Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... et Mme C... A... née D... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les arrêtés du 30 mars 2023 par lesquels la préfète du Bas-Rhin a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2302983, 2302984 du 28 juin 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
I.) Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 31 août et 3 novembre 2023 sous le n° 23NC02799, M. A..., représenté par Me Boukara, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il le concerne ;
2°) d'annuler l'arrêté du 30 mars 2023 ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", à défaut la mention " salarié ", dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, subsidiairement, de réexaminer sa situation, dans le délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et dans tous les cas, de lui délivrer un récépissé valant autorisation de travail dès notification de l'arrêt ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 800 euros à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, au titre des frais exposés lors de la procédure devant le tribunal administratif et le versement d'une somme de 2 400 euros à son conseil, sur le même fondement, au titre des frais de la procédure d'appel.
Il soutient que :
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
- la décision en litige est entachée de défaut de motivation relativement à la demande d'admission exceptionnelle au séjour, notamment en tant que " salarié " ;
- elle est entachée de défaut d'examen de la demande présentée sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 6-1 de la décision n° 1/80 du 19 septembre 1980 du conseil d'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie ;
- elle devra être annulée par voie de conséquence de l'illégalité du refus de séjour opposé à son mari ;
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
- la décision en litige est entachée d'insuffisance de motivation relativement à ses conséquences sur la situation de ses enfants ;
- elle est illégale compte tenu de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et à l'intérêt supérieur de ses enfants ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
- la décision en litige est illégale compte tenu de l'illégalité du refus de titre de séjour.
La préfète du Bas-Rhin, à qui la procédure a été communiquée, n'a pas produit de mémoire en défense.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 septembre 2023.
II.) Par une requête, enregistrée le 17 octobre 2023 sous le n° 23NC03109, Mme A..., représentée par Me Boukara, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il la concerne ;
2°) d'annuler l'arrêté du 30 mars 2023 ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et de lui remettre, dès la notification de l'arrêt, un récépissé de demande de titre de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 800 euros à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, au titre des frais exposés lors de la procédure devant le tribunal administratif et le versement d'une somme de 1 800 euros à son conseil, sur le même fondement, au titre des frais de la procédure d'appel.
Elle soutient que :
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
- la décision en litige est entachée de défaut de motivation relativement à la demande d'admission exceptionnelle au séjour ;
- elle est entachée de défaut d'examen de la demande présentée sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- elle devra être annulée par voie de conséquence de l'illégalité du refus de séjour opposé à son mari ;
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
- la décision en litige est entachée d'insuffisance de motivation relativement à ses conséquences sur la situation de ses enfants ;
- elle est illégale compte tenu de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle sera annulée par voie de conséquence de l'annulation de la mesure d'éloignement prise à l'encontre de son mari ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
- la décision en litige est illégale compte tenu de l'illégalité du refus de titre de séjour.
La préfète du Bas-Rhin, à qui la procédure a été communiquée, n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 septembre 2023.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Brodier, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A..., ressortissants turcs nés respectivement en 1987 et en 1992, sont entrés régulièrement en France le 13 septembre 2019, sous couvert d'un visa de court séjour, en compagnie de leurs trois enfants mineurs. Leur demande d'asile a été rejetée par des décisions de la Cour nationale du droit d'asile du 7 juin 2022. Ils ont présenté une demande d'admission au séjour le 8 juin 2022. Par des arrêtés du 30 mars 2023, la préfète du Bas-Rhin a refusé de faire droit à leur demande, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. et Mme A... relèvent appel du jugement du 28 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la légalité des refus de séjour :
2. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / (...) ".
3. En présence d'une demande de régularisation présentée, sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Dans cette dernière hypothèse, un demandeur qui justifierait d'une promesse d'embauche ou d'un contrat de travail, ne saurait être regardé, par principe, comme attestant, par là même, des " motifs exceptionnels " exigés par la loi. Il appartient, en effet, à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment, si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger ainsi que les caractéristiques de l'emploi auquel il postule, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel que par exemple, l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour.
