Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 6 juillet 2018 par lequel la préfète d'Indre-et-Loire a décidé son expulsion du territoire français.
Par un jugement n° 1803618 du 7 février 2019, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 29 juillet 2019, M. B..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif du 7 février 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 6 juillet 2018 prononçant son expulsion ainsi que celui du même jour fixant son pays de renvoi.
Il soutient que :
- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'il entre dans le champ des exceptions visées à l'article L. 521-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il est en effet très présent pour ses deux filles et réside régulièrement en France depuis plus de dix ans ;
- cette décision porte une atteinte disproportionnée au respect de sa vie privée et familiale ; une expulsion aurait des conséquences particulièrement graves pour sa santé ; les soins qui lui sont dispensés en France ne sont pas disponibles au Togo ;
- il ne présente pas une menace grave pour l'ordre public ; la majorité de ses condamnations pénales anciennes présentent un lien avec son addiction à certains médicaments pris dans le cadre de son traitement prescrit contre le VIH ; ces condamnations concernent des faits de vol, de faux et usage de faux.
Vu les pièces desquelles il résulte que la requête a été communiquée à la préfète d'Indre-et-Loire, pour laquelle il n'a pas été produit de mémoire.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 juin 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant togolais, relève appel du jugement du 7 février 2019 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 6 juillet 2018 par lesquels la préfète d'Indre-et-Loire a décidé son expulsion du territoire français et a fixé le Togo comme pays dans lequel il sera renvoyé.
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public. ". Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion que si cette mesure constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et sous réserve que les dispositions de l'article L. 521-3 n'y fassent pas obstacle : 1° L'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an (...) ; 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " (...) ".
3. Il n'est pas contesté que M. B... est le père de deux enfants français, Mégane, née le 9 décembre 2003 et Océane, née le 15 mai 2005. Il a d'ailleurs bénéficié à ce titre d'une carte de séjour temporaire valable du 30 septembre 2003 au 8 mars 2005, renouvelée pour la période du 29 décembre 2006 au 2 janvier 2011 puis d'une carte de résident valable jusqu'au 2 janvier 2021. Si par deux jugements du tribunal de grande instance de Niort des 19 juin 2007 et 10 mars 2011, la résidence habituelle de ses deux enfants a été fixée chez leur mère, le requérant a néanmoins obtenu un droit de visite et d'hébergement de ceux-ci en fin de semaine et pendant la moitié des vacances scolaires. Il devait verser à la mère de ses filles une contribution fixée dans un premier temps à 50 euros par enfant, puis à la suite de son déménagement à
Saint-Pierre-des-Corps en juin 2009, à 50 euros pour les deux enfants. Si M. B... se prévaut d'attestations de la mère de ses enfants du 11 janvier 2010 et de ses filles du 10 novembre 2018 et 17 et 18 février 2019, il n'apporte cependant aucun autre justificatif de nature à établir qu'il contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de ses filles dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil. Par suite, il n'est pas fondé à se prévaloir des dispositions précitées du 1° de l'article L. 521-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans les prévisions desquelles il n'entre pas.
4. Si M. B... soutient qu'il vit en France depuis 2001, il ressort des pièces du dossier que, d'une part, il a fait l'objet d'un refus de titre de séjour assorti d'une invitation à quitter le territoire français prise par le préfet des Deux-Sèvres le 2 décembre 2005 et qu'il s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français. D'autre part, il a passé plus de 7 ans en détention au titre des différentes peines privatives de libertés prononcées à son encontre, qui ne peuvent s'imputer dans le calcul des durées de résidence mentionnées par les dispositions du 4º de l'article L. 521-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il suit de là, que M. B... ne saurait se prévaloir d'une résidence habituelle de plus de dix ans en France au sens de ces dispositions. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée serait entachée d'une erreur de droit ne peut qu'être écarté.
5. Toutefois, les infractions pénales commises par un étranger ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une mesure d'expulsion et ne dispensent pas l'autorité compétente d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace grave pour l'ordre public. Lorsque l'administration se fonde sur l'existence d'une telle menace pour prononcer l'expulsion d'un étranger, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.
6. La décision contestée a été prise à l'encontre de M. B... " en raison de ses multiples condamnations et de l'ensemble de son comportement, à savoir une délinquance habituelle et une absence d'intégration dans la société française ", sa présence constituant selon la préfète une menace grave pour l'ordre public. Il est constant que l'intéressé a été condamné à plus de 7 ans cumulés d'emprisonnement à raison de faits de vols, d'escroquerie, de faux en écriture, recel, contrefaçon et falsification de chèque entre 2005 et 2017. Il a été interpellé pour de nouveaux faits de vol d'un téléphone portable, de transport non autorisé de stupéfiants (le Stilnox) et de recel de bien provenant d'un vol (ordonnances médicales) commis le 1er juin 2018 puis incarcéré du 2 au 25 juin 2018. Le caractère répété de ces délits, s'il peut attester du défaut d'intégration de M. B... à la société française, ne suffit toutefois pas à caractériser une menace grave pour l'ordre public au sens de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, l'intéressé est fondé à soutenir qu'en prononçant son expulsion du territoire français, la préfète d'Indre-et-Loire a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 521-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par voie de conséquence, la décision du même jour fixant son pays de renvoi est également entachée d'illégalité.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1803618 du tribunal administratif d'Orléans du 7 février 2019 ainsi que les arrêtés du 6 juillet 2018 de la préfète d'Indre-et-Loire prononçant l'expulsion de M. B... du territoire français et fixant le Togo comme pays de renvoi de l'intéressé sont annulés.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre de l'intérieur. Une copie sera transmise à la préfète d'Indre-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 17 janvier 2020 à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 février 2020.
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
H. LENOIR
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT03064