Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2022 par lequel le préfet du Jura l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2200276 du 21 mars 2022, le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 mars 2023, Mme B..., représentée par la SELARL Quentin Azou, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 mars 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Jura de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, dans l'attente, de la mettre en possession d'une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut de motivation en ce que celle-ci est stéréotypée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation particulière et en particulier des persécutions qu'elle a subies dans son pays d'origine ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'elle justifie de liens anciens, stables et durables en France ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant dans la mesure où ses enfants, scolarisés en France, seraient menacés en cas de retour en Albanie ;
- la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire est entachée d'un défaut de base légale en raison de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ;
- elle méconnaît l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qu'elle interrompt l'année scolaire pour ses enfants ;
- la décision fixant le pays de destination est entachée d'un défaut de base légale en raison de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'elle est menacée en Albanie ;
- la décision lui refusant de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans est entachée d'un défaut de base légale en raison de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'une erreur de droit en ce que le préfet n'a pas pris en compte la nature et l'ancienneté des liens qu'elle entretient avec la France ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à sa durée.
Par un mémoire enregistré le 23 mai 2023, le préfet du Jura conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Mosser a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante albanaise née le 27 juin 1994, a déclaré être entrée en France le 4 décembre 2018 accompagnée de son époux et de son fils né en 2012. Sa demande d'asile a été rejetée en dernier lieu par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 26 février 2020. Par un arrêté du 25 janvier 2022, le préfet du Jura l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Mme B... relève appel du jugement du 21 mars 2022 par lequel le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, l'arrêté en litige comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement en ce qu'il vise notamment le 4° de l'article L. 611-1 et l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et fait état des conditions et de la durée de son séjour en France ainsi que de la scolarisation de ses enfants. Ce faisant, le préfet du Jura qui n'avait pas à viser toutes les circonstances de fait de la situation de Mme B..., a cité les éléments pertinents dont il avait connaissance et qui fondent sa décision. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
3. En deuxième lieu, il ne ressort ni des termes de l'arrêté en litige, ni des pièces du dossier que le préfet du Jura aurait entaché sa décision d'un défaut d'examen sérieux de la situation personnelle de Mme B....
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée en France en décembre 2018 avec son époux et son fils. Toutefois, la durée de sa présence est due à l'examen de sa demande d'asile et à l'absence d'exécution de deux précédentes mesures d'éloignement. En invoquant ses activités bénévoles et son apprentissage du français ainsi que la scolarisation de ses enfants, l'intéressée n'établit pas avoir fixé en France le centre de ses intérêts économique, personnel et familiaux alors qu'elle ne démontre pas être dépourvue d'attaches dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de 24 ans et où son époux a été éloigné le 30 octobre 2021. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision portant refus de séjour a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations précitées. Par suite, la décision en litige ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
7. Si Mme B... fait valoir que ses deux enfants nés en 2012 et 2019 sont scolarisés en France, il n'est pas démontré qu'ils ne pourraient pas poursuivre leur scolarité en Albanie. De plus, rien ne s'oppose à ce que la cellule familiale se reconstitue en Albanie, où eu égard à leur jeune âge ses enfants pourraient continuer leur scolarité et où son époux a déjà été éloigné le 30 octobre 2021 et où, à supposer qu'il soit revenu en France, il peut les y accompagner. En outre, si Mme B... soutient que ses enfants seraient menacés en cas de retour en Albanie, elle n'apporte aucune précision quant aux menaces qu'elle invoque, alors qu'au demeurant sa demande d'asile a été rejetée. Dans ces conditions, cette décision qui n'implique en elle-même aucune séparation des enfants d'avec leurs parents ne méconnaît pas l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Sur la légalité de l'arrêté refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :
8. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire.
9. En second lieu, l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. ". L'article L. 612-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". L'article L. 612-3 de ce code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) ".
10. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... s'est soustraite à l'exécution des arrêtés du 27 décembre 2019 et du 31 décembre 2019 par lesquels respectivement le préfet du territoire de Belfort et celui du Jura l'ont obligée à quitter le territoire français. Il s'ensuit que les conditions fixées au 3° de l'article L. 612-2 précité doivent être regardées comme remplies en vertu du 5 de l'article L. 612-3 précité. En outre, le préfet indique sans être utilement contesté que Mme B... n'a fait valoir aucun motif justifiant un délai de départ particulier. Si elle soutient en appel qu'elle ne peut quitter le territoire français durant l'année scolaire, elle ne démontre pas que ses enfants ne pourraient pas poursuivre leur scolarité en Albanie en cours d'année. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le préfet du Jura a, en ne lui octroyant pas de délai de départ volontaire, méconnu les dispositions précitées.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
11. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination.
12. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
13. Si Mme B... soutient qu'elle ferait l'objet de menaces en cas de retour dans son pays d'origine, elle n'apporte aucune précision quant à celles-ci. Au demeurant, sa demande d'asile a été rejetée en dernier lieu par une décision de la CNDA le 26 février 2020. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté comme manquant en fait.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans :
14. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision d'interdiction de retour sur le territoire français.
15. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". L'article L. 612-10 de ce code précise : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".
16. Il ressort des termes de l'arrêté et en particulier de sa partie 4 intitulée " sur l'interdiction de retour sur le territoire français " que le préfet du Jura a pris en compte la nature et l'ancienneté des liens qu'entretient Mme B... avec la France pour édicter la mesure en litige. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit au regard des dispositions précitées doit être écarté.
17. En troisième et dernier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 5, Mme B... qui s'est maintenue sur le territoire français en dépit de deux mesures d'éloignement prises à son encontre, n'y est présente que depuis cinq ans et outre ses enfants scolarisés, elle ne dispose pas d'attache familiale durable en France où, selon ses déclarations, son époux résiderait également irrégulièrement alors qu'il avait été éloigné vers l'Albanie. Dans ces conditions, le préfet du Jura n'a pas entaché son interdiction de retour sur le territoire français d'une erreur d'appréciation quant à sa durée.
18. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... épouse B..., au ministre de l'intérieur et des Outre-mer et à la SELARL Quentin Azou.
Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet du Jura.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Guidi, présidente,
- Mme Peton, première conseillère,
- Mme Mosser, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 avril 2024.
La rapporteure,
Signé : C. MosserLa présidente,
Signé : L. Guidi
La greffière,
Signé : M. D...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
M. D...
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N° 23NC00816