Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler, d'une part, la décision implicite par laquelle la préfète du Bas-Rhin a refusé d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile et, d'autre part, la décision implicite portant prolongation du délai de transfert vers les autorités néerlandaises.
Par un jugement n° 2007045 du 5 octobre 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 août 2022, M. B..., représenté par Me Gaudron, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 5 octobre 2021 ;
2°) d'annuler ces décisions de prolongation du délai de transfert et de refus d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale ;
3°) d'annuler la décision implicite par laquelle la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui renouveler son attestation de demande d'asile ;
4°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une attestation de demande d'asile valable à compter du 3 juin 2020, sans délai et sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de ce que le refus implicite d'enregistrer sa demande d'asile était intervenu en méconnaissance de l'article 9-2 du règlement d'exécution de la Commission du 30 janvier 2014 ;
Sur la légalité du refus de renouveler son attestation de demande d'asile à compter du 2 juin 2020 :
- ce refus est entaché de défaut de motivation ;
- l'absence de remise d'une attestation de demande d'asile à compter du 2 juin 2020, alors qu'il disposait toujours d'un droit au maintien, est entachée d'erreur de droit au regard des dispositions des articles L. 521-7 et L. 573-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, compte tenu de sa situation de vulnérabilité.
Sur la légalité du refus d'enregistrer sa demande d'asile en " procédure normale " :
- la décision en litige est entachée d'un vice de procédure, en l'absence de preuve de ce que les autorités néerlandaises ont été informées avant le 19 août 2020 de la prolongation du délai de transfert, conformément aux dispositions de l'article 9-2 du règlement d'exécution de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- elle est entachée de défaut de motivation ;
- elle est entachée d'erreur de droit, dès lors qu'il ne pouvait pas être considéré comme étant en fuite ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 décembre 2022, la préfète du Bas-Rhin conclut au non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation.
Elle soutient que le transfert de M. B... n'ayant pu intervenir avant le 19 août 2021, il ne relève plus de la procédure Dublin.
Par une lettre du 1er août 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite de refus de renouvellement de son attestation de demande d'asile au-delà du 3 juin 2020, qui sont nouvelles en appel.
Par un mémoire, enregistré le 16 août 2023, des observations en réponse à ce moyen d'ordre public ont été présentées par la préfète du Bas-Rhin.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 13 juin 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brodier,
- les conclusions de Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant camerounais né en 1985, a sollicité l'asile le 2 janvier 2020 auprès des autorités françaises. Par un arrêté du 29 janvier 2020, le préfet du Bas-Rhin a prononcé son transfert aux autorités néerlandaises. Le recours introduit par l'intéressé contre cet arrêté a été rejeté par un jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 février 2020. Par des courriels adressés par son avocate les 24 août et 7 septembre 2020, M. B... doit être regardé comme ayant sollicité l'enregistrement de sa demande d'asile en procédure normale. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par la préfète du Bas-Rhin. M. B... relève appel du jugement du 5 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ainsi que de la décision portant prolongation du délai de son transfert aux autorités néerlandaises.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. En dépit de deux mesures d'instruction diligentées auprès de ses services, la préfète du Bas-Rhin n'a pas produit la preuve de la délivrance à M. B..., postérieurement à l'introduction de la requête d'appel, d'une attestation de demande d'asile en " procédure normale ". Dans ces conditions, l'exception de non-lieu à statuer opposée par la préfète ne peut qu'être écartée.
Sur la recevabilité des conclusions d'appel relatives au refus de renouvellement de l'attestation de demande d'asile :
3. Les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la préfète du Bas-Rhin a refusé de renouveler son attestation de demande d'asile qui avait expiré le 2 juin 2020, présentées directement devant la cour, sont irrecevables comme nouvelles en appel.
Sur la régularité du jugement :
4. Il ressort du jugement attaqué que, si les premiers juges ont visé le moyen tiré de ce que la décision implicite de rejet de la demande de M. B... tendant à la délivrance d'une attestation de demande d'asile en procédure normale était illégale, la préfète du Bas-Rhin ne justifiant pas avoir respecté son obligation, prévue à l'article 9-2 du règlement d'exécution de la Commission du 30 janvier 2014, d'informer les autorités néerlandaises de ce qu'elle n'avait pas pu procéder au transfert dans le délai normal de six mois, ils n'ont pas répondu à ce moyen qui n'était pas inopérant. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que le défaut de réponse à ce moyen entache d'irrégularité le jugement qui doit être annulé dans cette mesure.
