VU le recours, enregistré le 3 mai 1991, sous le n° 91NT00302, présenté par le MINISTRE CHARGE DU BUDGET ;
Le ministre demande à la Cour :
1°) à titre principal, d'annuler le jugement, en date du 20 décembre 1990, par lequel le Tribunal adminis-tratif d'Orléans a accordé à la société Champel Allaigre Sorets la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, et des pénalités y afférentes, auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1980 à 1983 ;
2°) de remettre intégralement l'imposition contes-tée à la charge de la société Champel Allaigre Sorets ;
3°) à titre subsidiaire, de rétablir cette imposition à hauteur d'une réintégration de 2 607 237 F au titre de l'année 1980 et intégralement pour les autres années, et de réformer en ce sens le jugement précité ;
4°) à titre très subsidiaire, de rétablir cette imposition à hauteur d'une réintégration reconnue justifiée par la société elle-même, soit 233 710 F au titre de 1980, et de réformer en ce sens le jugement précité ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code général des impôts ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 novembre 1992 :
- le rapport de M. GRANGE, conseiller,
- les observations de Me AURILLAC, avocat de la société Champel Allaigre Sorets,
- et les conclusions de M. LEMAI, commissaire du gouvernement,
Considérant que la société Champel Allaigre Sorets, qui exerce à Orléans (Loiret) une activité d'exploitant de chauffage, a conclu avec ses clients des contrats dits de garantie totale des équipements, par lesquels elle s'engage à assurer le fonctionnement des installations qui lui sont confiées, ainsi que leur entretien, leur réparation ou leur remplacement, en contrepartie de redevances annuelles ; qu'elle a déduit de ses résultats des exercices 1980 à 1983 des provisions destinées à faire face au risque résultant de la nécessité de remplacer en cours de contrat les matériels usagés ; que l'administration a procédé à la réintégration de ces provisions ; que le MINISTRE CHARGE DU BUDGET fait appel du jugement du Tribunal administratif d'Orléans qui a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés résultant de ces réintégrations ;
Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable pour la détermination de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : "1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant ... notamment : ...5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des évènements en cours rendent probables ..." ; qu'il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise ; qu'en outre, en ce qui concerne les provisions pour charges, elles ne peuvent être déduites au titre d'un exercice que si se trouvent comptabilisés, au titre du même exercice, les produits afférents à ces charges et qu'en ce qui concerne les provisions pour perte, elles ne peuvent être déduites que si la perspective de cette perte se trouve établie par la comparaison, pour une opération ou un ensemble d'opérations suffisamment homogènes, entre les coûts à supporter et les recettes escomptées ;
Considérant que les contrats dits de garantie totale se distinguent des contrats de fourniture de combustible et des contrats d'entretien que la société Champel Allaigre Sorets propose également à ses clients et constituent un ensemble d'opérations, comprenant l'entretien et la garantie des installations, en contrepartie de redevances annuelles, qui est homogène du point de vue des droits et des obligations qui les caractérisent et distinct des autres opérations de la société ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société a constitué, au titre des exercices clos en 1980, 1981, 1982 et 1983, des provisions calculées sur la valeur actualisée de remplacement des installations couvertes par la garantie assurée pour chaque contrat en cours, estimée au coût du matériel et de la main d'oeuvre, et divisée par le nombre d'années pour lequel les contrats ont été conclus ; qu'elle propose d'en confirmer les résultats par une nouvelle méthode consistant à intégrer, dans l'évaluation de la valeur de remplacement actualisée, les coûts indirects affectant cette valeur, sous déduction des redevances perçues ou à percevoir jusqu'au terme de la durée de vie prévisible des installations, elles-mêmes actualisées par un indice de variation des prix limité par des engagements de modération qu'elle aurait alors souscrits ; que l'administration conteste tant le principe que les modalités de calcul de ces provisions ;
Considérant que les contrats susmentionnés entraî-nent le versement au profit de la société de redevances qui ne peuvent être comptabilisées, conformément aux disposi-tions de l'article 38.2 bis relatives aux sommes perçues en contrepartie de prestations continues, qu'au fur et à mesure des échéances annuelles des contrats et non pas en totalité au cours de l'exercice pendant lequel les contrats ont été conclus ; que, par suite, aucune provision pour charge globale ne saurait être constituée au titre de ces contrats ;
Considérant que si la société Champel Allaigre Sorets a entendu constituer des provisions pour perte, celles-ci doivent notamment remplir la condition relative à la probabilité de la perte, laquelle ne peut être regardée comme telle que si la société établit, pour chaque exercice, le cas échéant par une méthode statistique, que l'ensemble des contrats de garantie en cours pourrait se traduire, lors de leur dénouement, par une perte susceptible, dès lors, de faire l'objet d'une provision ;
Considérant que les éléments de calcul de chacune des deux méthodes proposées par la société Champel Allaigre Sorets reposent sur le principe que la garantie assurée par les contrats conduira nécessairement l'entreprise à procéder au remplacement de toutes les installations couvertes par cette garantie ; qu'un tel principe, qui ne tient pas compte, à la différence d'un bilan prévisionnel des pertes, des seules garanties susceptibles d'être mises en jeu pour les clients et ne permet pas de déterminer le déséquilibre qui en résulterait, pour l'ensemble des contrats de garantie, entre les produits qu'ils procurent à l'entreprise et les charges globales qu'elle devra supporter, ne permet pas d'établir, dans ces conditions, la probabilité d'une perte à la clôture des exercices en cause ; que, par suite, les provisions litigieuses ne pouvaient être régulièrement déduites par la société Champel Allaigre Sorets au titre de ces exercices ;
Considérant, il est vrai, que la société Champel Allaigre Sorets se prévaut, sur le fondement de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales, d'une lettre adressée le 20 janvier 1989 par le service de la législation fiscale du ministère de l'économie, des finances et du budget au président du syndicat national des entreprises de gestion d'équipements thermiques et de climatisation, qui justifierait les provisions constituées ; que, cependant, la société Champel Allaigre Sorets n'est, en tout état de cause, pas fondée à se prévaloir d'une interprétation postérieure à la mise en recouvrement des impositions litigieuses ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE CHARGE DU BUDGET est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif d'Orléans a prononcé la décharge des cotisations supplémen-taires d'impôt sur les sociétés assignées à la société Champel Allaigre Sorets au titre des années 1980 à 1983 ;
Article 1er - Le jugement en date du 20 décembre 1990 du Tribunal administratif d'Orléans est annulé.
Article 2 - Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés assignées à la société Champel Allaigre Sorets au titre des années 1980 à 1983, ainsi que les pénalités dont elles ont été assorties, sont remises intégralement à sa charge.
Article 3 - Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DU BUDGET et à la société Champel Allaigre Sorets.