Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 1er juillet 2022 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de 36 mois.
Par un jugement n° 2204336 du 7 juillet 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 octobre 2022, M. A..., représenté par Me Corsiglia, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 juillet 2022 ;
2°) d'annuler cet arrêté du 1er juillet 2022 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- il est entaché d'une omission de statuer sur les moyens dirigés contre l'interdiction de retour sur le territoire français ;
- il est entaché d'erreur de droit, le tribunal ayant assimilé le moyen tiré d'un défaut d'examen de la situation personnelle à un moyen tiré du défaut de motivation ;
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
- la décision en litige est entachée d'erreur d'appréciation au regard du 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la légalité du refus de délai de départ volontaire :
- la décision en litige est entachée d'erreur de droit, dès lors qu'il n'est pas établi que son comportement caractériserait une menace à l'ordre public ;
- elle est entachée de détournement de pouvoir ;
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
- elle méconnaît les dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :
- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui refusant un délai de départ volontaire ;
- elle est entachée d'erreur de droit, dès lors qu'il n'est pas établi que son comportement caractériserait une menace à l'ordre public ;
- des circonstances humanitaires font obstacle au prononcé de la décision en litige ;
- la décision en litige méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- sa durée est manifestement disproportionnée.
La procédure a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. A... été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 septembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Brodier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant géorgien né en 1982, serait entré sur le territoire français le 3 septembre 2021 selon ses indications. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 15 février 2022. Alors qu'il était écroué à la maison d'arrêt de Strasbourg à compter du 25 janvier 2022, la préfète du Bas-Rhin lui a notifié un arrêté du 1er juillet 2022 portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trente-six mois. M. A... relève appel du jugement du 7 juillet 2022 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a répondu à chacun des moyens soulevés par M. A... et dirigés, sans distinction, contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'omission à statuer sur les moyens soulevés contre l'interdiction de retour sur le territoire français ne peut qu'être écarté.
3. En deuxième lieu, il ressort également des termes du jugement attaqué qu'il a été répondu au moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de M. A.... En l'absence d'omission à statuer sur ce moyen, l'erreur de plume consistant à avoir conclu " par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté " n'entache le jugement attaqué d'aucune irrégularité. D'ailleurs, à supposer que la réponse à ce moyen soit entachée d'une erreur de droit, une telle erreur serait seulement susceptible de remettre en cause, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, le motif retenu par la première juge pour rejeter la demande d'annulation. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit dont serait entaché le jugement attaqué doit, en tout état de cause, être écarté.
Sur la légalité de l'arrêté en litige :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) ; 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ".
5. D'une part, la préfète du Bas-Rhin a fondé la mesure d'éloignement sur le 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en retenant que M. A... avait été condamné le 23 janvier 2018 à deux mois d'emprisonnement pour vol, puis le 11 janvier 2022 à deux mois d'emprisonnement pour vol dans un local d'habitation ou un lieu d'entrepôt pour récidive et enfin le 25 janvier 2022, en comparution immédiate, à trois mois d'emprisonnement pour des faits de même nature commis également en récidive. Compte tenu de la nature des faits pour lesquels il a été condamné et de leur répétition, et en l'absence de toute précision apportée par le requérant lui-même sur le contexte des vols qu'il a commis, la préfète du Bas-Rhin n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en considérant que le comportement de M. A... constituait une menace pour l'ordre public. D'autre part, il ressort de la décision en litige qu'elle est également fondée sur le 4° de l'article L. 611-1 précité et la circonstance que la demande d'asile de l'intéressé a été rejetée. Le requérant ne conteste pas cette base légale, qui suffit, au demeurant, à fonder la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. M. A... ne résidait, à la date de la décision en litige, que depuis dix mois sur le territoire français selon les indications relatives à sa dernière entrée. Il ne justifie d'aucune intégration dans la société française. La circonstance que sa mère, sa sœur et sa cousine résideraient en France n'est pas de nature à lui conférer un droit au séjour. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la mesure d'éloignement méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne le refus d'un délai de départ volontaire :
8. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) ; 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) ; 3° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ; (...) ; 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ".
9. En premier lieu, et ainsi qu'il a été dit au point 5 du présent arrêt, la préfète du Bas-Rhin pouvait, sans entacher sa décision d'erreur de droit, considérer que le comportement de M. A... constituait une menace pour l'ordre public justifiant qu'un délai de départ volontaire ne lui soit pas accordé.
10. En deuxième lieu, la circonstance que la décision en litige a été notifiée à M. A... le 4 juillet 2022, soit trois jours avant sa levée d'écrou et son placement en rétention, ce qui aurait selon lui fait obstacle à l'obtention d'une attestation d'hébergement, est postérieure à la date de la décision en litige et, dès lors, sans incidence sur la légalité de cette même décision. Par suite, le requérant, qui ne justifie au demeurant pas disposer d'une résidence effective et permanente ni, dès lors, présenter des garanties de représentation suffisantes, ne saurait utilement soutenir que la décision lui refusant un délai de départ volontaire est entachée de détournement de pouvoir.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
11. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
12. M. A... se borne à indiquer courir des risques pour sa vie et son intégrité en cas de retour dans son pays d'origine, sans apporter la moindre précision au soutien de cette allégation. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
13. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français serait illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui refusant un délai de départ volontaire.
14. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour ".
15. Si M. A... soutient courir des risques en cas de retour dans son pays d'origine, il ne produit aucun élément de nature à l'établir. Par suite, il n'est pas fondé à se prévaloir de circonstances humanitaires justifiant qu'une interdiction de retour sur le territoire français ne soit pas prononcée à son encontre.
16. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".
17. Pour fixer la durée de son interdiction de retour sur le territoire français à trois années, la préfète du Bas-Rhin a tenu compte de ce que M. A... se maintenait de manière irrégulière sur le territoire français, de l'absence d'intensité de ses liens avec la France et de ce que sa présence constituait une menace pour l'ordre public. Ainsi qu'il a été dit au point 5 du présent arrêt, la préfète du Bas-Rhin n'a pas entaché sa décision d'erreur de droit en retenant que le comportement du requérant constitue une menace pour l'ordre public.
18. En quatrième lieu, M. A... ne justifie pas, contrairement à ce qu'il allègue, disposer d'attaches familiales sur le territoire français. Compte tenu de la menace que son comportement constitue pour l'ordre public et alors même qu'il n'aurait pas déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement, il n'est pas fondé à soutenir que la préfète du Bas-Rhin aurait fait une inexacte application des dispositions précitées en fixant à 3 années la durée de son interdiction de retour sur le territoire français.
19. En dernier lieu, en l'absence de tout début de commencement de preuve de ce qu'il aurait des attaches familiales sur le territoire français, M. A... ne saurait sérieusement soutenir que la décision en litige porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
20. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er juillet 2022. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y comprises celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Corsiglia et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Agnel, président,
Mme Brodier, première conseillère,
Mme Mosser, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2023.
La rapporteure,
Signé : H. Brodier Le président,
Signé : M. Agnel
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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N° 22NC02601