Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, par deux recours distincts, d'une part, d'annuler la décision du 4 mai 2017 portant rejet de son recours administratif préalable obligatoire contre la décision du 29 juin 2016 portant non-renouvellement de son contrat d'engagement et d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 600 000 euros en réparation de son entier préjudice, assortie des intérêts de droit à compter de sa réclamation indemnitaire formée le 17 septembre 2017 et reçue le 6 octobre 2017.
Le jugement de ces affaires a été attribué au tribunal administratif de Nancy, en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, par une ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat du 26 mars 2019.
Par un jugement nos 1723550, 1825080 du 21 janvier 2020, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 20 mars 2020 et le 8 novembre 2022, M. A..., représenté par Me Moumni, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 janvier 2020 du tribunal administratif de Nancy ;
2°) d'annuler la décision du 4 mai 2017 du ministre de la défense ;
3°) d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par la ministre des armées sur son recours administratif préalable obligatoire devant la commission des recours des militaires le 14 février 2018 à l'encontre de la décision du 22 décembre 2017 portant rejet de sa réclamation préalable indemnitaire formée le 17 septembre 2017 ;
4°) d'enjoindre à la ministre des armées, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir de lui proposer un contrat en vue de lui permettre de passer la qualification requise ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- son appel est recevable ;
- le jugement est irrégulier en ce que les premiers juges n'ont pas visé ni répondu au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qu'il avait développé en première instance dans sa demande contestant la décision du 4 mai 2017 ;
- la décision portant non renouvellement de son contrat d'engagement est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation :
. l'administration s'est contentée de lui refuser le renouvellement de son contrat au seul motif de l'absence de qualification de chef de bord alors qu'elle aurait dû tenir compte de sa situation particulière, de ses compétences et aptitudes professionnelles et de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé d'intégrer la formation et d'acquérir la qualification de " chef de bord " du fait de l'administration ;
. c'est à tort que l'administration a apprécié son aptitude ou sa manière de servir en vue de décider de son intégration à la formation de chef de bord alors qu'aucun texte ne le prévoit et que l'intégration à la formation constitue normalement une simple formalité ;
- la décision litigieuse du 4 mai 2017 est entachée d'une erreur de fait, le tribunal administratif s'est fondé sur des faits inexacts, sans utiliser ses pouvoirs d'instruction pour obtenir la communication des éléments nécessaires :
. si l'administration fait valoir que sa filière comptabiliserait 116 postes pour 151 personnels en activité, elle ne le démontre pas ;
. il a été privé d'un véritable contrôle juridictionnel car si l'administration se prévaut d'un contexte restreint et concurrentiel pour justifier le non-renouvellement de son contrat, elle ne justifie d'aucun chiffre ;
- la décision litigieuse est entachée d'une erreur de droit au regard de l'article 10 du décret n° 2008-39 du 12 septembre 2008 ; l'administration a définitivement arrêté sa situation dès le 29 juin 2016, soit plus d'un an avant la fin de son contrat prévu le 31 octobre 2017, alors que cet article précise que le ministre notifie son intention de renouveler ou non le contrat au moins six mois avant le terme ; elle l'a privé, de fait, dès le 29 juin 2016 de toute possibilité de satisfaire à la condition d'obtention de la qualification de " chef de bord " prévue au second semestre 2016 ;
- l'administration l'a volontairement empêché d'obtenir la qualification de chef de bord, de sorte qu'elle a méconnu son devoir de loyauté envers lui ;
- l'administration a créé une rupture d'égalité par rapport à d'autres agents en ne renouvelant pas son contrat pendant une durée d'un an, ce qui lui aurait permis d'acquérir la qualification de chef de bord ;
- l'administration a commis un détournement de procédure et de pouvoir, la décision attaquée a été prise au seul motif qu'il avait émis le souhait d'intégrer la gendarmerie nationale et constitue une sanction déguisée ;
- l'administration a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité, la première dans la gestion de sa carrière et plus particulièrement dans sa formation, la seconde en refusant de renouveler son contrat d'engagement ;
- il est fondé à solliciter une indemnisation pour l'ensemble des préjudices subis du fait de ces fautes et s'en rapporte à ses écritures de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le jugement n'est pas irrégulier ;
