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31/07/2020 | FRANCE | N°19NT02888

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 31 juillet 2020, 19NT02888


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes :

1. d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune de Changé a rejeté sa demande du 28 octobre 2015 tendant à l'établissement d'un contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2015 et à l'application à cette date de l'indice brut 518 (indice majoré 445) ;

2. d'annuler le contrat de travail du 26 août 2015 en tant qu'il est conclu pour une durée déterminée et qu'il ne prévoit pas une rémun

ération correspondant à l'indice brut 518 (indice majoré 445) ;

3. de condamner la commune de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes :

1. d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune de Changé a rejeté sa demande du 28 octobre 2015 tendant à l'établissement d'un contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2015 et à l'application à cette date de l'indice brut 518 (indice majoré 445) ;

2. d'annuler le contrat de travail du 26 août 2015 en tant qu'il est conclu pour une durée déterminée et qu'il ne prévoit pas une rémunération correspondant à l'indice brut 518 (indice majoré 445) ;

3. de condamner la commune de Changé à lui verser la somme de 24 818,79 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la requête et de la capitalisation des intérêts ;

4. d'enjoindre à la commune de Changé, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement, de régulariser sa situation, pour la période du 1er septembre 2013 au 31 août 2017, en lui proposant un contrat à durée indéterminée la reclassant à l'indice brut 518 (indice majoré 445) et en reconstituant sa carrière en ce qui concerne sa rémunération et ses cotisations sociales et de retraite ;

5. d'enjoindre à la communauté d'agglomération Laval Agglomération, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement, de régulariser sa situation, à partir du 1er septembre 2017, en lui proposant un contrat à durée indéterminée la reclassant à l'indice brut 518 (indice majoré 445) et en reconstituant sa carrière en ce qui concerne sa rémunération et ses cotisations sociales et de retraite.

Par un jugement n°1601405 du 3 octobre 2018, le tribunal administratif de Nantes a :

- dans son article 1er : annulé le contrat conclu entre Mme E... et la commune de Changé le 26 août 2015, en tant que conclu pour une durée déterminée et a fixé le calcul de la rémunération de l'intéressée sur la base de l'indice brut 378 (indice majoré 348) ;

- dans son article 2 : annulé la décision implicite de la commune de Changé refusant de modifier le contrat conclu avec Mme E... le 26 août 2015 ;

- dans son article 3 : enjoint à la communauté d'agglomération Laval Agglomération de régulariser la situation de Mme E... en la recrutant, à compter du 1er septembre 2015, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée prenant en compte la totalité de son ancienneté et en reconstituant sa carrière, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement ;

- dans son article 4 : condamné la communauté d'agglomération Laval Agglomération à verser à Mme E... la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral augmentée des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2016 et de la capitalisation des intérêts à compter du 19 février 2017 puis à chaque échéance annuelle.

Procédures devant la cour :

I - Par une requête et un mémoire, enregistrés le 30 novembre 2018 et le 4 juillet 2019 sous le n° 18NT04233, la communauté d'agglomération Laval Agglomération, représentée par la société d'avocats Avoxa, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 3 octobre 2018 ;

2°) de mettre à la charge de Mme E... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a fait une application erronée des dispositions de l'article L. 1224-3 du code du travail, Mme E... ne pouvait être recrutée en vertu d'un contrat de travail à durée indéterminé sur un poste d'assistant d'enseignement artistique qu'à la condition d'être titulaire du concours d'enseignement artistique et titulaire d'un diplôme de professeur de danse ;

- c'est à tort que les premiers juges ont annulé le contrat de travail de Mme E... du 26 août 2015, en tant qu'il a fixé le calcul de la rémunération de cette dernière sur la base de l'indice brut 378 majoré 348 :

* si les clauses d'un contrat de travail relatives à la rémunération relèvent de la catégorie des clauses " substantielles " de ce contrat, on ne peut toutefois en déduire que la rémunération constitue une composante intangible du contrat de travail en cas de reprise par une personne publique ;

* les agents contractuels recrutés dans le cadre de la reprise de l'activité d'une entité économique par une personne publique, ne disposent d'aucun droit à se voir appliquer la grille indiciaire de rémunération des agents titulaires ;

* un agent contractuel ne peut se prévaloir d'un droit à un déroulement de carrière identique à celui d'un agent titulaire, c'est-à-dire fondé sur l'application des grilles indiciaires qui tiennent compte de l'ancienneté ;

