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13/02/2024 | FRANCE | N°21NC01479

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 13 février 2024, 21NC01479


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SAS Librairie Rimbaud a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 11 septembre 2020 par laquelle le préfet des Ardennes a refusé le retrait ou l'abrogation de son arrêté n° AT00910518X0081 du 25 septembre 2018 accordant à la société civile Charleville une dérogation au titre de travaux de conformité aux règles d'accessibilité et des établissements recevant du public.



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nt n° 2002097 du 23 mars 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Librairie Rimbaud a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 11 septembre 2020 par laquelle le préfet des Ardennes a refusé le retrait ou l'abrogation de son arrêté n° AT00910518X0081 du 25 septembre 2018 accordant à la société civile Charleville une dérogation au titre de travaux de conformité aux règles d'accessibilité et des établissements recevant du public.

Par un jugement n° 2002097 du 23 mars 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande et a mis à la charge de la société Librairie Rimbaud une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 mai 2021, la société Librairie Rimbaud, représentée par Me Roffi, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 23 mars 2021 ;

2°) d'annuler la décision du 11 septembre 2020 prise par le préfet des Ardennes ;

3°) de prononcer le retrait ou l'abrogation de l'arrêté préfectoral du 25 septembre 2018 ou à défaut d'enjoindre au préfet des Ardennes de procéder à ce retrait ou à cette abrogation.

Elle soutient que :

- en application des articles L. 231-1 et D. 231-3 du code des relations entre le public et l'administration, sa demande de retrait ou d'abrogation a été réputée obtenue en application du principe du silence valant acceptation ;

- le préfet des Ardennes ne pouvait, sans commettre un excès de pouvoir, prendre une nouvelle décision à la suite d'un jugement qui n'avait prononcé aucune injonction ;

- le préfet des Ardennes a commis un excès de pouvoir en reprenant, sans les retraiter au regard de la définition exacte de la capacité d'autofinancement, les chiffres de la société Charleville ;

- le préfet des Ardennes pouvait uniquement accorder une prorogation des délais et non une dérogation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juillet 2022, la société civile Charleville, représentée par Me Chemouny, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Librairie Rimbaud le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'arrêté du 27 avril 2015 relatif aux conditions d'octroi d'une ou deux périodes supplémentaires et à la demande de prorogation des délais de dépôt et d'exécution pour les agendas d'accessibilité programmée pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denizot, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Librairie Rimbaud, qui est locataire des locaux situés à Charleville-Mézières, exploite un fonds de commerce de librairie-papeterie. La société Librairie Rimbaud a demandé à son bailleur, la société civile Charleville, de financer l'aménagement d'un ascenseur au titre de travaux de mise en conformité des locaux pour permettre l'accessibilité des personnes à mobilité réduite. Par un arrêté du 25 septembre 2018, le préfet des Ardennes a accordé à la société civile Charleville une dérogation à l'obligation de réaliser ces travaux. Par un courrier du 2 mai 2019, la société Librairie Rimbaud a demandé au préfet des Ardennes de retirer ou d'abroger cet arrêté de dérogation. Par une décision du 1er juillet 2019, le préfet des Ardennes a refusé de faire droit à cette demande. Cette décision a été annulée, pour erreur de droit, par un jugement n° 1901729 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 7 juillet 2020. A la suite de cette annulation contentieuse, le préfet des Ardennes s'est prononcé sur la demande initiale de retrait ou d'abrogation et, par une décision du 11 septembre 2020, a refusé de nouveau d'y faire droit. Par un jugement du 23 mars 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la demande de la société Librairie Rimbaud tendant à l'annulation de cette décision du 11 septembre 2020. La société Librairie Rimbaud relève appel de ce jugement.

