Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010, 2011 et 2012 ainsi que des amendes qui leur ont été infligées en application des dispositions du IV de l'article 1736 du code général des impôts.
Par un jugement n° 1707046 du 7 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 9 septembre 2021, 31 mai 2022 et 2 mars 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. et Mme B..., représentés par
Me de Lorgeril, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge sollicitée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 68 879,10 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'administration, en appliquant la procédure de la taxation d'office, a écarté les pièces qu'ils ont produites au cours de la procédure d'imposition sans motivation ni examen particulier ; elle a dénaturé les documents et méconnu les exigences d'un procès équitable ; elle était tenue de répondre à leurs observations alors même qu'elle a appliqué une procédure d'imposition d'office ; les contrôles fiscaux diligentés à leur encontre et à l'encontre de la société Logan Motors Limited ont été traités par le même supérieur hiérarchique et la comptabilité de cette société a été reconnue comme probante ;
- les sommes créditées sur leurs comptes bancaires, qui sont des remboursements d'avances consenties par M. B... ou de frais engagés par eux pour le compte de diverses sociétés et qui leur ont été remboursés, ne sont pas imposables ;
- le principe et le montant des avances de trésorerie faites à la société Logan Motors Limited - directement par M. B... ou indirectement, sur délégations de paiement données à la société BHB - ont été reconnus et expressément acceptés par l'administration fiscale elle-même dans le cadre d'une vérification par ailleurs diligentée à l'encontre de la société Logan Motors Limited ; sous peine de contradiction, l'administration ne pouvait donc considérer, d'un côté, que la comptabilité de la société Logan Motors Limited est probante et de l'autre estimer, par simples affirmations, que les pièces justificatives apportées par M. et Mme B... étaient dénuées de force probante ;
- les sommes créditées de 60 802,27 livres et 106 047,12 livres, qui ont été portées à la connaissance de l'administration fiscale française par eux-mêmes, proviennent de versements consécutifs à la dissolution de deux trusts constitués par le père de M. B... en 1957 et 1965;
- l'imposition des revenus fonciers issus de la location d'un bien situé au 9, Lewis Gardens à Londres appartenant en indivision à M. B... et à sa mère a été régularisée en 2014 ; ils sollicitent le bénéfice du crédit d'impôt prévu au point 3 de l'article 24 de la convention franco-britannique du 19 juin 2008 ;
- ils contestent l'application, d'une part, de la majoration pour manquement délibéré compte tenu du caractère modique des rectifications en litige et, d'autre part, des amendes prévues au IV de l'article 1736 du code général des impôts.
Par des mémoires en défense enregistrés les 10 mars 2022 et 24 février 2023 le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur les gains en capital (ensemble un protocole), signée à Londres le 19 juin 2008 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public,
- et les observations de Me de Lorgeril, représentant M. et Mme B..., et de M. D..., représentant le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B..., ressortissants britanniques, dont le domicile fiscal est situé en France, ont fait l'objet d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle au titre des années 2010 à 2012 à l'issue duquel leur ont été notifiées des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu selon la procédure de taxation d'office prévue à l'article L. 66 du livre des procédures fiscales dès lors qu'ils s'étaient abstenus de déposer des déclarations de revenus malgré une mise en demeure. Ils ont demandé au tribunal administratif de Nantes la décharge, en droits et pénalités, de ces cotisations supplémentaires ainsi que des amendes prononcées en application des dispositions du IV de l'article 1736 du code général des impôts pour défaut de déclaration de comptes bancaires ouverts à l'étranger. Par un jugement du 7 mai 2021, le tribunal a rejeté leur demande. M. et Mme B... relèvent appel de ce jugement.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Il n'est pas contesté qu'au cours de la procédure d'imposition, l'administration a pris en compte un certain nombre de justifications présentées par M. et Mme B... et a procédé à plusieurs abandons de redressement. Dès lors, M. et Mme B... ne peuvent de manière fondée soutenir que l'administration avait pris le parti de ne pas procéder à l'examen des pièces qu'ils ont produites devant elle.
3. M. et Mme B... ne peuvent pas utilement se prévaloir des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour contester les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu dès lors que ces stipulations ne sont applicables qu'aux procédures contentieuses suivies devant les juridictions lorsqu'elles statuent sur des droits et obligations de caractère civil ou sur des accusations en matière pénale.
4. La circonstance que les contrôles fiscaux diligentés à l'encontre de M. et Mme B... et de la société Logan Motors Limited ont été traités par le même supérieur hiérarchique est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition.
Sur le bien-fondé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu :
5. En vertu des articles L. 193 et R. 193-1 du livre des procédures fiscales, il appartient au contribuable qui entend contester devant le juge de l'impôt le bien-fondé de l'imposition de sommes régulièrement taxées d'office d'apporter la preuve du caractère exagéré des impositions mises à sa charge.
