Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... et le syndicat CFDT Chimie Energie Bretagne ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 4 septembre 2019 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société Bic Ecriture 2 000 (BE 2000) à procéder au licenciement pour motif économique de cette salariée.
Par un jugement n° 1905250 du 17 janvier 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 7 mars 2022 et 3 février 2023, Mme A..., représentée par Me Beziz, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 17 janvier 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 4 septembre 2019 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont omis de se prononcer sur le réel motif des licenciements autorisés et ont ainsi insuffisamment motivé leur jugement ;
- la décision contestée, qui se fonde sur les motifs invoqués devant les représentants du personnel le 5 décembre 2018, est insuffisamment motivée ;
- l'inspectrice du travail s'est abstenue de vérifier la réalité de la menace sur la compétitivité du secteur d'activité des instruments d'écriture du groupe Bic ; elle ne s'est pas assurée que les licenciements envisagés n'étaient pas la conséquence de la cession de la société Bic Sport ;
- le motif des licenciements devait être apprécié au niveau du secteur des instruments d'Ecriture en France et non au niveau du groupe Bic ou du secteur de la papeterie au niveau mondial ;
- la menace sur la compétitivité de la société BE 2000 n'est pas établie ;
- il n'est pas davantage établi que les licenciements envisagés auraient permis d'enrayer une chute irréversible de la compétitivité du groupe Bic au regard de ses concurrents.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 16 mars 2022, le syndicat CFDT Chimie Energie Bretagne, représenté par Me Beziz, conclut aux mêmes fins que la requête présentée par Mme A... et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il indique qu'il fait siens les moyens développés par Mme A....
Par des mémoires, enregistrés les 8 juillet 2022 et 17 février 2023, la société Bic Ecriture 2000, représentée par Me Muchada, conclut au rejet de la requête présentée par Mme A... et à ce que la somme de 1 000 euros soit mise à la charge de l'intéressée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juillet 2022, la société Bic Ecriture 2000, représentée par Me Muchada, conclut au rejet des conclusions présentées par le syndicat CFDT Chimie Energie Bretagne et à ce que la somme de 1 000 euros soit mise à la charge du syndicat au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les conclusions du syndicat CFDT sont irrecevables et infondées.
En dépit d'une mise en demeure adressée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion le 5 juillet 2022, ce dernier n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique,
- les observations de Me Guyot, substituant Me Beziz, représentant Mme A...,
- et les observations de Me Muchada, représentant la société BE 2000.
Considérant ce qui suit :
1. Le Groupe Bic exerce son activité dans trois domaines distincts : la papeterie, les briquets et les rasoirs. La société Bic Ecriture 2000 (BE 2000), qui fait partie de ce groupe, intervient dans le premier secteur. Elle exerçait son activité au sein de deux établissements, l'un situé à Marne-la-Vallée, spécialisé dans la fabrication de stylos à bille, et l'autre à Vannes, spécialisé dans la fabrication de stylos " 4 couleurs ", " Atlantis " et " Velocity-Gelocity ". Le 20 novembre 2018, le comité social et économique Central (CSEC) et les CSE d'établissements de Vannes et de Marne-la-Vallée ont été informés d'un projet de réorganisation consistant à transférer une partie de la production de l'établissement de Vannes à Marne-la-Vallée et l'autre partie en Tunisie. Les 20 et 21 février 2019, ils ont émis un avis défavorable à cette restructuration, qui impliquait la fermeture du site de Vannes, la transformation de 6 postes permanents transférés à Marne-la-Vallée et la suppression de 30 emplois. Le 26 mars 2019, l'accord collectif majoritaire signé le 19 février 2019 et le document unilatéral relatif au projet de licenciement collectif ont néanmoins été homologués par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Bretagne. Le 5 juillet 2019, la société BE 2000 a sollicité l'autorisation de procéder au licenciement pour motif économique de Mme A..., ..., membre du CSE de l'établissement de Vannes. Cette salariée, ainsi que le syndicat CFDT Chimie Energie Bretagne, ont saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 4 septembre 2019 par laquelle l'inspectrice du travail a accordé l'autorisation de la licencier. Ils relèvent appel du jugement du 17 janvier 2022 du tribunal administratif rejetant leur requête.
Sur l'intervention du syndicat CFDT Chimie Energie Bretagne :
2. Le 16 mars 2022, le syndicat CFDT Chimie Energie Bretagne a présenté un mémoire " en intervention " à l'appui des conclusions de Mme A.... Il est toutefois constant qu'en première instance, il avait la qualité de " partie ". A ce titre, une notification du jugement rendu lui a été adressée, sans contestation en appel de la régularité du jugement sur ce point. Par suite, le syndicat avait qualité pour faire appel de ce jugement, et, ainsi que le soutient la société BIC, son intervention en appel n'est donc pas recevable. En revanche, dès lors que ce mémoire a été enregistré au greffe de la cour dans le délai d'appel il doit être qualifié d'appel principal. Il est par suite recevable à ce titre.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision contestée :
3. Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : 1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés (...) 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité (...) Les difficultés économiques (...) ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude (...) Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché (...) ".
4. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Lorsque l'employeur sollicite une autorisation de licenciement pour motif économique fondée sur le refus du salarié protégé d'accepter une modification de son contrat de travail, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette modification était justifiée par un motif économique. A cet égard, lorsque la demande d'autorisation de licenciement pour motif économique est fondée sur la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, l'autorité administrative doit s'assurer du bien-fondé d'un tel motif, en appréciant la réalité de la menace pour la compétitivité de l'entreprise, le cas échéant, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe. Il appartient également à l'administration de vérifier que la modification du contrat de travail est, non " strictement nécessaire ", mais justifiée par le motif économique allégué.
