Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... F... et Mme A... B..., ont demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les arrêtés du 28 décembre 2022 par lesquels le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n°s 2300416, 2300417 du 30 mai 2023, le tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 décembre 2023 et 29 mars 2024, M. F... et Mme B..., représentés par Me Miquet, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy ;
2°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de leur délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de procéder au réexamen de leur situation dans un délai de 15 jours à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement du tribunal administratif de Nancy est insuffisamment motivé ;
- Mme B... entre dans le champ d'application du 3° de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- M. F... justifie de revenus suffisants pour bénéficier d'un titre de séjour en vertu du 2° de l'article L.233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision les obligeant à quitter le territoire est illégale en raison de l'illégalité du refus de séjour.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 février 2024, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient, d'une part, que la requête est irrecevable en raison de sa tardiveté et, d'autre part, que les moyens invoqués par les requérants ne sont pas fondés.
Par des décisions du 7 novembre 2023, la présidente du bureau d'aide juridictionnelle a constaté la caducité des demandes d'aide juridictionnelle.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'action sociale et des familles
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2022-699 du 26 avril 2022 ;
- le décret n° 2021-530 du 29 avril 2021 ;
- le décret n° 2020-490 du 29 avril 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Barlerin,
- les observations de Me Miquet, avocat de M. F... et Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. M. D... F..., né le 20 août 1977 à Bni Hilal au Maroc et Mme A... B..., née le 30 mars 1984 au Maroc, tous deux ressortissants italiens, sont entrés en France le 31 août 2017. Il leur a été délivré des titres de séjour valables jusqu'en juin 2020. Ils en ont demandé le renouvellement le 8 juin 2020. Par deux arrêtés du 28 décembre 2022, le préfet de Meurthe-et-Moselle leur a refusé la délivrance d'un titre de séjour et leur a fait obligation de quitter le territoire français. M. F... et Mme B... relèvent appel du jugement du 30 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes d'annulation de ces arrêtés.
Sur la recevabilité de la requête :
2. Il résulte des pièces du dossier que le jugement du tribunal administratif de Nancy n° 2300416, 2300417 du 30 mai 2023 a été notifié aux requérants le 30 mai 2023. Ces derniers ont formé une demande d'aide juridictionnelle le 7 juin 2023. Deux décisions de caducité de leurs demandes, datées du 7 novembre 2023, leurs ont été adressées par courrier simple, sans accusé de réception. La notification de ces décisions à leur conseil est intervenue le 15 novembre suivant à 13 h 18. Dans ces conditions, la requête de M. F... et de Mme B..., enregistrée au greffe de la cour le 15 décembre 2023, n'était pas tardive. La fin de non-recevoir opposée par le préfet de Meurthe-et-Moselle doit dès lors être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les décisions portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
3. Aux termes de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les citoyens de l'Union européenne ont le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes : (...) / 2° Ils disposent pour eux et pour leurs membres de famille de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; (...) / 3° Ils sont membres de famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne qui satisfait aux conditions énoncées aux 1° et 2° ; / 4° Ils sont le conjoint ou le descendant direct à charge accompagnant un rejoignant un citoyen de l'Union européenne qui satisfait aux conditions énoncées au 3°.". Aux termes de l'article R. 233-1 du même code : " Les ressortissants qui remplissent les conditions mentionnées à l'article L. 233-1 doivent être munis de leur carte d'identité ou de leur passeport en cours de validité. / L'assurance maladie mentionnée à l'article L. 233-1 doit couvrir les prestations prévues aux articles L. 160-8, L. 160-9 et L. 321-1 du code de la sécurité sociale. / Lorsqu'il est exigé, le caractère suffisant des ressources est apprécié en tenant compte de la situation personnelle de l'intéressé. En aucun cas, le montant exigé ne peut excéder le montant forfaitaire du revenu de solidarité active mentionné à l'article L. 262-2 du code de l'action sociale et des familles. / La charge pour le système d'assistance sociale que peut constituer le ressortissant mentionné à l'article L. 233-1 est évaluée en prenant notamment en compte le montant des prestations sociales non contributives qui lui ont été accordées, la durée de ses difficultés et de son