- à titre principal, Mme E... ne peut se prévaloir d'aucune faute qui aurait été commise par la collectivité et qui lui aurait causé un préjudice moral ;

- à titre subsidiaire, la demande indemnitaire de la requérante ne peut être que rejetée dès lors qu'elle n'établit pas la réalité de son préjudice ;

- à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire l'existence d'un préjudice moral est considérée comme établie, la réparation de ce préjudice ne saurait être mise à la charge de la communauté d'agglomération Laval Agglomération et devrait être supportée par la commune de Changé.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 6 mai et le 26 juillet 2019, Mme E... conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nantes du 3 octobre 2018 en tant qu'il rejette le droit à reconstitution de sa carrière sur la période antérieure au 1er septembre 2015 et sa demande indemnitaire fondée sur l'irrégularité de ses contrats ;

3°) à titre principal, d'enjoindre, d'une part, à la communauté d'agglomération Laval Agglomération de régulariser sa situation en reconstituant sa carrière à compter du 1er septembre 2013 en prenant en compte son ancienneté depuis le 1er février 1998 et en lui versant ces sommes accompagnées des intérêts aux taux légaux à compter du 29 octobre 2015, les intérêts échus à compter du 29 octobre 2016 puis à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date devant être capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts et, d'autre part, de régulariser ses droits à pension de retraite dans un délai de quinze jours suivant l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) à titre subsidiaire, de condamner la communauté d'agglomération Laval Agglomération à lui verser la somme de 31 134,17 euros outre les montants à parfaire accompagnée des intérêts aux taux légaux à compter du 29 octobre 2015, les intérêts échus à compter du 29 octobre 2016 puis à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date devant être capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts ;

5°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Laval Agglomération le versement à son conseil de la somme de 3 000 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, moyennant sa renonciation à percevoir la contribution versée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient :

- s'agissant de l'appel principal que, les moyens soulevés par la communauté d'agglomération Laval Agglomération ne sont pas fondés ;

- s'agissant de l'appel incident que :

* c'est à tort que le tribunal a refusé de faire droit à sa demande de régularisation de sa situation pour la période couverte par les contrats conclus les 1er septembre 2013 et 2014 car en demandant la réparation du préjudice né de ces contrats elle en a contesté la légalité ;

* le jugement doit être censuré en tant qu'il n'a pas prévu que la reconstitution de sa carrière sur la période postérieure au 1er septembre 2015 qui impliquait que lui soient versées les intérêts au taux légaux à compter du 29 octobre 2015 sur les créances dues ;

* son préjudice financier total peut être estimé à la somme de 31 134,17 euros.

La commune de Changé a été mise en cause dans l'instance n° 18NT04233 et la procédure lui a été communiquée pour observations par lettre du 25 février 2020.

Par un mémoire, enregistré le 10 juillet 2020, la commune de Changé conclut à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nantes du 3 octobre 2018 et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme E... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que dans l'hypothèse où la cour devait confirmer le jugement du tribunal, la réparation sollicitée par Mme E... doit rester à la charge de la communauté d'agglomération Laval Agglomération car aux termes d'une délibération de la commune de Changé du 7 juin 2017, le conseil municipal a accepté l'extension des compétences facultatives de Laval Agglomération, notamment celle de l'enseignement artistique, et le transfert d'une compétence donnée à un Etablissement Public de Coopération Intercommunale (EPCI) par l'une de ses communes entraîne le dessaisissement corrélatif et total de cette dernière en ce qui concerne ladite compétence.

II - Par une demande et des observations, enregistrées les 11 mars, 10 avril et 20 juin 2019 sous le n° 19NT02888, Mme E..., représentée par Me C..., demande à la cour l'exécution du jugement n° 1601405 du 3 octobre 2018.

