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26/06/2025 | FRANCE | N°24NC00891

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 26 juin 2025, 24NC00891


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 31 octobre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire pendant une durée d'un an.



Par un jugement n° 23008891 du 19 janvier 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasb

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 31 octobre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire pendant une durée d'un an.

Par un jugement n° 23008891 du 19 janvier 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a, après avoir admis le demandeur au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 avril 2024, M. B..., représenté par Me Snoeckx, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 31 octobre 2023 ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de réexaminer sa situation, dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

S'agissant de la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision en litige est intervenue en méconnaissance du droit d'être entendu, tel que garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- elle est entachée d'insuffisance de motivation et de défaut d'examen sérieux de sa situation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

S'agissant de la légalité de la décision fixant le pays de destination :

- la décision en litige méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

S'agissant de la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est illégale compte tenu de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.

La requête a été communiquée à la préfète du Bas-Rhin, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 février 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Brodier a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant nigérian né en 1991, est entré sur le territoire français en février 2019 selon ses déclarations. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'OFPRA du 30 septembre 2021. Sa demande de réexamen a été rejetée par une décision de l'OFPRA du 13 décembre 2021 dont la légalité a été confirmée par la CNDA le 18 juillet 2023. Par un arrêté du 31 octobre 2023, la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire français, dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire pendant une durée d'un an. M. B... relève appel du jugement du 19 janvier 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, d'une part, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne s'adresse pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Le requérant ne saurait ainsi utilement soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire méconnaîtrait ces dispositions.

3. D'autre part, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois, le droit d'être entendu n'implique pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu à l'occasion de l'examen de sa demande d'asile ou de sa demande de titre de séjour.

4. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.

5. M. B..., qui ne pouvait raisonnablement ignorer qu'en cas de rejet de sa demande d'asile, il était susceptible de faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, a pu présenter, dans le cadre de l'instruction de sa demande, des observations écrites ou orales, tant devant l'OFPRA puis la CNDA. S'il soutient que la préfète du Bas-Rhin n'a pas pu tenir compte de ce qu'il était marié avec une compatriote ayant sollicité la délivrance d'un titre de séjour et père de deux enfants, il ne justifie pas avoir porté ces informations, ni n'allègue avoir été empêché de porter ces informations à la connaissance de la préfecture avant que n'intervienne la décision en litige. Il s'était déclaré d'ailleurs célibataire pendant l'examen de sa demande d'asile, sans faire état, à aucun moment, d'un changement de statut ou de situation familiale. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces informations relatives à son mariage et à la naissance de ses enfants auraient été de nature à faire obstacle à la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français. Par suite, et à supposer que le requérant ait entendu invoquer le bénéfice du principe général du droit de l'Union européenne, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu ne peut qu'être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée ".

7. Il ressort des termes mêmes de la décision en litige, qui vise les dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne le rejet de la demande d'asile de M. B... par la Cour nationale du droit d'asile le 18 juillet 2023, qu'elle comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. S'agissant de l'examen de l'atteinte portée par la mesure d'éloignement à la vie privée et familiale de l'intéressé, si le requérant soutient qu'il n'a pas été tenu compte de son mariage en mars 2023 et de la naissance de ses deux enfants, il ne justifie toutefois pas avoir porté ces informations à la connaissance des services de la préfecture avant que n'intervienne la décision en litige. Il ressort d'ailleurs de sa fiche TélemOfpra, mise à jour le 31 mai 2023, qu'il s'y déclarait toujours célibataire. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la décision en litige et du défaut d'examen sérieux de sa situation ne peuvent qu'être rejetés.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. M. B... résidait sur le territoire français depuis quatre ans et demi à la date de la décision en litige. Il tient la durée de sa présence à l'examen de sa demande d'asile. S'il ressort des pièces du dossier qu'il a noué une relation avec une compatriote, qu'il a épousée le 10 mars 2023, et que le couple a eu deux enfants, en août 2021 et en avril 2023, cette circonstance n'est pas de nature à lui permettre de choisir de développer sa vie familiale en France, plutôt qu'au Nigéria dont ils ont tous les deux la nationalité. L'épouse du requérant a d'ailleurs fait l'objet d'une mesure d'éloignement prononcée à son encontre le 29 janvier 2021, et si l'intéressé soutient que celle-ci avait déposé une demande de titre de séjour, qui était en cours d'examen, il ressort du courrier du 30 janvier 2023 que sa demande d'engagement dans un parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle a été ajournée dans l'attente de nouvelles pièces. Le requérant n'établit pas que son épouse avait, à la date de la décision en litige, vocation à demeurer sur le territoire français. Ainsi, la mesure d'éloignement ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

10. En dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

11. Il ne ressort pas de la décision en litige qu'elle aurait pour effet de séparer M. B... de ses deux enfants mineurs, âgés de six mois et de deux ans à cette date, lesquels ont vocation à demeurer avec leur père et leur mère, qui ont tous deux fait l'objet d'une mesure d'éloignement à destination du même pays. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant doit être écarté.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

12. Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...). / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

13. M. B... soutient être exposé, en cas de retour au Nigéria, à des risques de traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, compte des persécutions qu'il a déjà subies en juin 2015 à raison de l'orientation homosexuelle qui lui a été imputée. Toutefois, en dehors de son récit, il ne produit aucun élément permettant de justifier qu'il courrait des risques actuels et personnels de subir des traitements contraires à ceux proscrits par l'article 3 de la convention précitée en cas de retour dans son pays d'origine. Sa demande d'asile a d'ailleurs été rejetée par l'OFPRA et par la CNDA. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions et stipulations précitées doit être écarté.

Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

14. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français devrait être annulée compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 19 janvier 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 31 octobre 2023. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris les conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Snoeckx et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 5 juin 2025, à laquelle siégeaient :

M. Agnel, président,

Mme Stenger, première conseillère,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 juin 2025.

La rapporteure,

Signé : H. Brodier Le président,

Signé : M. Agnel

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 24NC00891


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NC00891
Date de la décision : 26/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. AGNEL
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : SNOECKX

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-26;24nc00891 ?
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