5. Il y a lieu pour la cour de statuer, par la voie de l'évocation, immédiatement sur les conclusions de la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Strasbourg tendant à l'annulation de la décision lui refusant la délivrance d'une attestation de demande d'asile en " procédure normale ", et, par la voie de l'effet dévolutif, sur les autres conclusions à fin d'annulation présentées par le requérant.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de prolongation du délai de transfert :
6. Il ressort du jugement attaqué que les premiers juges ont accueilli la fin de non-recevoir opposée par la préfète du Bas-Rhin et tenant à l'irrecevabilité des conclusions à fin d'annulation de la décision de prolongation du délai de transfert au motif que cette décision a pour effet de maintenir en vigueur la décision de remise aux autorités de l'Etat responsable et non de faire naître une nouvelle décision de remise. Faute pour M. B... de contester devant la cour l'irrecevabilité opposée à ces conclusions de première instance, il n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif les a rejetées.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de refus d'enregistrement de sa demande d'asile en " procédure normale " :
7. Lorsqu'un demandeur d'asile fait l'objet d'une décision de transfert vers l'État membre responsable de l'examen de sa demande en application des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, la décision de transfert emporte celle refusant de faire application à son bénéfice des dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 et du paragraphe 1 de l'article 17 de ce règlement qui, respectivement, prévoient qu'il est " impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeur " et permettent à chaque Etat de " décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans [ce] règlement. ". L'article 29 de ce règlement prévoit que le transfert s'effectue dans un délai de six mois, qui peut être porté à dix-huit mois maximum si la personne concernée prend la fuite.
8. Lorsque, postérieurement à la décision ordonnant le transfert d'un demandeur d'asile dans l'Etat responsable de sa demande, l'intéressé demande à l'autorité compétente que sa demande d'asile soit instruite " en procédure normale ", il doit être regardé comme demandant à cette autorité de reconnaître la compétence de la France pour examiner sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de dépôt de cette demande lui permettant de suivre la procédure devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
9. Le refus opposé à une telle demande constitue une décision susceptible de recours. Les conclusions d'annulation dirigées contre cette décision sont toutefois irrecevables s'il apparaît, en l'absence de circonstances de fait ou de considérations de droit nouvelles, pertinentes et postérieures à la décision de transfert, que ce refus se borne à confirmer purement et simplement celui de faire application des dispositions mentionnées ci-dessus du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, en particulier de la clause dite " discrétionnaire " de l'article 17 de ce règlement, implicitement mais nécessairement inclus dans la décision de transfert. Une telle irrecevabilité doit, en particulier, être opposée à ces conclusions lorsque le demandeur soutient, sans l'établir, qu'ayant été considéré, à tort, comme étant en fuite pour l'application du paragraphe 2 de l'article 29 de ce règlement, le délai de transfert de six mois prévu au paragraphe 1 de cet article n'a pas été prolongé et que la décision de transfert ne peut plus, dès lors, être exécutée.
10. D'une part, il ressort des pièces du dossier qu'après avoir excusé, pour raison médicale, l'absence de M. B... lors de sa convocation du 24 juillet 2020, les services de la préfecture l'ont de nouveau convoqué pour le 29 juillet 2020. L'intéressé a alors adressé à la préfecture, par l'intermédiaire de son mandataire le jour même, un certificat médical de son médecin généraliste établi le 22 juillet 2020 indiquant qu'il présente des douleurs chroniques du membre inférieur droit avec une suspicion d'infection osseuse qui l'empêche de se déplacer normalement et pour laquelle des examens radiologiques et une consultation spécialisée auprès du service d'orthopédie et de traumatologie du CHU de Strasbourg sont prévus au cours du mois d'août 2020. Toutefois, dans les termes dans lesquels il est rédigé, ce certificat ne permet pas de justifier l'absence de présentation de M. B... en préfecture le 29 juillet 2020. Convoqué une troisième fois, pour le 31 juillet 2020, convocation dont il est établi qu'il l'a signée, il ne s'est pas présenté et n'a pas justifié son absence auprès des services de la préfecture. La préfète du Bas-Rhin a ainsi pu considérer qu'il était en fuite. La circonstance qu'il est resté hébergé au " Pradha Adoma " de Hoenheim et que l'administration connaissait son adresse est à cet égard sans incidence sur cette appréciation. D'autre part, la circonstance que M. B... ne bénéficie plus des conditions matérielles d'accueil depuis le mois de septembre 2020 ne caractérise pas une circonstance de fait nouvelle de nature à rendre recevable son recours contre le refus d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale. Par suite, ses conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la préfète du Bas-Rhin a refusé d'instruire sa demande d'asile en " procédure normale " sont irrecevables et la fin de non-recevoir opposée en ce sens par la préfète du Bas-Rhin doit être accueillie.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 5 octobre 2021 en tant qu'il a statué sur la demande d'annulation de la décision lui refusant la délivrance d'une attestation de demande d'asile en " procédure normale ". En revanche, le surplus des conclusions de sa requête doit être rejeté, en ce compris, dans les circonstances de l'espèce, les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 5 octobre 2021 est annulé en tant qu'il a statué sur la demande d'annulation de la décision refusant à M. B... la délivrance d'une attestation de demande d'asile en " procédure normale ".
Article 2 : La demande présentée par M. B... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la préfète du Bas-Rhin a refusé d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile et de la décision implicite portant prolongation du délai de transfert vers les autorités néerlandaises est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de sa requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à Me Gaudron et à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 1er septembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 septembre 2023.
La rapporteure,
Signé : H. Brodier Le président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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N° 22NC02157