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13/05/2025 | FRANCE | N°23NC03650

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 5ème chambre, 13 mai 2025, 23NC03650


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler, d'une part, l'arrêté du 17 octobre 2023, par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités allemandes et, d'autre part, l'arrêté du 17 octobre 2023 par lequel la même préfète l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.



Par un jugement n° 2307691 du 15 novembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif

de Strasbourg a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler, d'une part, l'arrêté du 17 octobre 2023, par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son transfert aux autorités allemandes et, d'autre part, l'arrêté du 17 octobre 2023 par lequel la même préfète l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2307691 du 15 novembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 décembre 2023, Mme B..., représentée par Me Mouheb, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg ;

3°) d'annuler les arrêtés de la préfète du Bas-Rhin du 17 octobre 2023 ;

4°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de poursuivre la procédure de demande d'asile ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le signataire des décisions est incompétent ;

- la décision de transfert en Allemagne porterait un préjudice grave à sa famille qui serait reconduite dans son pays d'origine où elle ne possède plus rien ;

- la décision de transfert méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnait l'intérêt supérieur de ses enfants, l'un d'entre eux devant bénéficier d'une prise en charge médicale ;

- l'assignation à résidence n'a pas pris en compte son changement d'adresse.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable, faute d'articuler une critique du jugement attaqué ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par courrier en date du 22 novembre 2024, les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, ont été informées que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de la caducité de la décision attaquée.

Par un mémoire en date du 28 novembre 2024, le préfet du Bas-Rhin a indiqué, en réponse à ce moyen, que, la requérante ne s'étant régulièrement soumise à l'obligation de présentation qui lui était faite, elle était comme étant en fuite, ce dont il avait informé les autorités allemandes, les conclusions de Mme B... ayant dès lors gardé leur objet.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Barlerin a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... B..., ressortissante algérienne née le 31 décembre 1980, est entrée en France irrégulièrement accompagnée de ses trois enfants. Son mari, en détention provisoire en France, ayant préalablement à son entrée sur le territoire français, déposé des demandes d'asile en France et aux Pays-Bas, une attestation de demande d'asile en procédure Dublin a été délivrée à Mme B... le 25 mai 2023. Dans ce cadre, les autorités allemandes, saisies le 8 juin 2023 et le 3 juillet 2023, ont accepté la prise en charge de l'intéressée le 5 juillet 2023. Par deux arrêtés distincts du 17 octobre 2023, la préfète du Bas-Rhin a, d'une part, décidé de son transfert aux autorités allemandes et, d'autre part, l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président ". Eu égard aux circonstances de l'espèce, il y a lieu de prononcer, en application des dispositions précitées, l'admission provisoire de Mme C... B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le moyen commun aux deux décisions :

3. Mme A... D..., cheffe du pôle régional Dublin à la préfecture du Bas-Rhin, a reçu délégation, par décision du 7 septembre 2023, publiée le 8 septembre 2023 au recueil des actes administratifs de la préfecture, à l'effet de signer les décisions relevant du pôle Dublin en cas d'empêchement de la préfète du préfet du Bas-Rhin et de M. Eric Fromeyer, secrétaire général de la préfecture. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète du Bas-Rhin ou M. Eric Fromeyer, secrétaire général, n'auraient pas été empêchés. Dès lors le moyen tiré de l'incompétence de la signataire des décisions contestée doit être écarté.

En ce qui concerne la décision portant remise aux autorités allemandes :

4. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par le 1 de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

5. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

6. Les arrêtés en litige ont seulement pour objet de transférer l'intéressée en Allemagne, Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il ne ressort pas des pièces des dossiers qu'il existerait des raisons sérieuses de croire que les autorités allemandes ne seraient pas en mesure de traiter la demande d'asile de Mme B... dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. La circonstance qu'en cas de rejet de la demande de protection, les autorités allemandes seraient susceptibles de décider son éloignement vers l'Algérie n'est pas de nature à caractériser une méconnaissance par les autorités allemandes de leurs obligations en matière de procédure d'asile et de conditions d'accueil des demandeurs d'asile. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision de transfert emporterait, par elle-même, retour de la famille de Mme B... en Algérie doit, en tout état de cause, être écarté.

7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du §1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

8. Si la requérante soutient que, son mari étant incarcéré au sein de la maison d'arrêt de Metz, le transfert aux autorités allemandes l'empêchera d'aller lui rendre visite, comme elle le ferait chaque semaine, en compagnie de ses enfants mineurs, elle n'établit ni la réalité et la fréquence desdites visites, ni que la mesure attaquée l'empêcherait d'y procéder. Il s'ensuit qu'elle n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée porterait à son droit au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise ni qu'elle porterait atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant tel que protégé par le § 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant.

En ce qui concerne l'assignation à résidence :

9. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme B..., hébergée à Willewald mais dont l'adresse administrative se situe dans la commune de Metz, aurait informé la préfecture de son changement de résidence. Mme B... ne démontre pas plus qu'elle serait dans l'impossibilité de se rendre sur le lieu dans lequel elle doit satisfaire à son obligation de présentation, lequel se trouve à Sarralbe. Par ailleurs, l'arrêté litigieux précise qu'elle est admise à faire valoir auprès de ce service les motifs qui l'empêcheraient de satisfaire à cette obligation. Par suite, le moyen tiré de ce que la préfète du Bas-Rhin n'aurait pas tenu compte de son lieu de résidence doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, les conclusions à fin d'injonction qu'elle présente ne peuvent être accueillies.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, le versement d'une somme à ce titre.

D E C I D E :

Article 1er : Mme C... B... est admise, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., à Me Mouheb et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 22 avril 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Durup de Baleine, président,

- M. Barlerin, premier conseiller,

- Mme Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mai 2025.

Le rapporteur,

Signé : A. BarlerinLe président,

Signé : A. Durup de Baleine

Le greffier,

Signé : A. Betti

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

A. Betti

2

N° 23NC03650


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC03650
Date de la décision : 13/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DURUP DE BALEINE
Rapporteur ?: M. Axel BARLERIN
Rapporteur public ?: Mme BOURGUET
Avocat(s) : MOUHEB AMINE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-13;23nc03650 ?
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