Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SA Keraudren Grand Large a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 26 mai 2020 par laquelle le directeur en charge de la direction spécialisée de contrôle fiscal Centre-Ouest a rejeté sa réclamation tendant à la fixation des déficits reportables au titre des exercices clos les 31 décembre 2013 et 31 décembre 2014.
Par un jugement n° 2003222 du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 25 juillet 2022 et 27 mars 2023, la SA Keraudren Grand Large, représentée par Me Labro, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de la DIRCOFI Centre Ouest le paiement d'une somme de 3.000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
soutient que :
- la requête adressée au tribunal administratif de Rennes avait pour objet en application des dispositions de l'article L. 199-1 du livre des procédures fiscales de contester la décision de rejet de l'administration fiscale qui emportait diminution des déficits reportables ;
- la méthode d'évaluation des parts sociales de la SCI Saint Vincent de Paul proposée par le service est erronée : l'application de la méthode fondée sur la reproduction de bénéfices est inadaptée à la situation de la SCI Saint-Vincent de Paul ; le décalage significatif entre la valorisation effectuée selon la méthode mathématique et la valorisation effectuée selon la méthode de productivité aurait dû conduire l'administration fiscale à écarter l'une des deux méthodes ; seule la méthode à partir de la seule valeur mathématique aurait dû être appliquée ;
- une évaluation de la valeur des parts sociales par la seule méthode mathématique est possible compte tenu des circonstances particulières de l'espèce ; la méthode de productivité appliquée pour évaluer les parts de la SCI Saint Vincent doit être écartée ;
- l'évaluation des parts de la SCI Saint-Vincent de Paul ne pouvait pas être effectuée au jour de la réalisation juridique de la réduction de capital non motivée par des pertes ; les premiers juges ont commis une erreur de droit ;
- la date d'évaluation des parts de la SCI Saint Vincent de Paul à retenir n'est pas celle du 16 décembre 2013 mais celle du 23 octobre 2013 date à laquelle le Conseil de Surveillance et le Directoire ont définitivement arrêté le prix des parts sociales ;
- seules les dettes arrêtées à la date du dernier bilan, au 31 décembre 2012, doivent être retenues pour minorer la valeur des parts arrêtée selon la méthode mathématique ;
- l'indemnité de résiliation du bail consentie le 20 décembre 2013 n'aurait pas dû être prise en compte car elle constitue un produit constaté d'avance ;
- il n'était pas dans l'intérêt de la SA Keraudren grand large de s'appauvrir, même à la marge, en rachetant ses propres titres en contrepartie de parts sous-évaluées au profit d'un associé minoritaire tiers au groupe Vedici.
Par des mémoires en défense enregistrés les 26 janvier 2023 et 7 avril 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SA Keraudren Grand Large ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Viéville,
- et les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SA Keraudren grand large faisait partie d'un groupe composé notamment de la SAS Sogesta de la SAS Vedici, de la SA Fimed et la SCI Saint Vincent de Paul. La société Sogesta a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 à l'issue de laquelle l'administration a notamment considéré que l'obtention des 111 922 parts de la SCI Saint Vincent de Paul, évaluées à la somme globale de 232 256 euros dans le cadre du rachat le 16 décembre 2013 par la société Keraudren Grand Large de ses propres titres du fait de la réduction de son capital, a été effectuée à un prix minoré, constitutive d'une libéralité au bénéfice de la société Sogesta. L'administration a notifié à la SA Keraudren grand Large, par proposition de rectification du 15 juin 2016, l'avantage anormal ainsi consenti. Il s'en est suivi un rehaussement en base d'un montant de 782 210 euros et une réduction concomitante du montant des déficits reportables de la société au titre des exercices clos les 31 décembre 2013 et 31 décembre 2014, ceux-ci passant de 3 264 650 euros à
2 482 440 euros et de 2 750 605 euros à 1 968 395 euros. Les observations puis le recours hiérarchique ont été rejetés. La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires dans un avis du 20 mai 2017 a également confirmé la rectification. Après avoir vainement présenté une réclamation, la SA Keraudren grand large a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la fixation des déficits reportables au titre des exercices clos les 31 décembre 2013 et 31 décembre 2014. Par un jugement du 25 mai 2022, ce tribunal a rejeté sa demande. La SA Keraudren grand large relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision de rejet de la réclamation :
2. La décision par laquelle l'administration statue sur la réclamation contentieuse d'un contribuable n'est pas susceptible de faire l'objet d'un recours ou de conclusions en annulation dès lors qu'elle n'est pas détachable de la procédure d'imposition. Par suite, la SA Keraudren Grand Large n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement n° 2003222 du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté comme irrecevable sa demande d'annulation de la décision de rejet de la réclamation contentieuse du 26 mai 2020 tendant à obtenir la réparation d'erreurs commises par l'administration dans la détermination des résultats déficitaires des exercices clos les 31 décembre 2013 et 31 décembre 2014.
