Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 26 août 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours, dirigé contre la décision du 25 février 2020 du consul général de France à Casablanca (Maroc), rejetant sa demande de visa de long séjour en qualité d'étudiante et celle présentée pour le compte de M. C... E..., son fils mineur, en qualité de visiteur.
Par un jugement n° 2009701 du 31 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 janvier et 10 mars 2022, Mme A... B... épouse E..., représentée par Me Moura, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 31 mai 2021 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 26 août 2020 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai de 48 heures à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, subsidiairement de réexaminer les demandes de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision consulaire et celle de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont insuffisamment motivées ;
- le motif opposé par les autorités consulaires est erroné eu égard aux garanties financières apportées ;
- les motifs opposés par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ne peuvent fonder légalement la décision eu égard à son projet doctoral de long terme validé par l'université de Pau, prolongeant un cursus universitaire et professionnel cohérents au Maroc, et alors que son fils mineur doit pouvoir l'accompagner.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B... épouse E..., ressortissante marocaine née le 29 février 1988, a sollicité le 20 février 2020 pour elle-même un visa de long séjour en qualité d'étudiante et pour son fils, M. C... E... né en 2018, un visa de long séjour en qualité de visiteur, auprès du consul général de France à Casablanca (Maroc). Par deux décisions du 25 février 2020, cette autorité a rejeté ces demandes. Par une décision du 26 août 2020, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre ces décisions consulaires. Par un jugement du 31 mai 2021, dont Mme B... relève appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 26 août 2020.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il résulte de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France que celle-ci s'est fondée sur l'existence d'un risque de détournement de l'objet du visa à d'autres fins, notamment migratoires, dès lors que les cours universitaires de l'année 2019/2020 envisagés par Mme B... n'avaient pas repris à la date à laquelle elle s'est prononcée et que l'intéressée ne présente pas d'éléments suffisamment probants permettant de s'assurer de l'absence de risque de détournement de l'objet du visa.
3. Aux termes de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable au litige : " (...) / Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour. (...) / Les autorités diplomatiques et consulaires sont tenues de statuer sur les demandes de visa de long séjour formées par (...) les étudiants dans les meilleurs délais. (...) ".
4. L'autorité administrative peut, le cas échéant, et sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir restreint à l'erreur manifeste, rejeter la demande de visa de long séjour pour effectuer des études en se fondant sur le défaut de caractère sérieux et cohérent des études envisagées, de nature à révéler que l'intéressé sollicite ce visa à d'autres fins que son projet d'études.
5. Il ressort des pièces du dossier d'une part que Mme B..., née en 1988, a engagé au Maroc, parallèlement à un cursus professionnel, des études dans l'enseignement supérieur marocain qui lui ont permis d'obtenir en 2009 un diplôme de technicien supérieur en hôtellerie et tourisme puis, en 2015, un diplôme de technicien spécialisé en gestion des entreprises, en 2017 une licence professionnelle " filière techniques comptables et financières " et en 2019 un mastère spécialisé " filière master sciences et techniques comptables et financières " avec la mention bien, au sein d'une université publique marocaine. Dans le prolongement de ces études elle a été admise en 2019 en qualité d'étudiante à l'Ecole doctorale de Sciences sociales et Humanités de l'université de Pau, où un directeur de thèse a été désigné avec un projet d'étude portant sur " l'impact de la GRH sur la performance des PME au Maroc ". Il est établi par les pièces du dossier qu'alors même que du fait du confinement consécutif à la pandémie de Covid-19 les cours universitaires sur le site de l'université n'avaient pas repris à la fin de l'année universitaire 2019/2020, et en raison de l'absence de visa, Mme B... a entamé des échanges avec son directeur de thèse, lequel a attesté à plusieurs reprises de la qualité de ses premiers travaux. Par ailleurs le comité de suivi de thèse de l'université de Pau a émis, le 24 juin 2020, un avis favorable à la poursuite des travaux de Mme B... pour l'année 2020/2021 et à sa réinscription. Les circonstances que le conjoint de Mme B... poursuive ses études en gestion des entreprises à l'université de Pau au bénéfice d'un titre de séjour et qu'un enfant soit né de leur relation en 2018, ne sont pas de nature à priver de sérieux le parcours universitaire de l'intéressée et ne suffisent pas à établir l'existence d'un risque de détournement de l'objet du visa, notamment à des fins migratoires. Du reste Mme B... établit qu'elle a préinscrit son enfant dans une crèche paloise. Il en va de même du fait qu'elle ait sollicité un visa de court séjour afin de rendre visite à son conjoint en France en 2019. Enfin, il n'est pas contesté que Mme B... a présenté diverses justifications de ses capacités à financer son séjour et celui de son enfant en France. Par suite, en se fondant sur le défaut de caractère sérieux et cohérent des études envisagées, de nature à révéler que l'intéressée et son enfant mineur ont sollicité des visas à d'autres fins que son projet d'études, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
7. Le présent arrêt implique nécessairement, compte tenu de ses motifs, que le ministre de l'intérieur et des outre-mer délivre à Mme B... et à son fils les visas d'entrée et de long séjour en France sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
8. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Moura de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2009701 du 31 mai 2021 du tribunal administratif de Nantes et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 26 août 2020 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer des visas de long séjour à Mme A... B... épouse E... et au jeune C... E..., dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Moura une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié Mme A... B... épouse E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 17 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2023.
Le rapporteur,
C. D...
Le président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT00025