Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Mader a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'office public de l'habitat Mulhouse Alsace Agglomération-Habitat à lui verser la somme de 477 201,99 euros avec intérêts et capitalisation.
Par un jugement n° 1804091 du 10 juillet 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'office public de l'habitat Mulhouse Alsace Agglomération-Habitat à verser à la société Mader la somme de 251 481,59 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 septembre 2020, la société Mader, représentée par Me Bergeron, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande ;
2°) de condamner l'office public de l'habitat (OPH) Mulhouse Alsace Agglomération-Habitat à lui verser une somme de 477 201,99 euros en principal avec intérêts de retard au taux de 8 % l'an, du 5 mai 2017 au 22 juin 2017 sur la somme de 163 934,52 euros, à compter du 23 juin 2017 sur la somme de 66 681,76 euros, à compter du 5 juillet 2017 sur la somme de 184 799,83 euros et à compter du 4 août 2017 sur la somme de 225 720,40 euros, avec capitalisation des intérêts, ainsi que le paiement d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement d'un montant de 40 euros ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner l'office public de l'habitat Mulhouse Alsace Agglomération-Habitat à lui verser une somme de 203 148,36 euros, avec intérêts au taux de 8 % à compter du 4 août 2017 et capitalisation des intérêts ;
4°) de mettre à la charge de l'office public de l'habitat Mulhouse Alsace Agglomération-Habitat une somme de 8 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le second virement devait être traité différemment du premier ; elle a droit, dans les deux hypothèses, au paiement des missions réalisées, alors même que l'établissement a déjà payé les montants correspondants en raison de l'escroquerie dont il a été victime ; l'office public de l'habitat a méconnu le contrat en procédant à un paiement sur un compte qui n'était pas celui mentionné dans le contrat ; elle n'a commis aucune faute ; à titre subsidiaire, un éventuel partage de responsabilité, qui ne saurait laisser à sa charge une part supérieure à 10 %, peut être envisagé ; l'office ne peut utilement soutenir qu'il ne saurait payer deux fois les mêmes montants ;
- elle a droit au paiement des intérêts moratoires, de 8 % par an, en vertu de l'article 5.1 du cahier des clauses administratives particulières du marché.
Par un mémoire enregistré le 16 novembre 2020, l'OPH Alsace Agglomération-Habitat (M2A Habitat), représenté par Me Wahl, conclut au rejet de la requête, à ce que le jugement soit annulé en tant qu'il l'a condamné au versement à la société Mader d'une somme de 251 481,60 euros, à ce que cette société soit condamnée au remboursement de cette somme ainsi que des intérêts payés sur cette somme, ou subsidiairement de retenir un partage de responsabilité, et à ce que le versement d'une somme de 5 000 euros soit mis à la charge de la société requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges l'ont condamné à payer l'intégralité du montant correspondant au premier virement détourné, relatif aux situations nos 1 et 2 ; il n'avait commis aucune faute ; le jugement est entaché de contradiction de motifs ; à supposer même qu'il ait commis une faute, elle n'est pas la cause exclusive de l'escroquerie, qui n'a pu intervenir qu'en raison des éléments apportés par la société Mader et il existe une cause exonératoire ; il y a lieu, à tout le moins, qu'une part prépondérante de responsabilité soit laissée à la société requérante ;
- c'est en revanche à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'aucune responsabilité ne pesait sur lui s'agissant du second virement, relatif à la situation n° 3, dès lors qu'il n'a commis aucune faute, alors que le titulaire du marché a omis de signaler ne pas avoir effectivement reçu le paiement correspondant au premier virement, en dépit de l'avis de virement qui lui avait été envoyé ;
- le jugement a été exécuté en principal et intérêts le 12 octobre 2020 ;
- c'est à juste titre que le jugement a assorti la condamnation des intérêts de retard au taux légal, et non des intérêts moratoires ; en revanche, il doit être réformé s'agissant du point de départ des intérêts, le délai de 30 jours imparti pour le paiement se décompte à compter de la réception par le maître d'ouvrage des factures ou demandes de paiement munies du bon à payer du maître d'œuvre ; l'enquête pénale était en cours dès septembre 2017, de sorte qu'aucun paiement ne pouvait intervenir ; si la cour devait estimer qu'il y a lieu à intérêts moratoires concernant le premier virement, aucun intérêt n'est dû sur la somme de 97 252,76 euros, les intérêts sur la somme de 66 681,76 euros courent à compter du 16 juillet 2017 et ceux sur la somme de 184 799,83 euros à compter du 19 juillet 2017.