séjour ". Aux termes de l'article L. 262-2 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne résidant en France de manière stable et effective, dont le foyer dispose de ressources inférieures à un montant forfaitaire, a droit au revenu de solidarité active dans les conditions définies au présent chapitre. / Le revenu de solidarité active est une allocation qui porte les ressources du foyer au niveau du montant forfaitaire. Il est complété, le cas échéant, par l'aide personnalisée de retour à l'emploi mentionnée à l'article L. 5133-8 du code du travail ". Aux termes de l'article R. 262-1 du même code : " Le montant forfaitaire mentionné à l'article L. 262-2 applicable à un foyer composé d'une seule personne est majoré de 50 % lorsque le foyer comporte deux personnes. Ce montant est ensuite majoré de 30 % pour chaque personne supplémentaire présente au foyer et à la charge de l'intéressé. Toutefois, lorsque le foyer comporte plus de deux enfants ou personnes de moins de vingt-cinq ans à charge, à l'exception du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin de l'intéressé, la majoration à laquelle ouvre droit chacun de ces enfants ou personnes est portée à 40 % à partir de la troisième personne ". Aux termes de l'article 1er du décret du 29 avril 2020 portant revalorisation du montant forfaitaire du revenu de solidarité active : " Le montant forfaitaire mensuel du revenu de solidarité active pour un allocataire est de 564,78 euros à compter des allocations dues au titre du mois d'avril 2020. Aux termes de l'article 1er du décret du 29 avril 2021 portant revalorisation de ce montant : " Le montant forfaitaire mensuel du revenu de solidarité active pour un allocataire est de 565,34 euros à compter des allocations dues au titre du mois d'avril 2021 ". Aux termes de l'article 1er du décret du 26 avril 2022 portant revalorisation dudit montant : " Le montant forfaitaire mensuel du revenu de solidarité active pour un allocataire est de 575,52 euros à compter des allocations dues au titre du mois d'avril 2022 ".
4. Pour refuser la délivrance de titre de séjour aux requérants, le préfet s'est fondé sur la circonstance que le montant moyen des revenus perçus par eux au cours de l'année 2022 était inférieur au seuil mensuel de 1 734 euros correspondant au montant forfaitaire du revenu de solidarité active pour un couple avec quatre enfants et qu'ils ne disposaient ainsi pas de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale. Il ressort cependant des pièces du dossier, d'une part, que M. F... et Mme B... sont les parents de trois enfants, nés respectivement en 2007, 2012 et 2016 en Italie, comme en attestent les documents d'état civil produits ainsi que, au demeurant, leurs déclarations fiscales. D'autre part, M. F... justifie en appel, pour l'année 2021, d'un revenu de plus de 26 500 euros et, concernant l'année 2022, d'un revenu dépassant 25 000 euros, soit, sur une période de 24 mois, une moyenne de plus de 2 100 euros par mois. Ces montants dépassent le montant forfaitaire de revenu de solidarité active déterminé par les textes précités pour un couple de 3 enfants, quel que soit le mode de calcul retenu. Dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir qu'en leur refusant la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de Meurthe-et-Moselle s'est livré à une inexacte application des dispositions citées au point 3.
5. Il résulte de ce qui précède que, les décisions refusant la délivrance d'un titre de séjour à M. F... et à Mme B... étant illégales, il en va de même de celles leur faisant obligation de quitter le territoire français.
6. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. F... et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes.
Sur les conclusions à fins d'injonction :
7. Il y a lieu d'enjoindre à la préfète de Meurthe-et-Moselle de délivrer à M. D... F... et Mme A... B... des titres de séjour, les autorisant à travailler, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement aux requérants de la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy n°s 2300416, 2300417 du 30 mai 2023 est annulé.
Article 2 : Les arrêtés du préfet de Meurthe-et-Moselle du 28 décembre 2022 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète de Meurthe-et-Moselle de délivrer à M. D... F... et à Mme A... B... des titres de séjour, les autorisant à travailler, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. F... et à Mme B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié à M. D... F..., à Mme A... B..., à Me Miquet et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète de Meurthe-et-Moselle.
Délibéré après l'audience du 22 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Durup de Baleine, président,
- M. Barlerin, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mai 2025.
Le rapporteur,
Signé : A. BarlerinLe président,
Signé : A. Durup de Baleine
Le greffier,
Signé : A. Betti
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
A. Betti
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N° 23NC03651