Elle soutient que :

- la communauté d'agglomération Laval Agglomération a irrégulièrement reconstitué sa carrière dès lors que l'injonction prononcée par le tribunal impliquait une reprise de son ancienneté dès le 1er septembre 2015, l'agglomération ne pouvant satisfaire à l'injonction prononcée en n'octroyant qu'à compter de cette date une rémunération sur la base de l'indice brut 378 majoré 348 ;

- la communauté d'agglomération Laval Agglomération doit lui proposer un contrat à durée indéterminée rémunéré à l'échelon 8, soit l'indice 463 majoré 405 à compter du 1er septembre 2015, puis rémunéré à l'indice 502 majoré 433, à compter du 1er février 2017. Ce contrat à durée indéterminée doit ensuite être rémunéré à l'échelon 9 à l'indice 528 majoré 452 à compter du 1er septembre 2018, dès lors que l'exécution du jugement n'implique pas que la carrière de Mme E... ne connaisse plus d'évolution passé le 1er septembre 2015 ;

- la reconstitution de sa carrière implique d'une part, le versement des arriérés de salaire selon les indices sus-indiqués et d'autre part, le paiement des arriérés de cotisations, notamment de retraite.

Par des observations en défense, enregistrés les 9 mai et 7 juin 2019, la communauté d'agglomération Laval Agglomération conclut à l'exécution partielle du jugement attaqué :

Elle fait valoir que la transformation en contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2017 du contrat de Mme E... pose un problème juridique dès lors que la compétence " enseignement artistique " n'a été transférée à la communauté d'agglomération de Laval qu'à compter du 1er septembre 2017 et que toute régularisation en ce sens, impliquant de nouveaux versements, serait rejetée par la Trésorière du Pays de Laval.

Vu l'ordonnance du 22 juillet 2019 par laquelle la présidente de la cour administrative de Nantes a ouvert une procédure juridictionnelle en vue de prescrire les mesures d'exécution du jugement n° 1601405 rendu le 3 octobre 2018 par le tribunal administratif de Nantes.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par décision du 5 mars 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 2012-437 du 29 mars 2012 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me B... pour la communauté d'agglomération et de Me C... pour Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n°18NT04233 et n°19NT02888 présentées par la communauté d'agglomération Laval Agglomération et par Mme E... présentent à juger des questions liées et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. Mme E..., professeur de danse, a créé une école de danse sur le territoire de la commune de Changé, gérée par l'association " Khoréia " et a été employée par cette association dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée jusqu'à la reprise de l'activité de cette école par la commune de Changé, dans le cadre d'un transfert au service public artistique et culturel de la commune, à compter du 1er septembre 2013. Par un contrat signé le 29 août 2013, la commune de Changé a recruté Mme E... en qualité d'assistante d'enseignement artistique principale de 2ème classe pour une durée d'un an, du 1er septembre 2013 au 31 août 2014 et, par la suite, a renouvelé ce contrat chaque année. Le 28 octobre 2015, l'intéressée a saisi la commune d'une demande tendant à la conclusion, à compter du 1er septembre 2015, d'un contrat à durée indéterminée reprenant son ancienneté. Une décision implicite de rejet a été opposée à sa demande. Mme E... a alors demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation du contrat du 26 août 2015 en tant qu'il n'est pas à durée indéterminée et ne tient pas compte de son ancienneté, d'enjoindre à la commune de Changé de reconstituer sa carrière à compter du 1er septembre 2013 et, d'autre part, de condamner la commune à lui verser une indemnité d'un montant total de 24 818, 79 euros en réparation de son préjudice moral et financier. Les conclusions de la requérante ont été regardées par le tribunal comme étant dirigées contre la communauté d'agglomération Laval Agglomération venant aux droits de la commune de Changé pour la gestion de l'école de danse qu'elle a reprise à compter du 1er septembre 2017.

3. Par sa requête, la communauté d'agglomération Laval Agglomération demande à la cour l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nantes du 3 octobre 2018. Mme E..., par la voie de l'appel incident, demande l'annulation de ce jugement en tant qu'il a rejeté le droit à reconstitution de sa carrière sur la période antérieure au 1er septembre 2015 et sa demande indemnitaire fondée sur l'irrégularité de ses contrats.

Sur l'appel principal :

4. Mme E... ne saurait se prévaloir utilement des conditions irrégulières de son recrutement à la suite de la reprise de son contrat de professeur de danse par la commune de Changé en 2013 pour contester la légalité de son contrat de travail conclu le 26 août 2015. Par suite, c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur les moyens inopérants relatifs à la légalité du premier contrat de travail pour annuler le contrat conclu entre Mme E... et la commune de Changé le 26 août 2015, et, également, pour annuler la décision implicite de la commune de Changé refusant de modifier ce contrat. Il y a lieu, pour ce motif, d'annuler le jugement contesté.

