Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler les deux arrêtés du 23 septembre 2021 par lesquels le préfet de la Manche, d'une part, a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, l'a interdit de retour sur le territoire français durant deux ans, a fixé le pays à destination duquel il sera reconduit d'office et, d'autre part, l'a assigné à résidence dans la ville de Cherbourg-en-Cotentin avec une obligation de pointage quotidienne sauf les dimanches et jours fériés.
Par un jugement n° 2102654 du 16 décembre 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Caen, d'une part, a annulé les décisions du 23 septembre 2021 du préfet de la Manche obligeant M. C... à quitter le territoire français sans délai, lui interdisant le retour sur le territoire français pendant deux ans et l'assignant à résidence, et d'autre part, a renvoyé à l'examen par une formation collégiale sa demande d'annulation de la décision lui refusant le renouvellement de son titre de séjour et les conclusions afférentes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 janvier et 4 février 2022, le préfet de la Manche demande à la cour, à titre principal, d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 16 décembre 2021 en tant qu'il annule sa décision du 23 septembre 2021 obligeant M. C... à quitter le territoire français et, subsidiairement, de surseoir à statuer dans l'attente d'un jugement des juridictions répressives se prononçant sur les faits d'usage d'acte de naissance algérien contrefait.
Il soutient que :
- sa décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'une violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; M. C... a fraudé en produisant un faux acte de naissance et en dissimulant sa polygamie ; il est le père d'enfants nés de son union conclue en Algérie avec une ressortissante algérienne ;
- subsidiairement, il sera sursis à statuer sur le fondement de l'article R. 633-1 du code de justice administrative, dans l'attente de suites réservées par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Cherbourg, saisi des infractions pénales constituées nées de l'usage d'actes de naissance algériens contrefaits.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 février 2022, M. D... C..., représenté par Me Chabbia, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du préfet de la Manche ;
2°) de désigner un interprète afin de se prononcer sur l'authenticité des actes d'état-civil produits par le préfet de la Manche ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par le préfet de la Manche ne sont pas fondés ;
- il sera indemnisé pour un montant de 5 000 euros de ses préjudices moraux et financiers nés de l'illégalité de la décision dont il a obtenu l'annulation, au motif de la résistance du préfet.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rivas,
- et les observations de Me Chabbia, représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. Par un premier arrêté du 23 septembre 2021 le préfet de la Manche a refusé à M. D... C..., ressortissant algérien né le 7 avril 1977, le certificat de résidence valable dix ans sollicité en qualité de conjoint d'une ressortissante française, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Par un second arrêté du même jour, le préfet a assigné à résidence M. C... avec une obligation de pointage quotidienne sauf les dimanches et jours fériés dans un service de l'Etat. Par un jugement du 16 décembre 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Caen a annulé le premier arrêté en tant uniquement qu'il oblige M. C... à quitter le territoire français sans délai, fixe le pays de destination et lui interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans, ainsi que le second arrêté du même jour l'assignant à résidence. Le même jugement renvoie à une formation collégiale le soin de statuer sur les conclusions de la requête de M. C... demandant l'annulation de la décision préfectorale du 23 septembre 2021 refusant à l'intéressé le renouvellement de son titre de séjour. Le préfet de la Manche relève appel de ce jugement uniquement en tant qu'il annule sa décision obligeant M. C... à quitter le territoire français et M. C... demande, outre la désignation d'un interprète afin de se prononcer sur l'authenticité des actes d'état-civil produits par le préfet, par des conclusions d'appel incident, la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts au motif de l'illégalité des décisions du 23 septembre 2021.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Le jugement attaqué a annulé la décision du 23 septembre 2021 du préfet de la Manche obligeant M. C... à quitter le territoire français sans délai au motif qu'elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel que garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance - 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sécurité publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " et aux termes de l'article 7 bis de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : " (...) Le certificat de résidence valable dix ans est délivré de plein droit sous réserve de la régularité du séjour pour ce qui concerne les catégories visées au a), au b), au c) et au g) : a) Au ressortissant algérien, marié depuis au moins un an avec un ressortissant de nationalité française, dans les mêmes conditions que celles prévues à l'article 6 nouveau 2) et au dernier alinéa de ce même article (...) ".