4. Il ressort de sa demande présentée le 8 juin 2022 que M. A... sollicitait la délivrance, à titre principal d'un titre de séjour " vie privée et familiale ", à titre secondaire d'un titre de séjour " salarié ", sur le fondement notamment de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il se prévalait pour ce faire de sa situation salariée en France, tout d'abord comme conditionneur auprès d'une pharmacie du 7 août au 26 novembre 2020 puis comme cuisinier dans un restaurant depuis le 2 janvier 2021, sous contrat à durée indéterminée et de ce que ses employeurs avaient, dans les deux cas, obtenu les autorisations de travail requises auprès de la DIRECCTE. Il insistait sur la durée de son emploi régulier, notamment de près de dix-huit mois à la date de sa demande auprès du même employeur, dans le domaine de la restauration dans lequel il avait lui-même œuvré pendant neuf ans avant son départ de Turquie.
5. Or, il ressort de la décision en litige que, pour lui refuser la délivrance d'un titre de séjour " salarié " sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la préfète du Bas-Rhin s'est bornée à indiquer que " eu égard à ce qu'il précède et après avoir examiné de manière approfondie la situation personnelle et professionnelle de M. A..., il apparaît que le requérant ne justifie pas de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels de nature à permettre une admission exceptionnelle au séjour ". Toutefois, les éléments de motivation précédemment énoncés dans l'arrêté en litige sont relatifs à la situation administrative et familiale de M. A.... La seule indication de ce qu'il a pu travailler pendant la durée de sa demande d'asile ne caractérise aucun examen de sa demande de titre de séjour " salarié ", la circonstance que des autorisations de travail lui avaient été délivrées, dont il est précisé qu'elles étaient sans incidence sur son droit au séjour, ne dispensant pas la préfète de son obligation d'examiner notamment si l'expérience de l'intéressé dans le domaine de la restauration et les caractéristiques de l'emploi qu'il occupait déjà depuis plus de deux ans à la date de la décision en litige pouvaient constituer, compte tenu par ailleurs des autres éléments de sa situation personnelle, des motifs exceptionnels d'admission au séjour. Dans ces conditions, M. A... est fondé à soutenir que l'autorité administrative n'a pas procédé à l'examen de sa demande de titre de séjour " salarié ".
6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. A... est fondé à demander l'annulation de la décision du 30 mars 2023 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour de même que, par voie de conséquence, des décisions lui faisant obligation de quitter le territoire dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination.
7. Compte tenu de sa situation maritale et de la présence de leurs trois enfants mineurs, Mme A... est également fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 30 mars 2023 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 30 mars 2023.
Sur l'injonction :
9. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique uniquement que la préfète du Bas-Rhin procède au réexamen de la demande de titre de séjour de M. et Mme A.... Il y a lieu de lui prescrire d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de remettre aux intéressés, dans l'attente et sans délai, une autorisation provisoire de séjour les autorisant à exercer une activité professionnelle.
Sur les frais de l'instance :
10. M. et Mme A... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, leur avocate peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 37 de la loi ci-dessus visée du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Boukara, avocate de M. et Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement à Me Boukara d'une somme globale de 2 000 euros au titre des frais que M. et Mme A... aurait exposés dans la présente instance ainsi que devant le tribunal administratif s'ils n'avaient pas été admis à l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2302983, 2302984 du tribunal administratif de Strasbourg du 28 juin 2023 est annulé.
Article 2 : Les arrêtés de la préfète du Bas-Rhin du 30 mars 2023 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la situation de M. et Mme A..., dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt et de leur remettre, sans délai, des autorisations provisoires de séjour les autorisant expressément à exercer une activité professionnelle.
Article 4 : L'Etat versera à Me Boukara, avocate des requérants, la somme de 2 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Mme C... D... épouse A..., à Me Boukara et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 4 avril 2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mai 2024.
La rapporteure,
Signé : H. Brodier Le président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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N° 23NC02799, 23NC03109