Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 20 juillet 2021 du ministre de l'intérieur refusant de lui délivrer un visa de long séjour, en qualité de travailleur salarié.
Par un jugement n° 2110353 du 11 avril 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 20 juillet 2021 du ministre de l'intérieur et lui a enjoint de faire délivrer le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 juin 2022 le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 11 avril 2022 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B....
Il soutient que :
- il existe une inadéquation entre le contrat de travail visé par la DREETS et le contrat de travail conclu entre M. B... et le centre hospitalier de Thuir, alors que l'intéressé ne justifiait pas d'une expérience en qualité de médecin psychiatre ;
- il y a lieu de substituer au motif erroné de la décision en litige celui tiré de ce que M. B... ne remplit pas les conditions pour exercer l'emploi projeté au regard de la procédure de recrutement des médecins ressortissants d'un pays hors Union Européenne.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2023, M. A... C... B..., représenté par Me Chninif, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de la santé publique ;
- le code du travail ;
- le décret n° 2021-365 du 29 mars 2021 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dubost a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant algérien né le 1er février 1987, a sollicité de l'autorité consulaire française à Alger la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour aux fins d'exercer une activité salariée de médecin, lequel lui a été refusé. Par une décision du 20 juillet 2021, le ministre de l'intérieur a rejeté son recours formé contre cette décision. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 11 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 20 juillet 2021 et lui a enjoint de faire délivrer le visa de long séjour sollicité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. La décision en litige du 20 juillet 2021 est fondée sur le fait que les informations communiquées pour justifier des conditions de séjour de M. B... ne sont pas fiables, l'accord de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) et la promesse d'embauche faisant état de deux emplois différents.
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : / 1° Les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; / 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail. "
4. Il ressort des pièces du dossier que si le feuillet n° 1 de l'autorisation accordée le 20 septembre 2020 par la DIRECCTE pour l'emploi de M. B... par le centre hospitalier de Thuir mentionne par erreur que l'emploi occupé sera celui d'un médecin psychiatre, l'annexe à ce formulaire indique que les missions à effectuer seront des " consultations et prises en charge en médecine générale sur les unités d'hospitalisation ", ce qui est en adéquation avec la promesse d'embauche en qualité de médecin généraliste renseignée par ce même centre hospitalier le 15 juillet 2020 et produite à l'appui de la demande de visa présentée ensuite par M. B.... Par suite, c'est au terme d'une inexacte application des dispositions citées au point 3 que le ministre de l'intérieur a rejeté la demande de visa présentée par M. B... au motif que l'emploi de médecin généraliste proposé par le centre hospitalier à M. B... ne correspondait pas à celui que ce même centre avait été autorisé à pourvoir par la DIRECCTE le 20 juillet 2020.
5. En second lieu, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. Pour établir que la décision attaquée était légale, le ministre fait valoir le motif tiré de ce que M. B... ne remplit pas les conditions d'exercice de l'emploi projeté en l'absence de production de l'arrêté nominatif fixant la liste des praticiens ayant satisfait aux épreuves de vérification des connaissances du code de la santé publique.
7. La circonstance qu'un travailleur étranger dispose d'une autorisation de travail délivrée ne fait pas obstacle à ce que l'autorité compétente refuse de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en France, dès lors que l'administration peut, indépendamment d'autres motifs de rejet tels que la menace pour l'ordre public, refuser la délivrance d'un visa, qu'il soit de court ou de long séjour, en cas de risque avéré de détournement de son objet, lorsqu'elle établit que le motif indiqué dans la demande ne correspond manifestement pas à la finalité réelle du séjour de l'étranger en France. S'agissant en particulier du risque de détournement de l'objet du visa, le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur l'appréciation portée par l'administration en cas de refus de visa fondé exclusivement ou notamment sur l'absence d'adéquation de la qualification et de l'expérience professionnelle du demandeur avec l'emploi proposé.
8. Aux termes de l'article R. 6152-602 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : " Pour pouvoir être recruté en qualité de praticien attaché, le postulant doit : 1° Remplir les conditions légales d'exercice de la profession de médecin, chirurgien-dentiste ou pharmacien en France et : a) Soit remplir les conditions prévues par les articles L. 4111-1 ou L. 4221-1 ; b) Soit être autorisé à exercer la profession de médecin, chirurgien-dentiste ou pharmacien, en application des articles L. 4111-2, L. 4131-1-1, L. 4141-3-1, L. 4221-12, L. 4221-14-1, L. 4221-14-2, L. 6213-3, de la première phrase du 1° de l'article L. 6213-2 ou de l'article 60 de la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d'une couverture maladie universelle ; / 2° Justifier d'une inscription au tableau de l'ordre dont il relève ; (...) ". Aux termes de l'article R. 6132-632 du même code dans sa rédaction applicable au litige : " Peuvent être recrutés comme praticiens attachés associés les praticiens qui, ne remplissant pas les conditions indiquées aux 1° et 2° de l'article R. 6152-602, ont achevé leurs études médicales, odontologiques ou pharmaceutiques et qui, en outre, remplissent les conditions de diplôme, de titre et de formation fixées par arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et de l'enseignement supérieur. / Les praticiens attachés associés participent à l'activité de l'établissement public de santé sous la responsabilité directe du responsable de la structure dans laquelle ils sont affectés ou de l'un de ses collaborateurs médecin, chirurgien, odontologiste ou pharmacien. A ce titre, ils peuvent exécuter des actes médicaux ou pharmaceutiques de pratique courante. / Ils peuvent être appelés à collaborer à la continuité des soins et à la permanence pharmaceutique organisée sur place, en appui des personnels médicaux du service statutairement habilités à participer à la continuité des soins et à la permanence pharmaceutique et sous leur responsabilité. Ils ne sont pas autorisés à effectuer des remplacements. (...) ".
9. Il résulte des dispositions de l'article R. 6132-632 du code de la santé publique, qui s'appliquent à la décision en litige conformément aux dispositions transitoires du décret susvisé du 29 mars 2021 portant création du statut des praticiens associés, que peuvent être recrutés en qualité de praticien attaché associé, sans qu'il soit besoin pour eux d'avoir satisfait aux épreuves de vérification des connaissances prévues par les dispositions de l'article L. 4111-2 du même code, les praticiens qui ne remplissent pas les conditions prévues à l'article R. 6152-602 de ce code. Ces praticiens ne participent toutefois à l'activité du service au sein duquel ils sont affectés que sous la responsabilité directe du responsable de la structure ou de l'un de ses collaborateurs.
10. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'autorisation accordée par la DIRECCTE, que M. B... a été recruté pour exercer en qualité de praticien attaché associé sous la responsabilité d'un médecin senior au sein du centre hospitalier de Thuir. Aussi, M. B... n'était pas assujetti aux obligations prévues par les 1° et 2° de l'article R. 6152-602 du code de la santé publique, dont celle de figurer sur une liste des praticiens ayant satisfait aux épreuves de vérification des connaissances. Dès lors, le nouveau motif invoqué par le ministre n'est pas de nature à établir une inadéquation entre les qualifications de M. B... et l'emploi projeté et donc à fonder légalement sa décision contestée du
20 juillet 2021. La substitution de motifs demandée doit, par suite, être écartée.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 20 juillet 2021 et lui a enjoint de faire délivrer le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Rivas, président de la formation de jugement,
- Mme Ody, première conseillère,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2023.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président de la formation
de jugement,
C. RIVAS
La greffière,
S. PIERODÉ
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 22NT01821