Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2021 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé à son encontre son licenciement pour insuffisance professionnelle et d'enjoindre à ce dernier de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2200132 du 29 septembre 2023, le tribunal administratif de Châlons-en Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 décembre 2023, M. A..., représenté par la SCP Trussant et Dominguez, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2200132 du 29 septembre 2023 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) d'annuler l'arrêté du 23 novembre 2021 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé son licenciement pour insuffisance professionnelle à compter du 1er décembre 2021 ;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé en tant qu'il écarte le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté en ce qui concerne son insuffisance professionnelle ;
- l'arrêté en litige a été pris en méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration dès lors que la décision ne comporte pas de signature et par suite, ne mentionne ni le nom, ni le prénom de son auteur ;
- il n'a pas été mis à même de présenter ses observations alors que les griefs qui lui sont reprochés dans la décision litigieuse sont susceptibles de constituer des fautes disciplinaires ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que :
. l'administration aurait dû le licencier pour inaptitude physique au cours du stage et non attendre l'issue du stage pour le licencier au motif d'une insuffisance professionnelle alors qu'il n'a pas pu être évalué en raison de son état de santé ;
. elle ne pouvait pas se fonder sur son état de santé pour justifier d'une insuffisance professionnelle ;
- l'arrêt est insuffisamment motivé en ce qui concerne son insuffisance professionnelle ;
- l'arrêté est discriminatoire au sens de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983, dès lors que c'est en raison de sa pathologie qu'il a été licencié ; les griefs qui lui sont reprochés sont imputables à son état de santé ;
- l'arrêté est entaché d'un détournement de procédure, dès lors que le ministre a détourné la procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle afin de dissimuler un licenciement pour inaptitude physique qui aurait dû intervenir en cours de stage.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés et s'en rapporte également à ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 94-874 du 7 octobre 1994 ;
- le décret n° 2006-441 du 14 avril 2006 ;
- l'arrêté du 26 octobre 2018 portant organisation de la formation statutaire des surveillant relevant du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,
- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a été nommé surveillant pénitentiaire stagiaire le 17 août 2020 et affecté à la maison centrale de Clairvaux dans l'Aube. Par un arrêté du 23 novembre 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé son licenciement pour insuffisance professionnelle à compter du 1er décembre 2021. M. A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler cet arrêté. M. A... relève appel du jugement du 29 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en Champagne a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 7 du décret du 7 octobre 1994 fixant les dispositions communes applicables aux stagiaires de l'Etat et de ses établissements publics : " Le fonctionnaire stagiaire peut être licencié pour insuffisance professionnelle lorsqu'il est en stage depuis un temps au moins égal à la moitié de la durée normale du stage. (...) ". Aux termes de l'article 9 du décret du 14 avril 2006 portant statut particulier des corps du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire, dans sa version applicable au litige : " Le stage dure un an. Les stagiaires dont le stage a été jugé satisfaisant sont titularisés et classés selon les modalités prévues par le chapitre IV du présent titre. Ceux qui ne sont pas titularisés à l'issue du stage peuvent être autorisés à accomplir un stage complémentaire d'une durée maximale d'un an. Les stagiaires qui n'ont pas été autorisés à effectuer un stage complémentaire ou dont le stage complémentaire n'a pas donné satisfaction sont soit licenciés s'ils n'avaient pas la qualité de fonctionnaire, soit réintégrés dans leur corps ou cadre d'emplois d'origine selon les dispositions qui leur sont applicables. ".
3. Un agent public ayant, à la suite de son recrutement ou dans le cadre de la formation qui lui est dispensée, la qualité de stagiaire se trouve dans une situation probatoire et provisoire. La décision de ne pas le titulariser en fin de stage est fondée sur l'appréciation portée par l'autorité compétente sur son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et, de manière générale, sur sa manière de servir, et se trouve ainsi prise en considération de sa personne.
4. L'autorité compétente ne peut donc prendre légalement une décision de refus de titularisation, qui n'est soumise qu'aux formes et procédures expressément prévues par les lois et règlements, que si les faits qu'elle retient caractérisent des insuffisances dans l'exercice des fonctions et la manière de servir de l'intéressé. Cependant, la circonstance que tout ou partie de tels faits seraient également susceptibles de caractériser des fautes disciplinaires ne fait pas obstacle à ce que l'autorité compétente prenne légalement une décision de refus de titularisation, pourvu que l'intéressé ait alors été mis à même de faire valoir ses observations.
5. Il résulte de ce qui précède que, pour apprécier la légalité d'une décision de refus de titularisation, il incombe au juge de vérifier qu'elle ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, qu'elle n'est entachée ni d'erreur de droit, ni d'erreur manifeste dans l'appréciation de l'insuffisance professionnelle de l'intéressé, qu'elle ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire et n'est entachée d'aucun détournement de pouvoir et que, si elle est fondée sur des motifs qui caractérisent une insuffisance professionnelle mais aussi des fautes disciplinaires, l'intéressé a été mis à même de faire valoir ses observations.
6. Il ressort des motifs de la décision litigieuse que le garde des sceaux, ministre de la justice, a considéré que pendant sa période de stage, l'intéressé a rencontré des " difficultés d'intégration et de positionnement au sein de son environnement professionnel ", qu'il a manqué " d'implication et de motivation sur ses fonctions " et qu'il a manifesté un " désintérêt au travail ". Il a également relevé un " manque de déontologie et de probité de l'agent ".
7. Ainsi, les motifs révélés dans la décision litigieuse sont de natures à caractériser une insuffisance professionnelle mais également, s'agissant en particulier du manque de déontologie et de probité, des fautes disciplinaires. Par suite, l'administration devait mettre l'intéressé à même de présenter des observations avant de prendre la décision en litige.
8. Or, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est au demeurant pas soutenu par l'administration, que M. A... ait disposé de la faculté de présenter ses observations préalablement à la décision litigieuse. Dans ces conditions, le requérant est fondé à soutenir que le licenciement contesté est entaché d'un vice de procédure, lequel l'a privé d'une garantie.
9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 novembre 2021 prononçant son licenciement.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Au regard du motif d'annulation, il y a lieu d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du garde des sceaux, ministre de la justice, partie perdante, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2200132 du 29 septembre 2023 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et l'arrêté du 23 novembre 2021 du garde des sceaux, ministre de la justice, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le garde des sceaux, ministre de la justice, versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 7 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Samson-Dye, présidente,
- Mme Roussaux, première conseillère,
- M. Denizot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2024.
La rapporteure,
Signé : S. RoussauxLa présidente,
Signé : A. Samson-Dye
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
F. Dupuy
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N° 23NC03572