Sur le bien-fondé des réductions de déficits :
3. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. S'agissant de la cession d'un élément d'actif immobilisé, lorsque l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, soutient que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu'elle a retenue et que le contribuable n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause cette évaluation, elle doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l'acte de cession si le contribuable ne justifie pas que l'appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l'intérêt de l'entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu'elle en ait tiré une contrepartie.
4. La valeur vénale d'actions non cotées en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. L'évaluation des titres d'une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires. Toutefois, en l'absence de transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires, l'administration peut légalement se fonder sur l'une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l'actif ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes. Le juge apprécie le caractère significatif de l'écart entre le prix de cession et la valeur vénale des titres de société compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
En ce qui concerne la méthode d'évaluation des parts de la SCI Saint Vincent de Paul :
5. La SA Keraudren grand large fait valoir que la méthode d'évaluation fondée sur la valeur de productivité mise en œuvre pour la détermination de la valeur des parts de la SCI Saint Vincent est inadaptée en raison du changement d'affectation des locaux résultant d'une part, du déménagement de la clinique Keraudren Grand large, locataire de la SCI Saint Vincent dans le cadre du bail existant jusqu'au 31 décembre 2013 puis dans le cadre d'un bail précaire conclut pour une durée maximale de trois ans et six mois et, d'autre part, de la faible probabilité de reprise par un autre preneur eu égard aux contraintes liées à la règlementation en matière de santé et à la nécessaire délivrance d'autorisations par l'agence régionale de santé. Toutefois, la détermination de la valeur des parts de SCI par la méthode de productivité qui repose sur la capitalisation du résultat net que l'entreprise produit est indépendante de l'usage des locaux par un nouveau preneur, les locaux de la SCI Saint Vincent libérés par la SA Keraudren étant de plus susceptibles de continuer à produire des revenus après le 31 décembre 2013 au moins sur la durée de la convention d'occupation précaire. Ainsi, c'est à tort que la SA Keraudren soutient que la méthode d'évaluation par la valeur de productivité ne pouvait pas être mise en œuvre.
6. La SA Keraudren reproche encore à l'administration d'avoir combiné la méthode mathématique et la méthode par la valeur de productivité pour l'évaluation des parts de la SCI Saint Vincent et d'avoir cherché artificiellement à faire converger les valeurs obtenues significativement éloignées par la mise en œuvre de ces deux méthodes en appliquant une décote sur la valeur obtenue par la méthode reposant sur la valeur de productivité. Toutefois, dans le cadre de la détermination de la valeur de productivité des parts de la SCI Saint Vincent de Paul le service après avoir calculé un bénéfice moyen pondéré sur les exercices clos en 2011, 2012 et 2013 et retraité ce dernier exercice en ne prenant pas en compte l'indemnité de rupture du bail d'un montant de 1 350 000 euros a pu à bon droit tenir compte de la situation particulière du bien à évaluer en appliquant une décote de 10 % pour tenir compte de la non liquidité du bien puis retenir une pondération de risque maximale pour prendre compte le risque inhérent à la location immobilière de locaux à usage de clinique. En outre, la circonstance qu'il existe un écart important entre la valeur des parts obtenus par chacune des deux méthodes utilisées n'est pas de nature à faire obstacle ni à l'application d'une combinaison de ces deux méthodes ni à leur pondération. Il ne résulte en outre pas de l'instruction qu'en retenant une pondération d'un coefficient de 4 appliqué à la valeur mathématique et un coefficient de 1 appliqué à la valeur de productivité, le service n'aurait pas procédé à un calcul reflétant la réalité économique de la société.
En ce qui concerne la date d'évaluation des parts de la SCI Saint Vincent de Paul :
7. La SA Keraudren grand large soutient que l'évaluation des parts de la SCI Saint-Vincent de Paul ne pouvait être effectuée au jour de la réalisation juridique de la réduction de capital, le 16 décembre 2013, lorsque le Conseil de Surveillance et le Directoire de la SA Keraudren grand large ont définitivement arrêté le prix des parts de la SCI mais à la date du 23 octobre 2013 à laquelle a été prise la décision de rachat de 95 350 de ses propres actions par la SA Keraudren. Cependant, eu égard au bref intervalle séparant les dates des 23 octobre 2013 et du 16 décembre 2013 au cours duquel aucun changement important dans l'activité de la SCI n'est intervenu et compte tenu des conditions d'exploitation et de la situation nette comptable de la SCI Saint Vincent de Paul, la fixation du prix des parts de SCI doit être regardée comme pertinente à la date du 16 décembre 2013.