En ce qui concerne les sommes portées au crédit des comptes bancaires ouverts en France :
S'agissant des sommes créditées en 2010 :
Quant à la somme de 10 000 euros :
6. M. et Mme B... soutiennent que la somme en cause de 10 000 euros correspond à un remboursement par Mme E... de dépenses que M. B... a payées pour le compte de la Société International Hacker Boat afin de permettre à celle-ci de commencer son activité de négoce de navires de plaisance. Toutefois, ils ne versent aucun élément comptable ou bancaire permettant de connaître les flux financiers, soit le versement de la même somme par cette société à Mme E... et le remboursement effectué par cette dernière à M. B.... L'attestation de M. E..., dirigeant de la société, n'est pas suffisante pour établir la réalité de tels flux.
Quant aux sommes de 54 490 euros et 11 800 euros :
7. Aucune pièce du dossier ne permet d'établir une concordance de montants entre ces crédits et de prétendues avances qui auraient été réalisées par M. B... pour le compte de la Société International Hacker Boat. L'attestation de M. E..., dirigeant de la société, n'est pas suffisante pour établir la réalité du remboursement des deux sommes à M. B....
Quant à la somme de 9 095,49 euros :
8. M. et Mme B... se contentent de verser, d'une part, une attestation de la société Hacker Boat Company relative à un remboursement par sa filiale, la société Erin Investment, d'un règlement effectué par M. B... pour le compte de la société mère et, d'autre part, une attestation du dirigeant de cette société, devant notaire, portant mention de ce remboursement au profit de M. B.... Ils n'apportent aucun élément comptable ou bancaire permettant de connaître les flux financiers entre M. B... et les deux sociétés.
S'agissant des sommes créditées en 2011 :
9. Le litige porte sur six crédits bancaires provenant de dépôt d'espèces, dont le montant global est de 84 500 euros. Les requérants soutiennent que ces versements correspondent à des remboursements de sommes avancées à la société Logan Motors Limited en affirmant que l'administration aurait reconnu " exacts, sincères et probants " les tableurs, bilans et comptes de résultats de la société et admis des mouvements de fonds. Toutefois, il ne peut être, en l'absence d'éléments bancaires retraçant les flux financiers entre M. B... et la société, déduit de ces pièces la réalité de ces avances et remboursements en espèces.
S'agissant des sommes créditées en 2012 :
10. Le litige porte sur six crédits bancaires provenant de dépôt d'espèces, à l'exception d'un virement de 12 300 euros effectué par le père du dirigeant de la société Logan Motors Limited. Le montant global des crédits bancaires est de 83 480 euros. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 9, les sommes ne correspondent pas à des remboursements d'avances réalisées par M. B.... Quant au virement de 12 300 euros, les requérants n'apportent pas de justificatifs permettant de le regarder comme une somme qui ne serait pas imposable.
En ce qui concerne les sommes portées au crédit de comptes bancaires ouverts au
Royaume-Uni :
S'agissant des sommes portées en 2010 au crédit du compte tenu à la Barclays Bank par M. B... :
11. A la suite des observations formulées par les contribuables, le service a admis le caractère justifié de cinq crédits bancaires d'un montant total de 124 400 euros pour 2010. Postérieurement à l'envoi de la proposition de rectification, le service a découvert que M. B... détenait un compte non déclaré au sein de la banque Barclays et constaté l'existence de deux crédits bancaires de 60 802,27 livres et 106 047,12 livres inscrits le 19 novembre 2010, qui ont été regardés comme injustifiés. Le service a donc procédé à une compensation, sur le fondement de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales, avec le rehaussement abandonné, la somme de 124 400 euros restant alors imposable après la compensation.
12. Il appartient à l'administration fiscale qui entend user de son droit à compensation d'établir le bien-fondé des impositions qu'elle entend maintenir dans l'exercice de ce droit, même dans le cas où l'imposition initiale a été établie d'office.
13. Le ministre ne peut pas se prévaloir, dans son dernier mémoire, de la présomption de revenu imposable prévue à l'article 1649 A du code général des impôts dès lors qu'en l'espèce les sommes n'ont pas été transférées en France. De plus, il ne critique pas de manière étayée les éléments précis fournis par les requérants, notamment les contrats de deux trusts constitués par le père de M. B... en 1957 et 1965, une attestation d'un cabinet d'avocat à Londres et un relevé du compte bancaire de ce cabinet, qui sont apportées par M. et Mme B... sur l'origine de ces sommes, lesquelles sont issues de la liquidation des deux trusts, sur le versement des sommes à M. B... et à son frère, en tant que bénéficiaires des trusts, et sur le paiement d'une retenue à la source au Trésor public britannique. Dès lors, il n'apporte pas la preuve de ce que ces sommes constituent des revenus d'origine indéterminée. Il en résulte que leur imposition doit être abandonnée.