4. Il est constant que M. C..., entré régulièrement en France le 4 août 2017, s'est marié en France le 14 octobre suivant avec Mme E... A..., ressortissante française avec laquelle il vit depuis lors. Cependant, il ressort des pièces du dossier que M. C... est également marié depuis le 28 février 2007 avec une ressortissante algérienne vivant dans son pays d'origine. En particulier, à la suite d'une levée d'acte effectuée par les autorités consulaires françaises à Annaba, le préfet de la Manche a produit une copie intégrale du 30 juin 2021 de l'acte de naissance de M. C... mentionnant ce mariage le 28 février 2007 avec Mme B... C.... De même, il a communiqué une copie du 30 juin 2021 de l'acte de mariage de 2007 de ces mêmes personnes. Pour sa part, M. C... a produit à l'appui de sa demande de titre de séjour, dont le rejet fonde la décision d'obligation de quitter le territoire contestée, des copies de son acte de naissance établies les 15 mars 2017 et 26 mars 2018 ne mentionnant aucune union, alors même qu'à cette dernière date il était uni à Mme A.... M. C... explique dans le dernier état de ses écritures qu'il a un homonyme, né également dans la commune d'Ain Djasser (Algérie) en 1977, qui se serait effectivement marié le 28 février 2007 avec Mme B... C... et dont l'union aurait été à tort mentionnée sur son propre acte de naissance. Il produit une attestation administrative du 24 février 2022 d'un officier d'état civil de la commune d'Ain Djasser reconnaissant cette erreur et faisant valoir qu'elle a été corrigée, une nouvelle copie de son acte de naissance du 23 février 2022 mentionnant son union avec la seule Mme A..., ainsi que des copies du 23 février 2022 de l'acte de naissance de son homonyme né le 5 juin 1977 et de l'acte de mariage de ce dernier avec Mme B... C.... Cependant, il résulte des levées d'actes effectuées en 2021 par les autorités consulaires françaises en Algérie que l'acte de naissance de M. C... mentionne son mariage en Algérie en 2007 et surtout est produit son acte de mariage du 28 février 2007 indiquant sans ambiguïté, notamment par la mention de sa propre date de naissance, son union avec Mme B... C.... Par ailleurs, si devait être admise une erreur ancienne des autorités d'état civil algériennes dans la transcription de l'union de 2007 dont la correction serait intervenue seulement en 2021 ou 2022, il demeure que l'intéressé a néanmoins produit aux autorités françaises à l'appui de sa demande de titre de séjour deux copies des 15 mars 2017 et 26 mars 2018 de son acte de naissance ne mentionnant pas cette union de 2007, alors que le préfet a également produit une copie de ce même acte, établie entre ces deux dates, mentionnant ce mariage. Il résulte également des déclarations circonstanciées faites par le consulat français à Annaba qu'avant son entrée en France en 2017 M. C... avait obtenu plusieurs visas en produisant des actes de naissance mentionnant son union en 2007 avec Mme B... C... et indiquant que des enfants étaient nés de cette union. Il s'ensuit, alors même que M. C... vit en France depuis 2017 avec Mme A..., qu'eu égard au fait qu'il est également marié avec une ressortissante algérienne vivant dans ce pays et qu'il a vécu en Algérie quarante ans, la décision du 23 septembre 2021 portant obligation de quitter le territoire français est intervenue sans méconnaitre les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Dès lors, et sans qu'il soit nécessaire de faire droit à la demande de M. C... tendant à ce que soit désigné un interprète en langue arabe afin d'examiner les actes d'état-civil algériens produits par le préfet et se prononcer sur leur authenticité, le préfet de la Manche est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Caen s'est fondée sur ce motif pour annuler sa décision du 23 septembre 2021 obligeant M. C... à quitter le territoire français.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Caen et devant la cour à l'appui de sa contestation de la décision l'obligeant à quitter le territoire français.
7. En premier lieu, la décision contestée du 23 septembre 2021 est signée pour le préfet de la Manche par le secrétaire général de la préfecture. Par un arrêté du 25 mars 2021, publié le 26 mars suivant au recueil n° 12 des actes administratifs de la préfecture, le préfet de la Manche a donné délégation à celui-ci à l'effet de signer, notamment, les obligations de quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de ce que le signataire de la décision contestée était incompétent doit être écarté.
8. En second lieu, pour les motifs exposés au point 4, dont la production de documents d'état-civil erronés, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait illégale en raison de l'illégalité, soulevée par la voie de l'exception, de la décision du 23 septembre 2021 lui refusant le titre de séjour sollicité notamment au regard des dispositions des articles 6 et 7 bis a) de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. A ce même titre, le préfet de la Manche a produit à l'appui de son mémoire en défense devant le tribunal administratif de Caen, qui a été communiqué à M. C..., les pièces, dont ses échanges avec les autorités consulaires françaises à Annaba et les relevés d'actes d'état-civil effectués par ces dernières, qui servent de fondement à sa décision de refus de titre de séjour. Pour les motifs exposés au point 4 M. C... n'est pas davantage fondé à soutenir que la décision contestée serait entachée d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et d'une erreur manifeste d'appréciation. Ces moyens ne peuvent donc qu'être écartés.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Manche est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Caen a annulé sa décision du 23 septembre 2021 obligeant M. C... à quitter le territoire français. Par suite, ce jugement doit être annulé en tant qu'il annule cette décision en son article 2 et la demande de première instance doit être rejetée.
Sur les conclusions d'appel incident de M. C... :
10. Les conclusions indemnitaires présentées par M. C... ne peuvent, par voie de conséquence de ce qui précède et en tout état de cause, qu'être rejetées.
Sur les frais d'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. C... demande au titre des frais qu'il a exposés à l'occasion du présent litige.
D E C I D E :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2102654 du 16 décembre 2021 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Caen est annulé en tant que ce jugement annule la décision du 23 septembre 2021 du préfet de la Manche obligeant M. C... à quitter le territoire français.
Article 2 : La demande d'annulation de la décision du 23 septembre 2021 du préfet de la Manche portant obligation de quitter le territoire français présentée devant le tribunal administratif de Caen par M. D... C... est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. C... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise pour information au préfet de la Manche.
Délibéré après l'audience du 22 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 avril 2022.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
S. LEVANT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT00132