En ce qui concerne la prise en compte des dettes à la clôture de l'exercice 2013 :
8. En troisième lieu, la société soutient que le service ne pouvait pas retenir les dettes à la clôture de l'exercice 2013 qui est postérieure de 15 jours à la date de l'évaluation des parts de la SCI Saint Vincent, Il résulte de l'instruction que l'administration pour déterminer la valeur des parts de sociales de la SCI Saint Vincent de Paul a retenu la valeur patrimoniale du terrain et des immeubles telle que proposée par la société Keraudren, inférieure à la valeur inscrite au bilan, n'a pas pris en compte les créances détenues par la SCI Saint Vincent de Paul au 16 décembre 2013 et a retenu un montant de dettes supérieur à cette même date à celui proposé par la SA Keraudren grand large. Ainsi, la SA Keraudren ne démontre pas en quoi le montant des dettes retenu au 31 décembre 2013 vicie l'évaluation des parts effectuée par le service, alors au demeurant que le montant des dettes ainsi retenu est supérieur à celui proposé par la société à la clôture de l'exercice 2012.
En ce qui concerne la prise en compte de l'indemnité de résiliation du bail :
9. La SA Keraudren grand large soutient que l'indemnité de résiliation qui compense une baisse de loyers futurs sur la période du 1er janvier 2014 au 30 juin 2017 et qui a la nature d'un produit constaté d'avance ne devait pas être prise en compte pour l'évaluation des parts de la SCI Saint Vincent de Paul. Toutefois, cette indemnité comptabilisée par la SA Keraudren et la SCI Saint Vincent de Paul a la nature d'une charge ou d'un produit exceptionnel. L'administration a donc pu prendre en compte cette créance acquise pour la SCI à la clôture de l'exercice clos au 31 décembre 2013 pour évaluer la valeur des parts sociales de la SCI.
En ce qui concerne l'absence d'intérêt de la SA Keraudren grand large à sous évaluer les parts de la SCI Saint Vincent de Paul :
10. La SA Keraudren grand large soutient qu'il n'était pas dans son intérêt de s'appauvrir, même à la marge, en rachetant ses propres titres en contrepartie de parts sous-évaluées au profit d'un associé minoritaire tiers au groupe Vedici. Cependant, eu égard aux liens capitalistiques existant entre la SA Keraudren grand large, la SCI Saint Vincent de Paul, détenue avant l'opération à 60.17 % par la SA Keraudren Grand large, la société Vedici, qui détenait 20.51 % des parts de la SA Keraudren grand large et la SAS Sogesta qui détenaient 63.32 % des parts de la SA Keraudren grand large, l'intérêt de l'opération ne pouvait pas s'apprécier qu'au seul niveau de la SA Keraudren grand large. De même, la circonstance qu'un associé tiers minoritaire, qui ne détient qu'une seule action de la société Keraudren grand Large, se soit vu proposer les mêmes conditions de rachat ne permet pas d'écarter tout intérêt à la sous-évaluation des parts de la SCI Saint Vincent de Paul dans le cadre de l'opération de rachat de ses propres actions par la SA Keraudren grand large. Ainsi, la société ne démontre pas l'absence d'intérêt à racheter les parts sociales de la SCI Saint Vincent de Paul à un prix sous-évalué.
11. Le rachat par la SA Keraudren Grand large de ses propres actions auprès de la SA Sogesta s'est effectué pour partie par la remise de parts sociales de la SCI Saint-Vincent de Paul significativement sous évaluées. La SA Keraudren n'apporte pas d'éléments de nature à justifier que la remise de parts sociales de la SCI Saint-Vincent à la SA Sogesta en contrepartie de ses propres actions selon une parité reposant sur une sous-évaluation ait été décidée dans son intérêt. Il suit de là que l'administration qui apporte la preuve qui lui incombe du caractère anormal des conditions de rachat des actions de la SA Keraudren Grand Large et de la libéralité consentie à la SA Sogesta a pu à bon droit réintégrer la somme de 782 210 euros correspondant au montant de l'avantage anormal ainsi consenti au résultat imposable de la société Keraudren grand large au titre de l'année 2013
12. Il résulte de tout ce qui précède la SA Keraudren Grand large n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de de la SA Keraudren Grand Large est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Keraudren Grand Large et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Quillévéré, président de chambre,
- M. Geffray, président-assesseur,
- M. Viéville, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2023.
Le rapporteur
S. ViévilleLe président
F. Quillévéré
La greffière
A. Marchais
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°22NT0242802