Vu la requête, enregistrée le 7 mai 2012, présentée pour la société Grand Casino de la Trinité-sur-Mer, dont le siège social est situé 4 et 6, rue de Carnac à la Trinité-sur-Mer (56470), par le cabinet d'avocats CMS Bureau Francis Lefebvre ; la société Grand Casino de la Trinité-sur-Mer demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0905319 en date du 8 mars 2012 en tant que le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la restitution des prélèvements sur le produit brut des jeux qu'elle a acquittés au titre des saisons allant du 1er novembre 2004 au 31 octobre 2008 ;
2°) de prononcer la restitution demandée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que :
- le jugement attaqué a omis de répondre au moyen tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire pour définir l'assiette et les modalités de recouvrement des prélèvements sur les jeux ;
- le pouvoir réglementaire était incompétent, au regard de l'article 34 de la Constitution, pour déterminer l'assiette, qui jusqu'à l'intervention de l'article 129 de la loi n° 2008-1443 introduisant l'article L. 2333-55-1 dans le code général des collectivités territoriales n'était définie que par l'article 15 du décret du 22 décembre 1959, et les modalités de recouvrement des prélèvements sur les jeux, qui jusqu'à l'intervention de l'article 27 de la loi du 22 juillet 2009 n'étaient définies que par l'article 22 du décret du 22 décembre 1959 ;
- les dispositions du III de l'article 27 de la loi du 22 juillet 2009 ont prévu une validation rétroactive des prélèvements contestés par le moyen précité ; mais cette validation, certes déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel en sa décision du 14 octobre 2010, n'en est pas moins contraire aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est titulaire d'un bien au sens de ces stipulations, constitué par l'espérance légitime d'obtenir la restitution des sommes en cause, les premiers juges ayant confondu à tort les notions de propriété et de créance pour écarter ce moyen ; l'atteinte portée par la loi de validation à ses droits protégés par ces stipulations n'était pas justifiée par un impérieux motif d'intérêt général, il y a lieu d'écarter cette loi de validation comme inconventionnelle ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 juin 2012, présenté par le ministre de l'économie, des finances et du commerce extérieur, qui conclut au rejet de la requête ;
il soutient que :
- la loi de validation du 22 juillet 2009 fait obstacle à ce que les prélèvements soient contestés par le moyen tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire ;
- cette loi est conforme à la Constitution, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-53 QPC du 14 octobre 2010 ;
- les dispositions du III de l'article 27 de la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 ne méconnaissent pas l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; ce moyen doit être écarté car il est, à titre principal, inopérant et, à titre subsidiaire, infondé, dès lors que la société requérante ne démontre ni qu'elle est titulaire d'un " bien " au sens de cette stipulation ni que l'Etat y aurait porté une atteinte injustifiée ;
Vu le mémoire, enregistré le 23 juillet 2012, présenté pour la société Grand Casino de la Trinité-sur-Mer, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;
elle précise, en réponse aux arguments de l'administration que la restitution des impositions litigieuses ne traduirait nullement un effet d'aubaine et que l'objectif de bonne gestion des deniers publics, l'encombrement des juridictions, la continuité des services publics locaux, la politique de sécurité publique et de protection de la santé ne constituent pas des justifications suffisantes ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi du 15 juin 1907 réglementant les jeux dans les cercles et les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques ;
Vu la loi du 29 avril 1926 portant budget général de 1926 ;
Vu la loi n°71-1028 du 24 décembre 1971 ;
Vu la loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990 ;
Vu la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 ;
Vu la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 ;
Vu la loi n°2009-888 du 22 juillet 2009 ;
Vu l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 ;
Vu le décret n°59-1489 du 22 décembre 1959 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 mars 2015 :
- le rapport de M. Bataille, président de chambre ;
- et les conclusions de Mlle Wunderlich, rapporteur public ;
1. Considérant qu'au cours de la période du 1er novembre 2004 au 31 octobre 2008, la société Grand Casino de la Trinité-sur-Mer exploitait un casino dans les conditions fixées par la loi du 15 juin 1907 relative aux casinos et était soumise à ce titre à plusieurs prélèvements sur le produit brut des jeux, à savoir le prélèvement progressif sur le produit brut des jeux institué par les dispositions combinées de l'article 4 alors en vigueur de cette loi et de l'article 14 alors en vigueur de la loi du 29 avril 1926 portant budget général de 1926, le prélèvement progressif en faveur des communes et des établissements publics de coopération intercommunale établi en application de l'article L. 2333-54 du code général des collectivités territoriales, le prélèvement fixe de 0,5 % sur le produit brut des jeux dans les casinos et de 2 % sur le produit brut des jeux des appareils automatiques de jeux d'argent établi par l'article 50 de la loi du 29 décembre 1990 de finances pour 1991, la contribution sur le produit brut de certains jeux réalisé dans les casinos prévue par l'article L. 136-7-1 du code de la sécurité sociale et la contribution sur la totalité du produit brut des jeux réalisé dans les casinos, établie en application de l'article 18 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale ; que par une réclamation en date du 26 décembre 2008 reçue le 29 décembre 2008, la société Grand Casino de la Trinité-sur-Mer a demandé la restitution de l'ensemble des prélèvements qu'elle a acquittés au titre de la période du 1er novembre 2004 au 31 octobre 2008 ; que cette réclamation ayant été implicitement rejetée, la société requérante a saisi le tribunal administratif de Rennes qui, par un jugement du 8 mars 2012, a rejeté sa demande tendant à la restitution de ces prélèvements ; que la société Grand Casino de la Trinité-sur-Mer fait appel de ce jugement ;
