Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
1. La société Meubles IKEA France a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler, d'une part, la décision de l'inspecteur du travail d'Ille-et-Vilaine du 9 février 2015 refusant d'accorder l'autorisation de licenciement pour motif personnel de M. E... ainsi que, d'autre part, la décision du ministre chargé du travail rejetant implicitement son recours hiérarchique tendant au retrait de la décision de l'inspecteur du travail d'Ille-et-Vilaine du 9 février 2015 ;
2. M. E...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 7 octobre 2015 par laquelle le ministre chargé du travail a, d'une part, procédé au retrait de sa décision implicite rejetant son recours hiérarchique et, d'autre part, annulé la décision du 9 février 2015 de l'inspecteur du travail et a autorisé son licenciement.
Par un jugement nos 1504614, 1505480 du 31 octobre 2017, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du ministre chargé du travail du 7 octobre 2015 et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 janvier et le 15 novembre 2018, la société Meubles IKEA France, représentée par Me Charat, demande à la cour :
1°) d'annuler ou réformer le jugement du tribunal administratif de Rennes du 31 octobre 2017 ;
2°) d'annuler, d'une part, la décision de l'inspecteur du travail d'Ille-et-Vilaine du 9 février 2015 refusant d'accorder l'autorisation de licenciement pour motif personnel de M. E... ainsi que, d'autre part, la décision du ministre du travail rejetant implicitement son recours hiérarchique tendant au retrait de la décision de l'inspecteur du travail d'Ille-et-Vilaine du 9 février 2015 ;
3°) de rejeter la demande de M. E...devant le tribunal administratif de Rennes ;
4°) de mettre à la charge de M. E...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- le jugement attaqué est irrégulier car il ne comporte pas les signatures exigées à l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- il est insuffisamment motivé ;
Sur le bien- fondé du jugement :
- les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation et une erreur de qualification juridique des faits en estimant qu'elle n'était pas fondée à se prévaloir d'une atteinte à son image ou à sa réputation, le comportement reproché au salarié de par sa gravité et son existence porte nécessairement atteinte à la réputation et à l'image de l'employeur ;
- le seul fait d'avoir commis un détournement de fonds au détriment du comité d'entreprise rend impossible le maintien du salarié protégé dans l'entreprise ;
- les salariés ont attesté de troubles au sein de l'entreprise en cas de maintien de M. E... ;
- la seule défiance des membres du comité d'établissement suffit à elle seule à caractériser un retentissement sur le fonctionnement de l'entreprise et le retour de M. E...après le jugement du tribunal correctionnel de Rennes, confirmé par la cour d'appel de Rennes le 22 février 2018, reconnaissant sa culpabilité a eu une incidence sur le fonctionnement de l'entreprise ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que les agissements de M. E... n'étaient pas de nature à rendre impossible son maintien dans l'entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions ;
- en ce qui concerne la décision de l'inspecteur du travail d'Ille-et-Vilaine du 9 février 2015 et la décision implicite de rejet du recours hiérarchique de la société Ikea France :
* la décision du 9 février 2015 a été signée par une autorité incompétente ;
* l'enquête contradictoire menée par l'inspecteur du travail a été viciée dès lors qu'elle n'a pas pu discuter les arguments avancés par M. E... et n'a jamais pu y répondre, notamment, sur le prétendu lien entre le mandat exercé par l'intéressé et la demande d'autorisation de licenciement ;
* elle peut se prévaloir d'une atteinte à son image ou à sa réputation ;
* les agissements de M. E... sont de nature à rendre impossible son maintien dans l'entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions ;
* il n'existe aucun lien entre la demande d'autorisation de licenciement de l'intéressé et l'exercice par ce dernier de son mandat de représentant du personnel ;
* par l'évocation ou l'effet dévolutif de l'appel, la cour rejettera les moyens de M. E... dirigés contre la décision du ministre du travail du 7 octobre 2015.
Par un mémoire, enregistré le 1er février 2019, la ministre du travail conclut à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes du 31 octobre 2017 et au rejet de la demande de première instance M.E....
La ministre fait valoir que :
- les malversations financières de M. E...ont affecté le dialogue social dans l'entreprise et en ont donc indirectement perturbé le fonctionnement ;
- les membres du comité d'entreprise se sont inquiétés des répercussions de cette affaire sur l'évolution de leurs relations professionnelles avec leurs collègues de travail et de la réaction de ceux qui sont amenés à travailler en prise directe avec M.E... ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 février 2019, M. B...E...conclut au rejet de la requête de la société Meubles IKEA France et des conclusions de la ministre du travail, à la réformation du jugement en ce qu'il l'a débouté de ses autres demandes, et notamment celle tendant à obtenir une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, enfin, à la condamnation de la société Meubles IKEA France à lui verser la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Meubles IKEA France et la ministre du travail ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pons,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- les observations de Me Charat, avocat de la société Meubles IKEA France et de Me MeD..., représentant M.E....
Une note en délibéré, présentée pour la société Meubles IKEA France, a été enregistrée le 26 juin 2019.
