Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 20 mars 2019 par laquelle l'inspectrice du travail de l'Orne a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique par la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion intervenue le 31 août 2019.
Par un jugement n° 1902496 du 30 décembre 2020, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, un mémoire et des pièces complémentaires, enregistrés les 18 février 2021, 9 septembre 2021 et 22 septembre 2021, M. A..., représenté par Me Brand, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 30 décembre 2020 ;
2°) d'annuler les décisions des 20 mars 2019 et 31 août 2019 ;
3°) de mettre à la charge de l'association Lehugeur-Lelièvre, devenue Fondation Normandie Générations et, ou, en tant que de besoin l'Etat, la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le directeur du pôle médico-social Aube/Aigle n'était pas compétent pour demander l'autorisation de le licencier ;
- le principe du contradictoire a été méconnu lors de l'enquête menée par l'inspectrice du travail ;
- la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie ;
- il existe un lien entre son licenciement et son mandat.
Par un mémoire, enregistré le 10 mai 2021, l'association Lehugeur-Lelièvre, devenue Fondation Normandie Générations, représentée par Me Pataux, conclut au rejet de la requête, en demandant notamment à la cour d'écarter des débats le rapport réalisé par un inspecteur du travail dans le cadre du recours hiérarchique présenté par M. A... et demande, en outre, à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge du requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique,
- les observations de Me Brand, représentant M. A... et les observations de Me Pataux, représentant la fondation Normandie Générations.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a été recruté le 1er avril 1996 par l'association Lehugeur-Lelièvre, devenue la fondation Normandie Générations, dont l'activité principale est l'accompagnement éducatif, scolaire et thérapeutique de personnes en situation de handicap. Elle regroupe 35 établissements et services dans l'Orne, le Calvados et la Sarthe. M. A... exerçait les fonctions de moniteur d'éducation physique et sportive au sein de l'institut médico-éducatif (IME) Ségur situé à Aube, qui est rattaché à cette association. Il détenait les mandats de délégué du personnel, de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), de représentant syndical au comité d'établissement Aube / L'Aigle, de délégué syndical et de délégué syndical central. Par un courrier du 25 janvier 2019, il a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour faute grave, fixé au 5 février 2019, et s'est vu notifier une mise à pied à titre conservatoire. Le 13 février 2019, son employeur a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire. Par une décision du 20 mars 2019, l'inspectrice du travail a autorisé le licenciement de M. A.... L'intéressé a saisi la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion d'un recours hiérarchique contre cette décision, lequel a été implicitement rejeté par une décision intervenue le 31 août 2019. M. A... relève appel du jugement du 30 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. A l'effet de concourir à la mise en œuvre de la protection ainsi instituée, les articles R. 2421-4 et R. 2121-11 du code du travail disposent que l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat ".
3. En premier lieu, le caractère contradictoire de l'enquête impose à l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation. Toutefois, lorsque la communication de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui les ont communiqués, l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé et l'employeur, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.
4. Il ressort des pièces du dossier que l'inspecteur du travail a entendu personnellement et individuellement M. A..., le 27 février 2019, puis son employeur, le 1er mars 2019. Dans le cadre de son enquête contradictoire, l'inspecteur du travail a également procédé, le 8 mars 2019, à l'audition de huit témoins. Parmi ces personnes, ont été entendus, le psychiatre de l'IME, la responsable de l'unité d'intervention sociale, les jeunes usagers de l'établissement concernés ainsi que plusieurs salariés. Ces témoignages sont venus à l'appui des éléments qui avaient été produits par l'employeur dans le cadre de sa demande de licenciement. Ils ont néanmoins permis à l'inspecteur du travail de vérifier si les faits reprochés au salarié étaient avérés et d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de l'intéressé. La décision contestée indique expressément à deux reprises que ces entretiens ont permis de confirmer les propos et les faits reprochés à M. A.... Il ne ressort pas des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas allégué, que ces témoignages étaient de nature à porter gravement préjudice aux personnes entendues, qui s'étaient déjà exprimées dans le cadre de l'enquête interne réalisée par l'IME. Dès lors, ces entretiens organisés par l'inspecteur du travail constituaient des éléments déterminants, dont la teneur aurait dû être portée à la connaissance de M. A... en vue d'assurer sa défense. Le requérant est dès lors fondé à soutenir que la décision contestée est intervenue au terme d'une procédure irrégulière. Il s'ensuit que tant la décision de l'inspecteur du travail, que la décision implicite de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion rejetant le recours hiérarchique présenté par M. A..., encourent l'annulation à raison de ce motif.
