Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 19 février 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours, formé contre la décision implicite des autorités consulaires françaises à Bamako (Mali) refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française.
Par un jugement n° 2109026 du 14 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 19 février 2021 et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. E... le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 mai 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, demande à la cour d'annuler ce jugement du 14 mars 2022 du tribunal administratif de Nantes et de rejeter la demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- un motif d'ordre public fonde la décision de rejet ; l'intéressé a commis une usurpation d'identité lui permettant de faire transcrire à l'état-civil neuf fausses déclarations de naissance de tiers ; il a ignoré les jugements prononcés à son encontre en se prévalant d'une fausse identité au moins jusqu'en 2018 et en continuant d'utiliser des documents obtenus frauduleusement ; il a effectué de fausses déclarations fiscales ;
- le mariage de M. E... avec Mme F... a été contracté à des fins étrangères à l'institution matrimoniale ; il devrait être frappé de nullité et est inopposable aux tiers eu égard aux informations frauduleuses y figurant ; la reconnaissance de l'enfant de Mme F... est intervenue à des fins frauduleuses.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juillet 2022, M. D... E..., représenté par Me Amsellem, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de lui délivrer le visa sollicité dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant malien né le 8 mars 1970, s'est marié à Paris le 19 octobre 2020 avec Mme F..., ressortissante française. Il a alors sollicité la délivrance d'un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française auprès de l'autorité consulaire française à Bamako (Mali), laquelle a rejeté sa demande par une décision du 19 février 2021. Le recours formé contre cette décision devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision implicite née le 15 juin 2021. Par un jugement du 14 mars 2022, dont le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à M. E... le visa de long séjour sollicité. Par un arrêt du 24 juin 2022 de la cour administrative d'appel de Nantes il a été sursis à l'exécution de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 211-2-1, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le visa de long séjour ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. Le visa de long séjour est délivré de plein droit au conjoint de Français qui remplit les conditions prévues au présent article ".
3. D'une part, il résulte de ces dispositions qu'il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire afin que les époux puissent mener une vie familiale normale. Pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, d'établir, par des éléments précis et concordants, que le mariage est entaché d'une telle fraude de nature à légalement justifier le refus de visa. La seule circonstance que l'intention matrimoniale d'un seul des deux époux ne soit pas contestée ne fait pas obstacle à ce qu'une telle fraude soit établie. D'autre part, des circonstances particulières tenant à des motifs tirés de la nécessité de préserver l'ordre public peuvent être de nature à justifier légalement un refus de visa.
4. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la requête présentée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer devant la cour, que pour refuser le visa sollicité par M. E... le ministre s'est fondé sur la menace pour l'ordre public que constituerait sa présence en France et sur le caractère frauduleux de son mariage le 19 octobre 2020 avec Mme F..., ressortissante française, eu égard à l'absence d'intention matrimoniale.
5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, pour certaines produites pour la première fois devant la cour, que M. E... a obtenu frauduleusement en 2002 une carte d'identité française en usurpant l'identité d'un tiers, et qu'il a usé de cette fausse identité pendant dix ans. Par un arrêt devenu définitif du 30 mai 2016, la cour d'appel de Rennes a ainsi confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Nantes du 7 mai 2015 condamnant M. E... à indemniser ce tiers du fait de cette usurpation d'identité identifiée et prononçant pour ce motif l'annulation de l'acte de mariage de M. E... avec Mme A... B..., de neuf actes de naissance et de quatre actes de reconnaissance d'enfants. Il est également établi que malgré cette condamnation, l'intéressé a continué à se prévaloir de cette fausse identité auprès des autorités françaises, notamment auprès de la préfecture de police de Paris en 2018, et à nier toute usurpation d'identité. La même année, l'intéressé s'est également prévalu de sa fausse identité en produisant auprès des services des impôts une copie de sa carte d'identité de 2002 et de " cartes vitales " de 2002 et 2017, établies sous le même nom et avec le même numéro que celle dont bénéficie la personne dont il a usurpé l'identité. Dans ces conditions marquées par le fait que M. E... a persisté, malgré sa condamnation définitive en 2016, à se prévaloir d'une identité usurpée et a communiqué à l'administration française des documents frauduleux, c'est par une exacte application de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la commission a rejeté sa demande de visa en raison de la menace qu'il constitue pour l'ordre public.
6. En deuxième lieu, il est justifié par un acte de naissance établi par la mairie de Paris que M. E... est le père d'une enfant née le 24 septembre 2019 de sa relation avec Mme F..., ressortissante française avec laquelle il s'est marié 19 octobre 2020, ainsi qu'il ressort de l'acte de mariage établi le même jour par la mairie de Paris. Néanmoins aucune pièce au dossier n'établit la vie commune du couple ni les relations entretenues par M. E... avec sa fille. La seule production de quelques factures établies en 2019 et 2020 pour l'achat de produits pour enfant est insuffisante à cet égard. De même l'envoi d'argent par mandat de M. E... à Mme F... en mars et en août 2020, alors surtout que tous les deux résidaient en France, n'établit pas davantage une vie commune du couple. Les seules attestations du 18 juin 2020 d'une infirmière puéricultrice indiquant que M. E... a accompagné l'enfant lors d'une visite médicale le 18 juin 2020, et du 31 janvier 2020 d'un médecin indiquant qu'il accompagnait son épouse, également lors d'une visite médicale, sont insuffisantes pour établir la vie commune alléguée. Enfin aucun élément n'atteste d'un maintien de relations entre Mme F..., M. E... et leur enfant depuis le départ de l'intéressé au Mali. Par suite, c'est également par une exacte appréciation des dispositions précitées de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la commission de recours a rejeté le recours formé devant elle au motif de l'absence d'intention matrimoniale de M. E....
7. Ainsi c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur les moyens mentionnés aux points 5 et 6 pour annuler la décision attaquée du 19 février 2021.
8. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... devant le tribunal administratif de Nantes et devant la cour.
9. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un jugement du 17 novembre 2020 devenu définitif, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé un arrêté du 24 février 2020 du préfet de police de Paris refusant de délivrer à l'intéressé un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination et, d'autre part, a enjoint à l'administration de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour de M. E... dans un délai de trois mois. Cette circonstance ne donne toutefois à l'intéressé aucun droit au séjour sur le territoire français. Elle est, par suite, sans incidence sur la légalité de la décision de refus de visa contestée.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. Si M. E... établit avoir vécu et travaillé depuis plus de vingt ans en France à la date de la décision contestée, il est constant qu'il l'a fait au bénéfice d'une usurpation d'identité. Par ailleurs, ainsi qu'il a été exposé, il n'est pas établi de vie de famille entre M. E..., Mme F... et l'enfant née en 2019. Par suite, et alors que l'intéressé n'établit pas l'existence d'autres liens tissés sur le territoire français, il n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée serait intervenue en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
13. Si M. E... se prévaut de la présence en France de son épouse ainsi que de sa fille, née le 24 septembre 2019, il n'établit pas, ainsi qu'il a été exposé au point 6, la réalité et la densité des liens qu'il entretiendrait avec elles. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ne peut qu'être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours présenté par M. E... contre la décision de l'autorité consulaire française à Bamako lui refusant un visa d'entrée et de long séjour en qualité de conjoint étranger d'une ressortissante française.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
15. Il résulte de ce qui précède que les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. E... ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais d'instance :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par M. E....
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2109026 du 14 mars 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Nantes et ses conclusions d'appel présentées aux fins d'injonction et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. D... E....
Délibéré après l'audience du 30 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- M. Franck, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 octobre 2022.
Le rapporteur,
C. C...
Le président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT01466