- c'est en raison de la réduction du nombre d'instructeurs et de l'indisponibilité du matériel que l'administration a été obligée de réduire le nombre de candidats pouvant suivre la formation " chef de bord " et que M. A... n'a pas pu suivre cette formation ;
- il n'a pas commis d'erreur de fait : la filière " hélicoptère de reconnaissance et d'attaque " à laquelle appartenait le requérant comptabilisait 116 postes pour 151 personnels en activité ;
- au regard du sureffectif de cette filière, M. A... ne présentait pas toutes les qualités et aptitudes pour les fonctions de chef de bord d'hélicoptère au regard des autres candidats ;
- il n'a pas commis d'erreur de droit ; le renouvellement du contrat de l'intéressé ne constituait pas un droit au regard de l'article L. 4132-6 du code de la défense ;
- le requérant ne disposant pas de la qualification de chef de bord, il était fondé à lui refuser le renouvellement de son contrat ;
- la décision portant non-renouvellement de son contrat d'engagement ne constitue pas une sanction déguisée et n'est pas entachée d'un détournement de pouvoir ;
- la décision litigieuse n'étant pas entachée d'illégalité, M. A... n'est pas fondé à solliciter une indemnisation ; il s'en rapporte également à ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le décret n° 2008-939 du 12 septembre 2008 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- et les observations de M. A..., requérant.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a été recruté, le 1er novembre 2007, en qualité de sous-officier sous contrat, puis en tant qu'officier sous contrat à compter du 1er avril 2011 pour une durée de six ans. Par une décision du 29 juin 2016, la ministre des armées a informé M. A... que son contrat, dont le terme était fixé au 31 octobre 2017, ne serait pas renouvelé. Le 8 septembre 2016, l'intéressé a saisi la commission des recours des militaires d'un recours administratif préalable obligatoire contre cette décision. Par une décision du 4 mai 2017, le recours préalable de M. A... a été rejeté, au motif que ce dernier n'avait pas obtenu la qualification de " chef de bord d'hélicoptère ". Le 17 septembre 2017, M. A... a formé une réclamation indemnitaire tendant à la réparation des préjudices découlant de la gestion de sa carrière et plus particulièrement du non-renouvellement de son contrat. Cette demande a été explicitement rejetée le 22 décembre 2017. Le 14 février 2018, l'intéressé a saisi la commission des recours des militaires d'un recours administratif préalable obligatoire contre cette décision. Ce recours a été implicitement rejeté. M. A... relève appel du jugement du 21 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes contestant le non-renouvellement de son contrat et le rejet de sa réclamation indemnitaire.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. M. A... soutenait notamment, devant le tribunal, que la décision de non-renouvellement de son contrat d'engagement était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Le tribunal administratif de Nancy ne s'est pas prononcé sur ce moyen, qui n'était pas inopérant. Par suite, le jugement du tribunal administratif de Nancy du 21 janvier 2020 est irrégulier et doit être annulé.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Nancy.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 4 mai 2017 :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 4132-6 du code de la défense : " Le militaire servant en vertu d'un contrat est recruté pour une durée déterminée. Le contrat est renouvelable. Il est souscrit au titre d'une force armée ou d'une formation rattachée. (...) ". Aux termes de l'article 10 du décret n° 2008-939 du 12 septembre 2008 : " Pour les contrats d'une durée égale ou supérieure à un an, le ministre de la défense, (...) notifie par écrit son intention de renouveler ou non le contrat au moins six mois avant le terme. (...) ". Le renouvellement du contrat d'un officier servant sous contrat ne constitue pas un droit pour son titulaire.
5. Il ressort des pièces du dossier que la décision du 4 mai 2017 portant non renouvellement du contrat d'engagement de M. A... est fondée sur le fait que celui-ci n'était pas titulaire de la qualification de " chef de bord d'hélicoptère " et que " l'absence d'une telle qualification avait des conséquences directes sur son employabilité ".
6. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
7. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre des armées doit être regardé comme ayant invoqué, dans ses écriture en défense de première instance ainsi que dans son mémoire en appel, qui ont été communiqués à l'intéressé, un nouveau motif. L'administration fait, en effet, valoir que le refus de renouveler le contrat d'engagement de M. A... est également fondé par la circonstance que l'armée entend réduire ses effectifs, notamment dans la filière à laquelle appartient l'intéressé, et ne conserve que les meilleurs profils correspondants à ses besoins, alors que M. A... ne présentait pas toutes les qualités et aptitudes pour les fonctions de chef de bord d'hélicoptère, qu'il avait vocation à exercer.