5. Pour solliciter l'autorisation de licencier, la société BE 2000 a invoqué, dans sa demande d'autorisation de licenciement du 5 juillet 2019, la nécessité pour le groupe Bic de sauvegarder sa compétitivité sur le secteur des instruments d'écriture. Si Mme A... soutient que ce motif doit être apprécié au niveau du secteur des instruments d'écriture uniquement en France, et non au niveau mondial, il est toutefois constant que la société BE 2000, spécialisée dans la fabrication de stylos, appartient au groupe Bic et que plus des trois quarts de la production française de ce groupe, pour le secteur des instruments d'écriture, sont destinés à l'exportation en Europe ou aux Etats-Unis. Ainsi 70 % des stylos Atlantis et 80 % des stylos Gelocity-Velocity produits à Vannes étaient exportés aux Etats-Unis. Par ailleurs, le secteur papeterie du groupe, plus large que celui des seuls instruments d'écriture, ne peut être retenu pour apprécier la réalité du motif économique invoqué par la société BE 2000 pour justifier le licenciement de Mme A....
6. Pour justifier sa demande, la société Bic se prévaut de la circonstance qu'en 2018, la gamme Atlantis a été déréférencée des magasins Sam's club, situés aux Etats-Unis, entraînant la perte d'un marché de 6 millions d'unités par an. Elle ajoute que la vente de stylos à bille a connu une baisse de près de 5 % sur le marché américain. Plus globalement, elle met en avant le fait qu'entre 2015 et 2017, le marché des instruments d'écriture a subi une forte régression face à la montée en puissance du numérique et a été directement affecté par l'augmentation du coût des matières premières. Le rapport d'expertise comptable Syndex, mandaté par le CSEC dans le cadre du projet de restructuration de la société BE 2000, a confirmé la dégradation des marges d'exploitation des fabricants dans ce domaine et les difficultés du groupe Bic à gagner des parts de marché dans les pays en croissance. La société BE 2000 fait également valoir que ses principaux concurrents disposent d'usines dans des pays où les coûts de production sont faibles, ce qui leur permet d'investir massivement dans des campagnes publicitaires onéreuses afin de mieux résister à la dégradation des marchés européens ou américains. La société précise enfin qu'entre 2015 et 2018, son concurrent Pilot a enregistré une croissance de 7% et que les ventes de son autre concurrent Stabilo ont stagné alors que celles de Bic ont chuté de 2,63 %.
7. Il ressort cependant des pièces du dossier que, si le secteur d'activité des instruments d'écriture subit depuis plusieurs années des aléas commerciaux emportant des conséquences sur la production, les ventes et les stocks, la baisse d'activité commerciale enregistrée, pour le secteur " instruments d'écriture ", par le groupe Bic et décrite, pour les années en cause, au point 6 restait, en volume, mesurée par rapport à celles de ses concurrents. Sa part de marché est en effet passée, en France, de 377 631 à 367 685 unités entre 2015 et 2018, alors que celle de Pilot restait limitée à moins de 25 000 unités et que celle du groupe " Tradebrand § Exclusive " chutait de 246 199 à 193 256 unités alors que les autres principaux concurrents (Newell et Stabilo) connaissaient également un recul. Les parts de marché relatives sur la zone Europe et pour la même période sont demeurées stables entre ces principaux concurrents. De ce fait, le groupe Bic restait à la date de la décision contestée le leader mondial du marché des instruments d'écriture et sa compétitivité relative, seule invoquée dans la demande d'autorisation de licenciement, ne faisait pas l'objet d'une menace rendant alors nécessaire une réorganisation, sur la base des éléments présentés. A cet égard, si la société fait valoir à juste titre, qu'il n'appartient pas à l'inspecteur du travail, ni d'ailleurs au juge administratif, de remettre en cause ses choix de gestion opérés lors de la cession de la société Bic Sport de Vannes intervenue quelques mois avant l'engagement de la procédure de licenciement litigieuse, elle n'apporte aucun autre élément de nature à démontrer, pour cette seule branche d'activité des instruments d'écriture, une menace sur sa compétitivité.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, et notamment celui se rapportant à la régularité du jugement attaqué, que Mme A... ainsi que le syndicat CFDT Chimie Energie Bretagne sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 4 septembre 2019 autorisant son licenciement.
Sur les frais liés au litige :
9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement, respectivement à Mme A... et au syndicat CFDT Chimie Energie Bretagne d'une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme A... et du syndicat CFDT Chimie Energie Bretagne, qui ne sont pas, dans la présente instance, parties perdantes, le versement à la société Bic Ecriture 2000, des sommes qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention du syndicat CFDT Chimie Energie Bretagne n'est pas admise.
Article 2 : Le jugement n° 1905250 du tribunal administratif de Rennes en date du 17 janvier 2022 ainsi que la décision du 4 septembre 2019 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé la société Bic Ecriture 2 000 à procéder au licenciement pour motif économique de Mme A... sont annulés.
Article 3 : L'Etat versera, respectivement, à Mme A... et au syndicat CFDT Chimie Energie Bretagne la somme de 1000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... et du syndicat CFDT Chimie Energie Bretagne est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la société Bic Ecriture 2000 tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., à la CFDT Chimie Energie Bretagne, à la société Bic Ecriture 2000 et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 10 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 mars 2023.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
P. BONNIEU
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT00698