Par ordonnance du 25 août 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 septembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ;
- la loi n° 2013-100 du 28 janvier 2013 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation financière au droit de l'Union européenne en matière économique et financière ;
- le décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- et les observations de Me Walter, pour M2A Habitat.
Considérant ce qui suit :
1. Par un contrat conclu le 9 janvier 2017, l'office public de l'habitat (OPH) Mulhouse Habitat, devenu OPH Mulhouse Alsace Agglomération-Habitat (M2A Habitat), a confié à la société Mader le lot n° 1 " gros œuvre " d'un marché public ayant pour objet la construction du quartier des Coquelicots. Les 28 avril 2017, 31 mai 2017 et 30 juin 2017, la société Mader a émis trois factures de situation, pour un montant total de 574 454,75 euros TTC. Le 23 juin 2017, l'OPH lui a versé la somme de 97 252,76 euros TTC en règlement partiel de la facture du 28 avril 2017. Un individu se faisant passer pour un employé de la société Mader a contacté l'OPH et obtenu que celui-ci s'acquitte du paiement du solde des factures de situation nos 1 et 2, pour un montant de 251 481,59 euros, sur un compte bancaire domicilié en Pologne. L'OPH a ensuite refusé de payer à nouveau, entre les mains de son cocontractant, les montants en cause. La société Mader a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de le condamner à lui verser le solde de son marché, soit 477 201,99 euros. Par un jugement du 10 juillet 2020, le tribunal a condamné l'OPH à verser à la société Mader la somme de 251 481,59 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation. La société Mader relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses conclusions. Il est également contesté par l'OPH M2A Habitat par la voie de l'appel incident.
Sur le droit au paiement du solde du marché :
2. Il appartient à une personne publique de procéder au paiement des sommes dues en exécution d'un contrat public en application des stipulations contractuelles, ce qui implique, le cas échéant, dans le cas d'une fraude résidant dans l'usurpation de l'identité du cocontractant et ayant pour conséquence le détournement des paiements, que ces paiements soient renouvelés entre les mains du véritable créancier. L'OPH ne saurait utilement se prévaloir, pour contester le droit à paiement de son cocontractant sur un fondement contractuel, des manquements qu'aurait commis ce dernier, en communiquant lui-même des informations ayant permis l'aboutissement de la manœuvre frauduleuse. Cette circonstance ne fait toutefois pas obstacle à que la personne publique, si elle s'y croit fondée, recherche, outre la responsabilité de l'escroc, celle de son cocontractant, en raison des fautes qu'il aurait commises en contribuant à permettre l'infraction, afin d'être indemnisée de tout ou partie du préjudice qu'elle a subi en versant les sommes litigieuses dans d'autres mains.
3. Il résulte de ce qui précède, en l'absence de toute autre circonstance invoquée qui serait de nature à justifier une réfaction des sommes dues au titre de son contrat, que la société Mader a droit à l'intégralité des sommes qu'elle demande, correspondant au solde du marché, soit 477 201,99 euros TTC, sans qu'il soit besoin pour la cour de se prononcer sur l'autre fondement invoqué, tenant à une faute contractuelle. Elle est donc fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal n'a fait droit qu'à une partie de ses conclusions tendant au paiement du solde de son marché. Les conclusions d'appel incident de l'OPH, qui ne portaient que sur la contestation de son obligation de payer en application du contrat, sont par voie de conséquence rejetées.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
4. Aux termes de l'article 37 de la loi du 28 janvier 2013 : " Les sommes dues en principal par un pouvoir adjudicateur (...) en exécution d'un contrat ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public sont payées, en l'absence de délai prévu au contrat, dans un délai fixé par décret qui peut être différent selon les catégories de pouvoirs adjudicateurs. / Le délai de paiement prévu au contrat ne peut excéder le délai fixé par décret ". Selon l'article 37 de cette loi : " Le retard de paiement fait courir, de plein droit et sans autre formalité, des intérêts moratoires à compter du jour suivant l'expiration du délai de paiement ou l'échéance prévue au contrat. / Ces intérêts moratoires sont versés au créancier par le pouvoir adjudicateur ". Aux termes de l'article 1er du décret du 29 mars 2013 : " Le délai de paiement prévu au premier alinéa de l'article 37 de la loi du 28 janvier 2013 susvisée est fixé à : 1° Trente jours pour : (...) b) Les collectivités territoriales et les établissements publics locaux ; (...) ". L'article 2 de ce décret précise : " I. - Le délai de paiement court à compter de la date de réception de la demande de paiement par le pouvoir adjudicateur ou, si le contrat le prévoit, par le maître d'œuvre ou toute autre personne habilitée à cet effet. / Toutefois : / 1° Le délai de paiement court à compter de la date d'exécution des prestations, lorsque la date de réception de la demande de paiement est incertaine ou antérieure à cette date ; (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 1343-2 du code civil : " Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise ".