Considérant ce qui suit :
1. La société Meubles IKEA France a demandé à l'inspecteur du travail d'Ille-et-Vilaine l'autorisation de licencier pour faute M.E..., embauché depuis le 1er avril 2006 en qualité d'employé logistique au sein de l'établissement Ikea Paris Nord II, puis à compter du 15 septembre 2008 au sein de l'établissement Ikea à Pacé, et exerçant le mandat de conseiller du salarié depuis le 10 avril 2014. Par décision du 9 février 2015, l'inspecteur du travail d'Ille-et-Vilaine a refusé d'accorder l'autorisation sollicitée. Par courrier du 9 avril 2015, la société Meubles IKEA France a formé un recours hiérarchique contre cette décision, qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet du ministre chargé du travail. Par une décision du 7 octobre 2015, le ministre chargé du travail a, d'une part, retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique et, d'autre part, annulé la décision de l'inspecteur du travail du 9 février 2015 et a autorisé le licenciement de M.E.... Par sa présente requête, la société Meubles IKEA France relève appel du jugement du 31 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du ministre chargé du travail du 7 octobre 2015 et a rejeté le surplus des conclusions des parties dans les instances nos 1504614 et 1505480.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un acte ou un comportement du salarié survenu en dehors de l'exécution de son contrat de travail, notamment dans le cadre de l'exercice de ses fonctions représentatives, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits en cause sont établis et de nature, compte tenu de leur répercussion sur le fonctionnement de l'entreprise, à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions et à l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé.
3. Il est reproché à M. E...de s'être fait doublement rembourser par le comité d'entreprise et par son employeur des frais de déplacement occasionnés, entre les mois de mai et d'octobre 2010, par l'exercice de son mandat de membre du comité d'entreprise, pour un montant total de 2 672,79 euros. Il est également reproché au salarié d'avoir, le 12 octobre 2010, effectué sur le compte du comité d'entreprise, un prélèvement de 1 500 euros afin de financer sa défense dans le cadre de la plainte déposée contre lui par le comité d'entreprise.
4. Les faits reprochés à M. E...sont établis et ne sont pas contestés. Pour ces faits, traduisant un usage dévoyé de son mandat, l'intéressé a été pénalement condamné pour abus de confiance par la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Rennes le 4 septembre 2014, jugement confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Rennes du 22 février 2018. Contrairement à ce qu'a pu estimer le tribunal, si les malversations financières en question n'ont pas fait l'objet de publicité au sein de l'entreprise ni d'article de presse, elles ont affecté le dialogue social dans l'entreprise et ont donc indirectement perturbé son fonctionnement. Eu égard au caractère public des condamnations de M.E..., celles-ci ne pouvaient être ignorées par les collègues de l'intéressé, notamment par les membres du comité d'entreprise. Il est constant que les membres de ce comité ont également, à plusieurs reprises, manifesté leurs inquiétudes quant aux répercussions du comportement de l'intéressé sur l'évolution de leurs relations professionnelles avec les salariés de l'entreprise et quant à la réaction des collègues de travail de M.E.... Les malversations financières commises ont été de nature à créer un climat de suspicion ayant nécessairement des répercussions sur le bon fonctionnement de la société. Dans ces conditions, compte tenu de la répercussion des condamnations sur le fonctionnement de l'entreprise, celles-ci rendaient impossible le maintien du salarié au sein de cette dernière, eu égard à la nature de ses fonctions. Par suite, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les agissements dont il s'agit n'étaient pas de nature à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et ont, pour ce motif, annulé la décision du ministre du travail du 7 octobre 2015 par laquelle le ministre a, d'une part, procédé au retrait de sa décision implicite rejetant son recours hiérarchique, et a, d'autre part, annulé la décision du 9 février 2015 de l'inspecteur du travail et a autorisé le licenciement de M.E....
5. Il y a lieu, par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens évoqués par M. E...à l'appui de sa demande d'annulation de la décision du ministre chargé du travail du 7 octobre 2015.
6. Par une décision du 11 août 2015, publiée au Journal officiel de la République Française du 14 août 2015, M. C...A...a reçu délégation du directeur général du travail à l'effet de signer, dans la limite des attributions du bureau du statut protecteur et au nom du ministre chargé du travail, tous actes, décisions ou conventions, à l'exclusion des décrets. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée doit être écarté.
7. M.E..., exerçant le mandat de conseiller du salarié, ne saurait utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article R. 2421-10 du code du travail, qui ne s'appliquent qu'aux seuls délégués du personnel, membres du comité d'entreprise et membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Enfin, à supposer que le délai de quinze jours prévu par les articles R. 2421-1 à R. 2421-7 du code du travail n'ait pas été respecté, ce délai n'est pas prescrit à peine de nullité.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que la société Meubles IKEA France et la ministre du travail sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement en cause, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du ministre du travail du 7 octobre 2015 par laquelle le ministre a, d'une part, procédé au retrait de sa décision implicite rejetant son recours hiérarchique, et a, d'autre part, annulé la décision du 9 février 2015 de l'inspecteur du travail et a autorisé le licenciement de M. E....
9. La décision du ministre du 7 octobre 2015 ayant procédé au retrait de sa décision implicite rejetant le recours hiérarchique et s'étant substituée à la décision de l'inspectrice du travail du 9 février 2015, la demande de la société Meubles IKEA France, tendant à l'annulation de ces décisions, est devenue sans objet.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Meubles IKEA France, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. E... demande au titre des frais liés au litige. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, à mettre à la charge de M. E... la somme demandée par la société Meubles IKEA France au titre des mêmes frais.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 31 octobre 2017 du tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 2 : La demande de M. E...devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de la société Meubles IKEA France tendant à l'annulation, d'une part, de la décision de l'inspecteur du travail d'Ille-et-Vilaine du 9 février 2015 refusant d'accorder l'autorisation de licenciement pour motif personnel de M. E... ainsi que, d'autre part, de la décision du ministre du travail rejetant implicitement son recours hiérarchique.
Article 4 : Les conclusions de la société Meubles IKEA France sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Meubles IKEA France, à M. B...E...et à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 24 juin 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 juillet 2019.
Le rapporteur,
F. PONSLe président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 18NT00120