Sur la légalité de la décision du 11 septembre 2020 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Le silence gardé pendant deux mois par l'administration sur une demande vaut décision d'acceptation ". L'article D. 231-2 du même code dispose que : " La liste des procédures pour lesquelles le silence gardé sur une demande vaut décision d'acceptation est publiée sur un site internet relevant du Premier ministre. Elle mentionne l'autorité à laquelle doit être adressée la demande ainsi que le délai au terme duquel l'acceptation est acquise ". L'article L. 231-4 du même code dispose que : " Par dérogation à l'article L. 231-1, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet : (...)/ 2° Lorsque la demande ne s'inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d'une réclamation ou d'un recours administratif (...) ".

3. Par son courrier du 2 mai 2019 tendant à ce que le préfet des Ardennes abroge ou retire la dérogation accordée le 25 septembre 2018 à la société civile Charleville, la société Librairie Rimbaud doit être regardée comme ayant formé un recours administratif. Par suite, en application des dispositions précitées, le silence gardé par le préfet des Ardennes pouvait uniquement donner lieu, après l'expiration d'un délai de deux mois, à la naissance d'une décision implicite de rejet et non d'acceptation. En tout état de cause, le 1er juillet 2019 soit avant l'expiration du délai de deux mois au terme duquel une décision implicite pouvait être acquise, le préfet des Ardennes a expressément refusé de faire droit au recours administratif exercé par la société requérante. En raison de l'annulation contentieuse, pour erreur de droit, de la décision du 1er juillet 2019 par laquelle le préfet des Ardennes a refusé de faire droit à la demande d'abrogation ou de retrait de la dérogation accordée à la société civile Charleville, le préfet des Ardennes restait saisi du recours administratif exercé par la société Librairie Rimbaud et devait, à nouveau, se prononcer sur ce recours. En outre, contrairement à ce que soutient la société requérante, dans la mesure où le préfet des Ardennes restait saisi d'un recours administratif, en application de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration précité, seule une décision implicite de rejet et non une décision implicite d'acceptation était susceptible d'être acquise dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet des Ardennes ne pouvait prendre une nouvelle décision à la suite de l'annulation contentieuse de la décision du 1er juillet 2019 alors qu'aucune injonction n'avait été prononcée et que le préfet des Ardennes aurait tacitement fait droit à la demande d'abrogation à la suite de ce jugement, doit être écarté.

4. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 111-19-10 du code de la construction et de l'habitation : " I. Le représentant de l'Etat dans le département peut accorder des dérogations aux règles d'accessibilité prévues par les dispositions de la présente sous-section : (...) 3° Lorsqu'il y a une disproportion manifeste entre les améliorations apportées par la mise en œuvre des prescriptions techniques d'accessibilité, d'une part, et leurs coûts, leurs effets sur l'usage du bâtiment et de ses abords ou la viabilité de l'exploitation de l'établissement, d'autre part, notamment : / a) Lorsque le coût ou la nature des travaux d'accessibilité sont tels qu'ils s'avèrent impossibles à financer ou qu'ils ont un impact négatif critique sur la viabilité économique de l'établissement et que l'existence de cette impossibilité ou de ces difficultés est établie notamment par le dépassement de seuils fixés par arrêté (...) ". L'article 1er de l'arrêté du 27 avril 2015 relatif aux conditions d'octroi d'une ou deux périodes supplémentaires et à la demande de prorogation des délais de dépôt et d'exécution pour les agendas d'accessibilité programmée pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public dispose que : " (...) II. - Lorsque le propriétaire ou l'exploitant demande la prorogation des délais de dépôt de l'agenda pour des motifs financiers, le dossier comprend, outre les éléments prévus au I : / (...) 2° Pour une personne de droit privé qui n'est pas soumise à une des procédures préventives ou curatives prévues au livre VI du code de commerce et qui est soumise soit à l'impôt sur les sociétés, soit à l'impôt sur le revenu selon le régime des bénéfices industriels et commerciaux : a) Les comptes clos établis pour le dernier exercice ; / b) Le montant des capitaux propres ou des fonds propres, selon les cas, établi sur la base des comptes clos prévus au a ; / c) La capacité d'autofinancement effective établie sur la base des comptes clos prévus au a, définie comme la capacité d'autofinancement de laquelle sont déduits les emprunts et dettes à moins d'un an ; / d) La capacité de remboursement établie sur la base des comptes clos prévus au a, définie comme le rapport entre les dettes financières et la capacité d'autofinancement (...) ". L'article 3 de ce même arrêté dispose que : " I. - La situation budgétaire et financière d'une personne de droit privé, propriétaire ou exploitant d'établissements recevant du public ou d'installations ouvertes au public, est considérée comme délicate quand elle est soumise à une procédure de sauvegarde, une procédure de redressement judiciaire ou une procédure de liquidation judiciaire prévue au livre VI du code de commerce ou quand elle fait l'objet, pour prévenir ses difficultés financières, d'un mandat ad hoc ou d'une procédure de conciliation prévus au livre VI de ce même code ou dans l'un des cas suivants : / 1° Pour une personne morale de droit privé soumise à l'impôt sur les sociétés, quand l'une des conditions suivantes est respectée pour l'exercice considéré : / a) Ses capitaux propres ou ses fonds propres sont négatifs ou nuls ; / b) Sa capacité d'autofinancement effective est inférieure ou égale à 0 et sa capacité de remboursement est supérieur ou égal à 3,0 (...) ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ". L'article L. 241-2 du même code dispose que : " Par dérogation aux dispositions du présent titre, un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré ".