S'agissant des sommes portées de 2010 à 2012 au crédit du compte tenu à la banque HSBC:
Quant aux sommes créditées et intitulées " plan et winchester 9 lewis gardenn2 " :
14. Il résulte de l'instruction que les sommes créditées et intitulées " plan et winchester 9 lewis gardenn2 " correspondent à la perception de revenus fonciers issus de la location d'un bien immeuble situé au 9, Lewis Gardens à Londres, appartenant en indivision à M. B... et à sa mère, soit la perception de trois sommes de 1 516,66 euros en 2010, de douze sommes de
1 516,66 euros en 2011 et treize sommes de 1 516,66 euros en 2012, ou une somme globale de 42 466 euros. Il est établi par M. et Mme B..., en particulier par la production d'une attestation de l'administration fiscale britannique, que ces revenus fonciers ont été imposés tardivement en 2014 en raison d'une erreur du mandataire chargé de la location du bien. Malgré cette tardiveté, les contribuables apportent ainsi la preuve de ce qu'ils remplissaient bien les conditions pour bénéficier d'un crédit d'impôt pour ces revenus fonciers d'origine britannique, en application de l'article 24.3 de la convention fiscale franco-britannique du 19 juin 2008 au titre des années 2010 à 2012. Les sommes concernées doivent, par suite, être exclues des bases d'imposition à l'impôt sur le revenu en France.
Quant aux sommes créditées et intitulées " above the title pr loan repayement " et
" Aj bromley " :
15. Il s'agit, selon M. et Mme B..., d'un remboursement d'un prêt consenti par M. B... à la société Above The Title Productions Ltd par des versements d'un montant de
7 500 et de 10 000 livres effectués en février 2010. Les avances et remboursements sont confirmés par deux courriers de la société faisant état d'avances consenties par M. B.... Si l'un des deux virements a été réalisé directement par un des associés de la société, et non par la société elle-même, cet associé certifie avoir procédé à ce virement en remboursement du prêt. Cette circonstance est également confirmée dans un courrier de la société. L'administration fiscale française ne peut pas utilement soutenir que le prêt dont il s'agit aurait dû être enregistré auprès des services fiscaux britanniques dès lors qu'elle n'établit pas qu'il s'agissait d'une formalité obligatoire. Par suite, l'origine des sommes créditées de 7 500 livres et de 10 000 livres doit être regardée comme établie, de même que leur caractère non imposable.
Quant aux sommes créditées et intitulées " cli R0003520 ", " cli R0003521 ", " canada life int " et " cli R0086679 " :
16. M. et Mme B... soutiennent que les trois crédits bancaires d'un montant global 56 000 livres inscrits en 2010 et un crédit bancaire de 40 000 livres porté en 2012 correspondent à des versements d'un contrat d'assurance-vie. Le ministre ne conteste pas la véracité des documents relatifs à l'existence de ce contrat, des relevés de compte faisant état de ces versements et du courrier d'un conseiller financier indiquant que ces prélèvements ne sont pas imposables au Royaume-Uni. Ainsi, il n'est pas fondé à invoquer l'obligation prévue à l'article 1649 AA du code général des impôts de déclarer un contrat d'assurance-vie. Les revenus en cause, étant constitutifs de versements d'assurance-vie, ne pouvaient donc pas être taxés sur le fondement de l'article 92 du même code, qui concerne les bénéfices non commerciaux.
Sur les pénalités :
En ce qui concerne la majoration pour manquement délibéré :
17. L'administration, en se fondant sur l'absence de déclaration de revenus alors que M. et Mme B... étaient fiscalement domiciliés en France, y exerçaient une activité et étaient donc susceptibles d'être assujettis à l'impôt sur le revenu et qu'ils ont accusé réception d'une mise en demeure le 6 juillet 2013, doit être en l'espèce regardée comme apportant la preuve, dont la charge lui incombe, de l'intention des requérants d'éluder l'impôt pendant trois années et, par suite, du manquement délibéré justifiant l'application de la majoration prévue à l'article 1729 du code général des impôts. Le caractère modique des rectifications restant finalement en litige, qui est invoqué par M. et Mme B..., est sans incidence.
En ce qui concerne les amendes prononcées en application des dispositions du IV de l'article 1736 du code général des impôts pour défaut de déclaration de comptes bancaires ouverts à l'étranger :
18. M. et Mme B... n'invoquent pas à l'encontre de ces amendes de moyens spécifiques permettant d'apprécier le bien-fondé de leur application.
19. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande en tant qu'elle concerne les sommes portées au crédit de comptes bancaires ouverts au Royaume-Uni.
20. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais relatifs au litige.
D E C I D E :
Article 1er : Les bases d'imposition à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux auxquels M. et Mme B... ont été assujettis au titre des années 2010 à 2012 sont réduites conformément aux montants déterminés aux points 11 à 16 du présent arrêt.
Article 2 : M. et Mme B... sont déchargés des cotisations d'impôt sur le revenu qui ont été mises à leur charge au titre des années 2010 à 2012 à concurrence de la réduction des bases prononcée à l'article 1er.
Article 3 : Le jugement n° 1707046 du tribunal administratif de Nantes du 7 mai 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Il est mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, présidente de chambre,
- M. Geffray, président-assesseur
- M. Penhoat, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mars 2023.
Le rapporteur
J.E. C...La présidente
I. Perrot
La greffière
A. Marchais
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT02555