Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler l'arrêté du 12 mars 2021 par lequel le préfet du Haut-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière et lui a interdit le retour en France pendant un an, d'autre part, de suspendre la mesure d'éloignement prise à son encontre jusqu'à ce que la Cour nationale du droit d'asile ait statué sur son recours formé contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ayant rejeté sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2102126 du 7 mai 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 novembre 2021, Mme C... A..., représentée par Me Andreini, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2102126 du tribunal administratif de Strasbourg du 7 mai 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 12 mars 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, de réexaminer sa situation et, dans l'intervalle, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision en litige est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision portant fixation du pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision en litige méconnaît les stipulations des articles 2, 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
La requête a été régulièrement communiquée au préfet du Haut-Rhin, qui n'a pas produit de mémoire avant la clôture de l'instruction.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Une note en délibéré, produite par le préfet du Haut-Rhin, a été enregistrée le 15 juin 2022.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... A... est une ressortissante kosovare, née le 22 novembre 1996. Elle est entrée en France, le 10 novembre 2019, sous couvert de son passeport en cours de validité, revêtu d'un visa de court séjour d'une durée de six jours, délivré par les autorités consulaires tchèques à Skopje (Macédoine du Nord) et valable du 8 au 13 novembre 2019. L'arrêté ordonnant son transfert à destination de la République tchèque, pris par la préfète du Bas-Rhin le 17 janvier 2020, ayant été annulé par un jugement n° 20001019 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 27 février 2020 pour erreur manifeste d'appréciation en raison de l'importance de ses attaches familiales sur le territoire français, la demande d'asile de l'intéressée du 20 novembre 2019, examinée dans le cadre de la procédure accélérée, a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 28 octobre 2020, laquelle a été confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 6 avril 2021. Estimant, à la suite de la décision du 28 octobre 2020, que la requérante ne bénéficiait plus du droit de se maintenir sur le territoire français, conformément aux dispositions, alors en vigueur, du 7° de l'article L 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Haut-Rhin, par un arrêté du 12 mars 2021, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière et lui a interdit le retour en France pendant un an. Mme A... a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Elle relève appel du jugement du 7 mai 2021, qui rejette sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. Mme A... se prévaut de la présence régulière sur le territoire français, en qualité de réfugiés, de ses parents, d'une sœur et d'un frère, de sa grand-mère et de plusieurs oncles et tantes. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la requérante, qui, en raison de son état de majorité, n'a pu rejoindre son père dans le cadre de la procédure de réunification familiale au titre de l'asile, n'est arrivée en France que le 10 novembre 2019 à l'âge de
vingt-deux ans et n'y séjournait que depuis seize mois à la date de la décision en litige. Elle est célibataire, sans enfant à charge et ne justifie pas d'une intégration particulière en France. Elle n'est pas isolée dans son pays d'origine, où vivent notamment un oncle maternel, au domicile duquel elle était hébergée avant son départ du Kosovo, et une autre sœur, dont il n'est pas établi qu'elle aurait disparu à la suite d'une agression. Par suite, alors que les stipulations citées au point précédent ne garantissent pas à l'étranger le droit de choisir le lieu qu'il estime le plus approprié pour y développer une vie privée et familiale et que Mme A..., âgée de vingt-quatre ans à la date de la décision en litige, n'a pas vocation en tant que majeure à vivre avec ses parents, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations en cause doit être écarté.
4. En second lieu, pour les mêmes considérations que celles qui viennent d'être analysées au point précédent, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision en litige sur la situation personnelle de l'intéressée.
En ce qui concerne la décision portant fixation du pays de destination :
5. Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d'écarter les moyens tirés respectivement de ce que la décision en litige serait illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour, de ce qu'elle méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de ce qu'elle serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
6. Aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. / 2. La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire : a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ; b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue ; c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. ". Aux termes de l'article 3 de cette même convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
7. Si Mme A... fait valoir qu'elle serait exposée à des risques de mort et à des traitements inhumains et dégradants en raison de son appartenance à minorité ethnique des Ashkalis et de la relation d'une de ses tantes avec un gendarme serbe de février à août 2008, elle n'apporte aucun élément probant au soutien de ses allégations. Par suite, alors que, demeurant, sa demande d'asile a été rejetée successivement par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d'asile, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations en cause ne peut être accueilli.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
8. Aux termes du troisième paragraphe de l'article L. 511-1 du code de justice administrative, alors applicable : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) / Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. / (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / (...) ".
9. Il est constant que la décision en litige aura pour effet d'empêcher Mme A..., qui n'a jusqu'à présent fait l'objet d'aucune mesure d'éloignement et dont le comportement ne constitue pas une menace pour l'ordre public, de rendre visite pendant un an aux membres de sa famille vivant en France, notamment à ses parents et à une partie de sa fratrie, qui se sont vus reconnaître la qualité de réfugié. Par suite, alors que le préfet du Haut-Rhin n'était pas tenu de prendre une telle mesure d'interdiction, cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et doit, pour ce motif, être annulée.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à demander l'annulation de la décision du 12 mars 2021 portant interdiction de retour sur le territoire français pendant un an et à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en tant qu'elle était dirigée contre cette décision.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Le présent arrêt n'appelant aucune mesure d'exécution, les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme A... ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais de justice :
12. Mme A... ayant été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 novembre 2021, son conseil peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a donc lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Andreini, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution étatique à l'aide juridictionnelle, de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2102126 du tribunal administratif de Strasbourg du 7 mai 2021 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de Mme A... dirigées contre la décision du préfet du Haut-Rhin du 12 mars 2021 portant interdiction de retour sur le territoire français pendant un an.
Article 2 : L'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 12 mars 2021 est annulé en tant qu'il porte interdiction de retour sur le territoire français pendant un an à l'encontre de Mme A....
Article 3 : L'Etat versera à Me Adreini, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution étatique à l'aide juridictionnelle, la somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
Délibéré après l'audience du 14 juin 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Samson-Dye, présidente,
- M. Meisse, premier conseiller,
- Mme Rousseau, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2022.
Le rapporteur,
Signé : E. B...
La présidente,
Signé : A. SAMSON-DYE
Le greffier,
Signé : F. LORRAIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 21NC02900 2