5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés Mme E... devant le tribunal administratif de Nantes.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :

6. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de Mme E... tendant à l'annulation du contrat conclu avec la commune de Changé le 26 août 2015, ainsi que la décision implicite de la commune de Changé refusant de modifier ce contrat, exclusivement fondées sur des moyens relatifs à la légalité du contrat conclu le 29 aout 2013, ne peuvent qu'être rejetées.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'indemnisation :

S'agissant de la responsabilité de la communauté d'agglomération Laval Agglomération :

7. Dès lors que les contrats en cause ont été conclus par la commune de Changé et sont venus à expiration avant le transfert de compétence à la communauté d'agglomération Laval Agglomération et qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'exercice des compétences transférées auraient pour objet ou pour effet d'inclure les créances qui résultent de contrats conclus par la commune et venus à expiration avant le transfert, la communauté d'agglomération est fondée à soutenir que l'indemnisation des préjudices éventuellement subis par Mme E... doit être supportée par la commune de Changé.

S'agissant de la responsabilité de la commune de Changé :

8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1224-3 du code du travail : " Lorsque l'activité d'une entité économique employant des salariés de droit privé est, par transfert de cette entité, reprise par une personne publique dans le cadre d'un service public administratif, il appartient à cette personne publique de proposer à ces salariés un contrat de droit public, à durée déterminée ou indéterminée selon la nature du contrat dont ils sont titulaires. / Sauf disposition légale ou conditions générales de rémunération et d'emploi des agents non titulaires de la personne publique contraires, le contrat qu'elle propose reprend les clauses substantielles du contrat dont les salariés sont titulaires, en particulier celles qui concernent la rémunération. / En cas de refus des salariés d'accepter le contrat proposé, leur contrat prend fin de plein droit. La personne publique applique les dispositions relatives aux agents licenciés prévues par le droit du travail et par leur contrat ".

9. Il résulte des dispositions précitées, interprétées au regard des objectifs poursuivis par la directive 2001/23/CE du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements, qu'en écartant, en l'absence même de toute disposition législative ou réglementaire contraire, la reprise des clauses du contrat dont le salarié transféré était titulaire relatives à la rémunération, lorsque celles-ci ne sont pas conformes aux " conditions générales de rémunération et d'emploi des agents non titulaires de la personne publique ", le législateur n'a pas entendu autoriser cette dernière à proposer aux intéressés une rémunération inférieure à celle dont ils bénéficiaient auparavant au seul motif que celle-ci dépasserait, à niveaux de responsabilité et de qualification équivalents, celle des agents en fonctions dans l'organisme d'accueil à la date du transfert. En revanche ces dispositions font obstacle à ce que soient reprises, dans le contrat de droit public proposé au salarié transféré, des clauses impliquant une rémunération dont le niveau, même corrigé de l'ancienneté, excèderait manifestement celui que prévoient les règles générales fixées, le cas échéant, pour la rémunération de ses agents non titulaires. En l'absence de règles applicables au salarié transféré, il appartient à l'autorité administrative de rechercher si des fonctions en rapport avec ses qualifications et son expérience peuvent lui être confiées et de fixer sa rémunération en tenant compte des fonctions qu'il exerce, de sa qualification, de son ancienneté et de la rémunération des agents titulaires exerçant des fonctions analogues.

10. Il résulte de l'instruction que Mme E... exerce des fonctions d'enseignement de la danse et de gestion et d'administration de la section danse. Eu égard à ses fonctions, la commune de Changé pouvait la recruter en qualité d'assistante d'enseignement artistique principale de 2ème classe, par référence au cadre d'emploi et au grade définis par le décret du 29 mars 2012. En revanche, en prévoyant de calculer sa rémunération mensuelle sur la base de l'indice brut 378, majoré 348, correspondant au premier échelon de la grille indiciaire du grade d'assistant d'enseignement artistique principal de 2ème classe, la commune n'a pas tenu compte de l'ancienneté acquise par Mme E... en qualité de salariée de l'association. La double circonstance que la requérante ait travaillé à temps partiel jusqu'en 2003 et que la rémunération qui lui est versée en qualité d'agent contractuel de droit public représente environ le double de celle qu'elle percevait en qualité de salariée de droit privé, est sans incidence sur la prise en compte de l'ancienneté. Dans ces conditions, en ne tenant pas compte de l'ancienneté acquise par l'intéressée depuis le 1er février 1998, la commune a fait une inexacte application des dispositions citées et a entaché le contrat conclut le 26 août 2015 d'illégalité. Par suite, Mme E... est fondée, faute pour la commune d'avoir pris en compte son ancienneté acquise en qualité de salariée de droit privé à demander l'indemnisation des préjudices correspondants.