2. Considérant que la société requérante fait valoir d'une part que le jugement attaqué a omis de répondre au moyen tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire pour définir l'assiette et les modalités de recouvrement des prélèvements sur les jeux, d'autre part que le pouvoir réglementaire était effectivement incompétent, au regard de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 aux termes duquel la loi fixe les règles concernant " l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ", pour déterminer l'assiette, qui jusqu'à l'intervention de l'article 129 de la loi n° 2008-1443 introduisant l'article L. 2333-55-1 dans le code général des collectivités territoriales n'était définie que par l'article 15 du décret du 22 décembre 1959, et les modalités de recouvrement des prélèvements sur les jeux, qui jusqu'à l'intervention de l'article 27 de la loi du 22 juillet 2009 n'étaient définies que par l'article 22 du décret du 22 décembre 1959 et enfin que si les dispositions du III de l'article 27 de la loi du 22 juillet 2009 ont prévu une validation rétroactive des prélèvements contestés par le moyen précité, cette validation, certes déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel en sa décision du 14 octobre 2010, n'en est pas moins contraire aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle était titulaire d'un bien, au sens de ces stipulations, constitué par l'espérance légitime d'obtenir la restitution des sommes en cause et que l'atteinte portée par la loi de validation à ses droits protégés par ces stipulations n'était justifiée par aucun impérieux motif d'intérêt général ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ;
4. Considérant qu'une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte ; qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations ; que, par ailleurs, si ces stipulations ne font en principe pas obstacle à ce que le législateur adopte de nouvelles dispositions remettant en cause, fût-ce de manière rétroactive, des droits patrimoniaux découlant de lois en vigueur, ayant le caractère d'un bien au sens de ces stipulations, c'est à la condition de ménager un juste équilibre entre l'atteinte portée à ces droits et les motifs d'intérêt général susceptibles de la justifier ;
5. Considérant que, par le paragraphe III de l'article 27 de la loi du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques, le législateur a validé, sous réserve des décisions passées en force de chose jugée, " les prélèvements spécifiques aux jeux des casinos exploités en application de la loi du 15 juin 1907 relative aux casinos, dus au titre d'une période antérieure au 1er novembre 2009, en tant qu'ils seraient contestés par un moyen tiré de ce que leur assiette ou leurs modalités de recouvrement ou de contrôle ont été fixées par voie réglementaire " ;
6. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 2, la société requérante soutient que la validation législative citée au point 5 du présent arrêt est contraire aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle était titulaire d'un bien, au sens de ces stipulations, constitué par l'espérance légitime d'obtenir la restitution des sommes en cause et que l'atteinte portée par la loi de validation à ses droits protégés par ces stipulations n'était justifiée par aucun impérieux motif d'intérêt général ; que, toutefois, il résultait de l'article 18 du décret du 22 décembre 1959 mentionné au point 2, alors en vigueur, que les sommes représentant le montant des prélèvements en cause sont la propriété, non des exploitants des casinos, mais de l'Etat et des autres bénéficiaires de ces prélèvements, dès leur entrée dans la " cagnotte " du casino pour les jeux de cercle et dès leur inscription sur les carnets de prélèvement pour les jeux de contrepartie et les " machines à sous " ; qu'ainsi, les exploitants de casinos ne sont, s'agissant des sommes correspondant à ces prélèvements, que dépositaires de fonds publics pour le compte de collectivités publiques ; que la société requérante ne peut dès lors revendiquer la propriété d'un " bien " auquel il aurait été porté atteinte, au sens de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, le moyen tiré de l'inconventionnalité du paragraphe III de l'article 27 de la loi du 22 juillet 2009 au regard de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté comme inopérant ;
7. Considérant en second lieu qu'il résulte de ce qui a été dit au point 6 du présent arrêt que le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire n'était pas compétent pour fixer les règles relatives à l'assiette et aux modalités de recouvrement des prélèvements sur les jeux est également inopérant ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Grand Casino de la Trinité-sur-Mer n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, qui n'est entaché d'aucune omission à statuer sur un moyen opérant, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;
9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Grand Casino de la Trinité-sur-Mer demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Grand Casino de la Trinité-sur-Mer est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Grand Casino de la Trinité-sur-Mer et au ministre des finances et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2015, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- Mme Aubert, président-assesseur,
- M. Etienvre, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 avril 2015 .
Le président rapporteur,
F. BATAILLE L'assesseur le plus ancien,
S. AUBERT
Le greffier,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
''
''
''
''
N° 12NT011762
1