5. Pour l'application de ces dernières dispositions la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ;
6. L'article 5.1 du cahier des clauses administratives particulières du contrat en cause prévoit que les demandes de paiement doivent être adressées à l'office. En l'absence de précision sur la date de réception des demandes de paiement par le maître d'ouvrage, tout comme sur la date d'exécution des prestations, il y a lieu de prendre en compte comme point de départ du délai de paiement la date de chacune des demandes de paiement, majorée de deux jours. La société Mader a donc droit au paiement des intérêts moratoires calculés pour les situations 1, 2 et 3, respectivement à compter des 31 mai, 3 juillet et 2 août 2017, dates auxquelles expirait le délai de paiement de trente jours et au taux prévu par les dispositions du I de l'article 8 du décret du 29 mars 2013. S'agissant spécifiquement de la situation 1, les intérêts courent à partir du 31 mai 2017 jusqu'au 22 juin 2017 sur la somme de 163 934,52 euros, et continuent à courir sur la somme de 66 681,76 euros.
7. Les intérêts sur la somme de 66 681,76 euros due à compter du 31 mai 2017 étant échus et dus depuis plus d'une année, la société Mader est fondée à demander la capitalisation à la date à laquelle elle les a sollicités dans sa demande de première instance, soit à partir du 1er juillet 2018, puis à chaque échéance annuelle. Les intérêts ayant commencé à courir le 3 juillet 2017 et le 2 août 2017 ne seront, en revanche, capitalisés qu'à compter du 3 juillet 2018 et du 2 août 2018, puis à chaque échéance annuelle.
Sur l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement :
8. Aux termes de l'article 7 du décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique, applicable en l'espèce : " Lorsque les sommes dues en principal ne sont pas mises en paiement à l'échéance prévue au contrat ou à l'expiration du délai de paiement, le créancier a droit, sans qu'il ait à les demander, au versement des intérêts moratoires et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement prévus aux articles 39 et 40 de la loi du 28 janvier 2013 susvisée ". L'article 9 de ce décret précise : " Le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement est fixé à 40 euros ".
9. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la société Mader est fondée à demander le paiement de la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Mader, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la société M2A Habitat au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société requérante, sur le même fondement.
D E C I D E:
Article 1er : La somme que l'office public de l'habitat Mulhouse Alsace Agglomération-Habitat, venant aux droits de l'OPH Mulhouse Habitat, est condamné à verser à la société Mader est portée à la somme de 477 241,99 (477 201,99 + 40) euros.
Article 2 : La somme de 163 934,52 euros porte intérêts moratoires à compter du 31 mai 2017 jusqu'au 22 juin 2017. La somme de 66 681,76 euros continue à porter intérêts au-delà du 22 juin 2017. Les intérêts échus sur cette dernière somme à la date du 1er juillet 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : La somme de 184 799,83 euros porte intérêts moratoires à compter du 3 juillet 2017. Les intérêts échus à la date du 3 juillet 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : La somme de 225 720,40 euros porte intérêts moratoires à compter du 2 août 2017. Les intérêts échus à la date du 2 août 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 10 juillet 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société Mader et à l'office public de l'habitat M2A Habitat.
Délibéré après l'audience du 29 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,
- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,
- Mme Picque, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2022.
La rapporteure,
Signé : A. B...La présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : M. A...
La République mande et ordonne au préfet du Haut-Rhin, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
M. A...
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N°20NC02692