, la surveillante pénitentiaire a découvert Mme C... inconsciente assise au sol, un drap noué autour du cou et accroché au barreau supérieur d'un lit superposé. Malgré les premiers soins immédiatement prodigués et les tentatives de réanimation pratiquées par les infirmières du service médical de 1'établissement, puis par les agents du service départemental d'incendie et de secours, le décès de Mme C... est intervenu à 9 heures 25.
4. Si la fiche individuelle de Mme C... mentionnait l'existence de tentatives de suicides antérieures à son incarcération ainsi que son état très anxieux et si Mme D... avait déjà tenté de se suicider en détention par pendaison le 14 septembre 2013 et par pendaison, associée à la prise d'eau de javel et de médicaments, le 21 septembre 2013, elle a fait l'objet, à la suite de chacune de ces tentatives, d'une hospitalisation et de plusieurs examens psychiatriques à la demande des autorités pénitentiaires. Il ressort des certificats médicaux établis à l'issue de ces hospitalisations et du rapport médico-légal de levée de corps du 23 septembre 2013 que Mme C... avait alors retrouvé un état meilleur, avec des critiques de son geste et une absence d'idées suicidaires, de symptomatologie dépressive ou de propos délirants. Les médecins ont, dans les deux cas, estimé son état de santé compatible avec son retour en détention. Le service médical de l'établissement, informé de l'état psychologique de l'intéressée, de ses difficultés d'adaptation à la détention et de ses antécédents, assurait son suivi régulier, sans que l'administration pénitentiaire, dont ce service était distinct, ait été alertée ou ait eu connaissance, comme le suggèrent les requérants, d'éventuels troubles bipolaires affectant Mm C... et susceptibles d'entraîner des changements subits de l'humeur ou du comportement. A compter du 16 septembre 2013, des rondes des personnels pénitentiaires toutes les trois heures de nuit et toutes les deux heures de jours, ainsi qu'une surveillance visuelle plusieurs fois par heure ont été mis en place, la codétenue de Mme C..., qui partageait sa cellule depuis le 20 septembre 2013, s'étant d'ailleurs plainte, lors de son audition, de ses difficultés à dormir liées à cette surveillance. Au moment de l'extraction de sa codétenue de la cellule au matin du 23 septembre 2013, Mme C..., à qui le personnel pénitentiaire avait, comme les jours précédents, délivré son traitement médicamenteux après l'avoir conduite, une heure plus tôt, à la douche, ne présentait aucun signe d'alerte et n'avait manifesté auprès des surveillantes pénitentiaires aucun comportement de nature à révéler un mal-être aigu ou le risque d'un comportement auto-agressif imminent. Il apparaît que si la codétenue de Mme C... a été absente durant une dizaine de minutes, Mme C... n'a elle-même été laissée seule dans sa cellule par les surveillantes pénitentiaires qu'entre 8 heures 35 et 8 heures 38.
5. Ainsi, compte tenu des informations dont elle disposait, notamment sur les antécédents de l'intéressée, du comportement de celle-ci, tel qu'observé à la suite de ses précédentes tentatives de suicide, des contraintes liées aux nécessités de la vie en détention, tant pour l'intéressée que pour sa codétenue, et en l'absence d'indices médicaux d'un possible passage à l'acte suicidaire imminent, l'administration pénitentiaire doit être regardée comme ayant pris, à travers le suivi médical régulier et la surveillance renforcée mis en place ainsi que le placement permanent de Mme C... dans une cellule avec une codétenue, les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre de sa part pour prévenir le suicide de l'intéressée. Ni la nature des mesures prises, ni la circonstance que Mme C... ait été laissée seule dans sa cellule pendant quelques minutes le 23 septembre 2013, ni le fait que ses draps aient été laissés à sa disposition, comme d'ailleurs tout objet avec lequel elle pouvait, le cas échéant, tenter de mettre fin à ses jours, ne peuvent, dans les circonstances de l'espèce, être regardés comme fautifs.
6. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
8. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par les requérants au titre des frais exposés par eux et non compris dans le dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. J... C... et autres est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. J... C..., Mme F... C..., M. E... C..., M. H... C..., Mme A... C..., Mme B... C... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
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N° 19NC03671