8. D'une part, si le requérant conteste les surnombres évoqués, de manière précise et circonstanciée par l'administration, il n'apporte aucun commencent de démonstration de nature à en contester le bien-fondé. D'autre part, il ressort des écritures du ministre des armées et des pièces du dossier, en particulier des évaluations professionnelles de M. A... de 2014, 2015 et 2016, que sa manière de servir demeurait à améliorer. Son évaluation de 2015 relève ainsi qu'il devait continuer ses efforts pour ne pas céder au " dilettantisme " et que s'il était plus rigoureux, il possèderait alors toutes les qualités pour se présenter sereinement aux épreuves de chefs de bord. Dès lors, le refus de renouvellement du contrat d'engagement de M. A... est justifié par sa manière de servir, sans que l'administration ait entaché son appréciation à cet égard d'une erreur manifeste. Dans ces conditions, ce nouveau motif invoqué par le ministre des armées en cours d'instance, lequel n'a privé le requérant d'aucune garantie procédurale, était de nature à fonder la décision litigieuse. L'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur ce seul motif. Par suite, le requérant ne peut utilement se prévaloir des moyens tirés de l'erreur de droit et de l'erreur de fait, contestant le bien-fondé du motif initialement retenu par l'administration.
9. En deuxième lieu, M. A... fait valoir que deux autres pilotes de sa cohorte ont vu leur contrat d'engagement renouvelé pour une durée d'un an afin de leur permettre d'acquérir la qualification de " chef de bord d'hélicoptère ". Toutefois, à supposer même cette circonstance établie, elle ne suffit à caractériser, par elle-même, l'existence d'une inégalité de traitement au détriment du requérant.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 10 du décret du 12 septembre 2008 relatif aux officiers sous contrats : " Pour les contrats d'une durée égale ou supérieure à un an, le ministre de la défense, ou le ministre de l'intérieur pour les officiers sous contrat de la gendarmerie nationale, notifie par écrit son intention de renouveler ou non le contrat au moins six mois avant le terme ".
11. Le requérant fait grief à l'administration d'avoir décidé dès le 29 juin 2016, plus d'un an avant le terme de son contrat fixé au 31 octobre 2017, de ne pas le renouveler. Toutefois, le délai séparant cette décision du terme du contrat ne méconnait pas les dispositions citées au point précédent, qui fixent uniquement un délai minimal de six mois. Le moyen tiré de l'erreur de droit au regard de ces dispositions citées au point précédent doit donc être écarté.
12. En quatrième lieu, il n'est pas établi que la décision de ne pas renouveler son engagement procède de l'intention de le sanctionner pour avoir voulu intégrer la gendarmerie nationale. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision litigieuse constitue une sanction déguisée, ni qu'elle est entachée d'un détournement de pouvoir ou de procédure.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 4 mai 2017 doivent être rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires :
14. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que la décision portant non-renouvellement du contrat d'engagement de M. A... n'est pas illégale. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le refus de renouveler son contrat est entaché d'une illégalité fautive pour rechercher la responsabilité de l'administration.
15. En second lieu, si M. A... fait également valoir que l'administration a commis une faute dans la gestion de sa carrière, en particulier s'agissant de sa formation, il ne démontre pas que de tels manquements, à les supposer même établis, auraient occasionné un préjudice distinct de celui résultant du refus de renouvellement de son contrat d'engagement.
16. Il résulte de ce qui précède que les conclusions indemnitaires présentées par M. A... doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
17. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions contestant le refus de renouveler le contrat d'engagement de M. A..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Dès lors, les conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes demandées par M. A... au titre des frais engagés par lui et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement nos 1723550, 1825080 du 21 janvier 2020 du tribunal administratif de Nancy est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. A... en première instance et le surplus des conclusions de sa requête d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Samson-Dye, présidente,
- Mme Roussaux, première conseillère,
- Mme Picque, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 juillet 2023.
La rapporteure,
Signé : S. RoussauxLa présidente,
Signé : A. Samson-Dye
La greffière,
Signé : M. B...
La République mande et ordonne au ministre des armées en qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
M. B...
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N° 20NC00763