Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté son recours formé contre la décision du 9 juillet 2019 des autorités consulaires françaises en Guinée et en Sierra Leone refusant de délivrer aux enfants F... B... C..., E... C... et F... G... C... un visa de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié.
Par un jugement n° 2012096 du 9 juin 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 27 septembre 2021, 30 septembre 2021 et 14 décembre 2021, 3 janvier 2022 (non communiqué), 28 janvier 2022 (non communiqué) et 25 novembre 2022 (non communiqué), M. D... C..., représenté par Me Pronost demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 9 juin 2021 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, à titre principal, de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen des demandes de visas dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 800 euros, à titre principal à son conseil, au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, à titre subsidiaire, à M. C... au titre des seules dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il a omis de répondre au moyen tiré de ce que les liens de filiation sont établis par la possession d'état ;
- la décision contestée est entachée d'erreur d'appréciation ; l'identité et le lien de filiation des demandeurs sont établis par les actes d'état civil produits et par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 décembre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Par une décision du 30 août 2021, le président du bureau d'aide juridictionnelle a rejeté la demande d'aide juridictionnelle formée par M. C....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Mas, rapporteur public,
- et les observations de Me Pronost, représentant M. C....
Une note en délibéré, présentée pour M. C..., a été enregistrée le 5 décembre 2022.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... C..., ressortissant guinéen né le 15 juin 1989 à Conakry (Guinée), s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 29 octobre 2015. Par une décision du 9 juillet 2019, les autorités consulaires françaises en Guinée et en Sierra Leone ont rejeté les demandes de visas de long séjour présentées pour ses enfants allégués, F... B... C..., E... C... et F... G... C..., nés respectivement les 1er janvier 2009, 15 mars 2011 et 28 février 2013, en qualité de membres de famille de réfugié. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Par un jugement du 9 juin 2021 le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. C... tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours. M. C... relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il résulte des écritures de première instance qu'au soutien de sa demande, M. C... a soulevé le moyen tiré de ce que, en considérant que l'identité des demandeurs de visa et leur lien de filiation avec lui n'étaient pas établis, la commission de recours contre les refus de visa a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation, dès lors, d'une part, que ce lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits et, d'autre part et en tout état de cause, que ce lien de filiation est établi par les éléments de possession d'état. Le tribunal administratif n'a pas visé cette seconde branche du moyen et n'y a pas répondu. Dès lors, son jugement est entaché d'irrégularité et doit être annulé.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Nantes.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :
4. En premier lieu, le courrier du 4 décembre 2019 de communication des motifs de la décision contestée comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de cette décision. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit être écarté.
5. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, et dont les dispositions ont été reprises aux articles L. 561-2 à L. 561-5 du même code : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II.- (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.
6. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, aujourd'hui repris à l'article L. 811-2 du même code, prévoit en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
7. D'autre part, l'article 310-3 du code civil dispose que " la filiation se prouve par l'acte de naissance de l'enfant, par l'acte de reconnaissance ou par l'acte de notoriété constatant la possession d'état ". L'article 311-1 du même code dispose que : " La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir ". L'article 311-14 du même code dispose que " la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; si la mère n'est pas connue, par la loi personnelle de l'enfant. ". Il résulte de ces dispositions que le moyen tiré de ce que la filiation est démontrée au moyen de la possession d'état, telle que définie à l'article 311-1 du code civil, ne peut être utilement soulevé que si en vertu de la loi personnelle applicable, c'est-à-dire en principe la loi de la mère au jour de la naissance de l'enfant, un mode de preuve de la filiation comparable à la possession d'état est admis. Toutefois, il résulte des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que pour établir l'identité et le lien de filiation des enfants d'un étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire, le demandeur de visa peut toujours utilement invoquer les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil, alors même que la loi personnelle applicable n'admettrait pas un tel mode de preuve de la filiation.
8. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, et notamment du courrier du 4 décembre 2019 de communication des motifs de la décision contestée, que pour refuser de délivrer les visas de long séjour sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que l'identité des intéressés et le lien familial à l'égard de M. C... n'étaient pas établis.
9. Pour justifier de l'identité des jeunes F... B... C..., E... C... et F... G... C..., ont été produits les copies des volets n°1 et n°4 des extraits d'actes de naissance dressés les 8 janvier 2009, 23 mars 2011 et 8 mars 2013 par l'officier d'état civil de la commune de Matoto (Guinée). Toutefois, les levées d'actes concernant Mamadou Saidou et Houlematou, diligentées le 18 février 2019 auprès du ministère de l'administration du territoire et de la décentralisation de la République de Guinée, ont révélé que ces documents correspondaient à des tierces personnes. Contrairement à ce que soutient M. C..., il ne ressort pas des pièces du dossier que les actes levés et les actes produits auraient été dressés par deux centres d'état civil distincts. Par ailleurs, et ainsi que le relève le ministre de l'intérieur, les actes présentés par les demandeurs ne mentionnent pas l'heure de naissance des enfants, en méconnaissance des articles 160, 183 et 196 du code civil guinéen alors en vigueur. Les actes concernant Houlematou et Mamadou Aliou, respectivement inscrits au registre 07 feuillet 68, n° 670 et au registre 09, feuillet 35, n° 837, présentent en outre une anomalie de numérotation dès lors qu'il n'est pas contesté que les registres guinéens comportent 100 feuillets, et que chaque feuillet comporte 7 numéros. Les actes de naissance sont revêtus de signatures différentes, alors qu'ils ont été dressés par le même officier d'état civil concernant Mamadou Saidou et Houlematou. Si M. C... produit un jugement n°298 du 5 février 2019 par lequel le tribunal de première instance de Conakry II lui confie l'autorité parentale sur les trois enfants, ce document n'a ni pour objet ni pour effet d'établir l'identité et la filiation des demandeurs de visas. Par conséquent, les actes produits par M. C... doivent être regardés comme dépourvus de force probante.
10. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 7, et contrairement à ce que soutient le ministre, M. C... peut utilement se prévaloir de ce que la filiation est révélée par une réunion suffisante de faits démontrant le lien de parenté. Toutefois, les documents présentés, qui consistent essentiellement en des transferts d'argent réalisés au profit de tiers, dont la mère des enfants, des attestations peu circonstanciées, des relevés de communications, sans échanges et non datés, des photographies ainsi que le jugement du 5 février 2019 du tribunal de première instance de Conakry II, ne permettent pas de regarder la possession d'état de père allégué comme continue, publique et non équivoque.
11. Il résulte de ce qui a été dit aux point 5 à 10 que le moyen tiré de ce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées au point 5, en rejetant les demandes de visa en litige au motif que l'identité des enfants F... B... C..., E... C... et F... G... C..., et le lien de filiation à l'égard de M. C..., n'étaient pas établis, doit être écarté en ses deux branches.
12. En troisième lieu, le lien de filiation n'étant pas établi, ainsi qu'il vient d'être dit, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France présentées par M. C... doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
14. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la décision attaquée, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. C... doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. C... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°2012096 du 9 juin 2021 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Nantes, ainsi que le surplus des conclusions de la requête d'appel, sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 2 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Couvert-Castéra, président de la cour,
- M. Francfort, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Montes-Derouet, présidente assesseure,
- M. Frank, premier conseiller,
- M. Bréchot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 décembre 2022.
Le rapporteur,
A. A...Le président de la cour,
O. COUVERT-CASTÉRA
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 21NT02691