5. En second lieu, l'association Lehugeur-Lelièvre a sollicité l'autorisation de licencier M. A... pour motif disciplinaire à raison de propos à caractère raciste qu'il aurait proférés le 8 janvier 2019 lors d'une séance de marche nordique à l'encontre d'un jeune accueilli à l'IME, d'actes de violence que ce professeur aurait commis à l'égard de deux autres usagers de l'établissement et de pressions et intimidations dont il se serait rendu coupable envers certains de ses collègues. Il ressort tout d'abord des termes de la décision en cause de l'inspecteur du travail que ce dernier motif n'a pas été retenu par l'inspecteur du travail pour accorder l'autorisation sollicitée. Il ressort ensuite des pièces du dossier que seul un usager de l'IME a entendu les propos de M. A... lors de la séance de sport du 8 janvier 2019 et que les autres témoins, y compris le jeune homme d'origine turque visé par les remarques du professeur, n'ont fait que rapporter les dires du premier. En outre, les témoignages produits au dossier divergent sur les propos réellement tenus par M. A..., de sorte que leur caractère raciste n'est pas démontré. Si ce professeur est également accusé d'actes de violences envers deux jeunes de l'IME qui se seraient produits plusieurs années auparavant, l'intéressé soutient sans être aucunement contredit, qu'il prend toujours ses congés au mois de juillet, de sorte qu'il n'était pas présent dans l'établissement aux dates supposées des faits, dont au demeurant certains seraient prescrits. De plus, la plainte d'un des jeunes concernés, dont se prévaut l'association, a été déposée le 26 janvier 2019, soit plusieurs années après les faits, et M. A... produit l'attestation de l'ancien chef de service alors présent dans l'établissement indiquant qu'il ne se souvient pas de ces évènements. Il n'est pas contesté, enfin, qu'à cette époque, aucune sanction, ni même avertissement, n'a été pris à l'encontre de ce professeur disposant d'une expérience de plus de vingt ans auprès de jeunes en difficultés. En outre, l'inspecteur du travail ayant mené une contre-enquête dans le cadre du recours hiérarchique présenté par M. A..., a émis de sérieux doutes sur la réalité des faits reprochés à l'intéressé, compte tenu notamment du caractère contradictoire des témoignages recueillis et de leur imprécision. Dans ces conditions, et en dépit de la circonstance que les usagers accueillis au sein de l'IME requièrent une vigilance particulière de la part des adultes qui les encadrent compte tenu de leur grande vulnérabilité, les griefs retenus par l'inspecteur du travail pour fonder sa décision ne peuvent être regardés comme établis de manière certaine. Dans ces conditions, et eu égard aux conséquences extrêmement préjudiciables qu'elles emportent, les décisions contestées encourent également l'annulation à raison de ce second motif.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... C... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au profit de la fondation Normandie Générations, laquelle vient aux droits de l'association Lehugeur-Lelièvre.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1902496 du tribunal administratif de Caen du 30 décembre 2020 ainsi que les décisions des 20 mars 2019 et 31 août 2019 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête ainsi que les conclusions présentées par la fondation Normandie Générations au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la fondation Normandie Générations et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 février 2022.
Le rapporteur
V. GELARDLe président
O. GASPON
La greffière
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21NT00481