11. En revanche, la circonstance que des techniciens de l'école de danse aient, dans le cadre de la reprise en régie par la commune la commune de Changé, bénéficié dès septembre 2014 de contrats à durée indéterminée, ne saurait induire une violation du principe d'égalité et une discrimination entre agents non-titulaires ouvrant droit à indemnisation, dès lors que les fonctions et la situation des agents concernés ne sont pas comparables.

S'agissant du préjudice :

12. Ainsi qu'il vient d'être dit, la commune de Changé a commis une faute en ne prenant pas en compte l'ancienneté acquise par Mme E... en qualité de salariée de droit privé à la date de la conclusion des contrats à durée déterminée du 1er septembre 2013 au 31 août 2014, du 1er septembre 2014 au 31 août 2015 et du 1er septembre 2015 au 31 août 2016, en qualité d'assistant d'enseignement artistique principal de deuxième classe à temps complet. Toutefois, cette reprise d'ancienneté ne saurait impliquer que la totalité de l'ancienneté acquise par Mme E... dans le cadre de ses anciennes fonctions corresponde intégralement à l'avancement moyen d'un assistant d'enseignement artistique principal de deuxième classe à temps complet. Eu égard à l'ancienneté acquise par Mme E... dans le cadre de ses anciennes fonctions, soit dix-neuf années à la date de la conclusion du premier contrat en cause, et compte tenu de la durée desdits contrats, il sera fait une juste appréciation du préjudice matériel subi par Mme E... en l'évaluant à la somme de 8 000 euros.

13. Mme E... a par ailleurs subi, du fait de l'illégalité des contrats à durée déterminée du 1er septembre 2013 au 31 août 2014, du 1er septembre 2014 au 31 août 2015 et du 1er septembre 2015 au 31 août 2016, un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 2 000 euros.

Sur les intérêts et la capitalisation :

14. Mme E... a droit aux intérêts sur la somme de 10 000 euros à compter du 28 octobre 2015, date de réception de sa demande préalable par la commune de Changé.

15. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 28 octobre 2015, date de réception de la demande préalable par la commune de Changé. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 29 octobre 2016, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur l'appel incident :

16. Il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à demander la régularisation de sa situation pour la période couverte par les contrats conclus les 1er septembre 2013 et 2014 ainsi que la reconstitution de sa carrière.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

17. Le présent arrêt qui annule le jugement en cause, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions susvisées ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'exécution du jugement du 3 octobre 2018 :

18. Il résulte également de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à demander à la cour d'assurer l'exécution du jugement n°1601405 du 3 octobre 2018 du tribunal administratif de Nantes.

Sur les frais liés au litige :

19. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme E... les sommes réclamées par la communauté d'agglomération Laval Agglomération et par la commune de Changé sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Changé la somme de 2 000 euros à verser au conseil de Mme E... au titre de ces mêmes dispositions, sous réserve qu'il renonce à percevoir la contribution versée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 3 octobre 2018 est annulé.

Article 2 : La commune de Changé est condamnée à verser à Mme E... la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice matériel et moral résultant du caractère fautif de l'absence de prise en compte de l'ancienneté acquise par l'intéressée en qualité de salariée de droit privé dans le cadre de la conclusion des contrats à durée déterminée du 1er septembre 2013 au 31 août 2014, du 1er septembre 2014 au 31 août 2015 et du 1er septembre 2015 au 31 août 2016. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 28 octobre 2015. Les intérêts échus sur cette somme à la date du 29 octobre 2016, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : La commune de Changé versera au conseil de Mme E... la somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la contribution versée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E..., à la commune de Changé et à la communauté d'agglomération Laval Agglomération.

Délibéré après l'audience du 17 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 31 juillet 2020.

Le rapporteur,

F. A...Le président,

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Nos 18NT04233, 19NT02888


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT02888
Date de la décision : 31/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Exécution décision justice adm

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : SCP DESBOIS BOULIOU ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 11/08/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-31;19nt02888 ?
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