6. La société civile Charleville pouvait, comme le permettaient les dispositions règlementaires précitées, déduire dans son calcul les emprunts et dettes assimilées à moins d'un an. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment de la fiche explicative et des documents justificatifs produits à l'appui de la demande de dérogation de la société civile Charleville, que la manière dont aurait été calculée la capacité d'autofinancement de cette société aurait été erronée. Au surplus, pour évaluer la capacité d'autofinancement, la société Librairie Rimbaud a abouti aux mêmes chiffres au titre des exercices 2015, 2016 et 2017 que ceux avancés par la société civile Charleville. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, alors qu'au demeurant les différents éléments comptables présentés à l'appui de la demande de dérogation ont été rédigés par des personnes tierces à la société civile Charleville, que cette dernière aurait souhaité induire en erreur le préfet des Ardennes. Dès lors, en l'absence de démonstration d'une manœuvre réalisée dans le seul but de contourner la loi, il ne ressort pas des pièces du dossier que la dérogation accordée à la société civile Charleville aurait été obtenue par fraude. Le moyen tiré de l'existence d'une fraude doit donc être écarté.

7. En dernier lieu, il ressort des dispositions précitées des articles L. 242-1 et L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration qu'une décision créatrice de droits ne peut être abrogée ou retirée que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision, à l'exception de la fraude, à la condition qu'elle soit illégale. En l'espèce, la demande d'abrogation et de retrait a été présentée par la société Librairie Rimbaud plus de quatre mois après la décision initiale et il ne ressort pas des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit précédemment, que la dérogation aurait été obtenue par fraude. Par suite, en raison de l'expiration du délai de quatre mois dans lequel le retrait et l'abrogation d'une décision créatrice de droits illégale est possible, la seule circonstance que, en méconnaissance des dispositions précitées de l'arrêté du 27 avril 2015, le préfet des Ardennes a accordé une dérogation à la société Charleville et non un report de délais est sans incidence sur la légalité du refus du préfet des Ardennes d'abroger ou de retirer la dérogation accordée.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Librairie Rimbaud n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Librairie Rimbaud le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société civile Charleville et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Librairie Rimbaud est rejetée.

Article 2 : La société Librairie Rimbaud versera à la société civile Charleville une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Librairie Rimbaud, à la société civile Charleville et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet des Ardennes.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2024.

Le rapporteur,

Signé : A. DenizotLa présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 21NC01479


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC01479
Date de la décision : 13/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: M. Arthur DENIZOT
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : M.H ROFFI JURIS CONSEIL

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-13;21nc01479 ?
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