Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... G... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 9 juillet 2021 par lequel le préfet de la région Bretagne lui a refusé l'autorisation d'exploiter les parcelles cadastrées nos ZH 53, ZH 65, ZH 66, ZP 61, ZP64, ZP 85, ZR 75,
ZR 76, ZR 80, ZS 36 et ZS 44 situées sur la commune de Radenac, ainsi que la décision implicite portant rejet de son recours gracieux.
Par un jugement n°2200730 du 13 février 2023, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 9 juillet 2021 et la décision de rejet du recours gracieux contre cet arrêté.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 mars 2023, M. D... F..., représenté par Me Guillois, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 février 2023
2°) de rejeter la demande présentée par Mme G... devant le tribunal administratif de Rennes ;
3°) de mettre à la charge de Mme G... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande de Mme G... devant le tribunal était irrecevable, dès lors que le tribunal a été saisi après l'expiration du délai de recours, qui est intervenue le 14 novembre 2022 ;
- c'est à tort que le tribunal a jugé que le refus d'autorisation d'exploiter pris à l'encontre de Mme G... était entaché d'une erreur de droit au regard notamment de l'article L. 331-6 du code rural et de la pêche maritime, dès lors qu'il était titulaire d'un bail rural sur les terres en litige alors même qu'il n'avait pas été autorisé par l'administration à les exploiter ;
- si la cour estimait que l'opération demandée pouvait être autorisée malgré la réduction de la surface d'épandage à 40 %, il conviendrait de substituer au motif de la décision contestée celui tiré celui de la réduction de plus d'un cinquième de la surface agricole utile de l'exploitation.
Par un mémoire enregistré le 22 mai 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire s'en remet à la sagesse de la cour.
La requête a été communiquée à Mme G... qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
- l'arrêté du préfet de la région Bretagne en date du 4 mai 2018 fixant le schéma directeur régional des exploitations agricoles de Bretagne ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Catroux,
- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 2 juillet 2018, le tribunal de grande instance de Vannes a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de l'EARL Kerholstein. M. F..., qui exerce une activité d'éleveur porcin a formulé, dans ce cadre, une offre de reprise et M. C..., gérant de l'EARL Kerholstein, a conclu avec lui, le 30 juillet 2018, une promesse de bail rural sur les parcelles cadastrées nos ZH 53, ZH 65, ZH 66, ZP 61, ZP 64, ZP 85, ZR 75, ZR 76, ZR 80,
ZS 36 et ZS 44, d'une surface totale de 22 ha 47 a, situées sur la commune de Radenac (Morbihan). Par un jugement du 1er octobre 2018, le tribunal de grande instance de Vannes a validé l'offre de reprise de M. F... et arrêté un plan de reprise des actifs de l'EARL Kerholstein au profit du repreneur. M. F... et M. C... ont conclu un bail verbal sur les parcelles appartenant à M. C... qui avaient fait l'objet de la promesse de bail rural susmentionnée et ces parcelles ont été exploitées par M. F.... Le 22 mars 2021, Mme G... a déposé une demande d'autorisation d'exploiter pour ces mêmes parcelles. Par un arrêté du 9 juillet 2021, le préfet de la région Bretagne a refusé l'autorisation d'exploiter demandée par Mme G..., au motif que la poursuite de l'exploitation des parcelles en litige par M. F... relevait du rang de priorité n° 1 fixé par l'article 3 du schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA), alors que la demande de Mme G... relevait du rang de priorité n° 8 de ce schéma directeur. Le 11 octobre 2021, Mme G... a formé un recours gracieux qui a été implicitement rejeté par le préfet. Par un jugement du 13 février 2023, dont
M. F... relève appel, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 9 juillet 2021 et la décision de rejet du recours gracieux contre cet arrêté.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. D'une part, aux termes des dispositions de l'article L. 331-6 du code rural et de la pêche maritime : " Tout preneur doit faire connaître au bailleur, au moment de la conclusion du bail ou de la prise d'effet de la cession de bail selon les cas, la superficie et la nature des biens qu'il exploite ; mention expresse en est faite dans le bail. Si le preneur est tenu d'obtenir une autorisation d'exploiter en application de l'article L. 331-2, la validité du bail ou de sa cession est subordonnée à l'octroi de cette autorisation. Le refus définitif de l'autorisation ou le fait de ne pas avoir présenté la demande d'autorisation exigée en application de l'article L. 331-2 dans le délai imparti par l'autorité administrative en application du premier alinéa de l'article
L. 331-7 emporte la nullité du bail que le préfet du département dans lequel se trouve le bien objet du bail, le bailleur ou la société d'aménagement foncier et d'établissement rural, lorsqu'elle exerce son droit de préemption, peut faire prononcer par le tribunal paritaire des baux ruraux. ".
3. D'autre part, aux termes du III de l'article L. 312-1, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, applicable en l'espèce : " Le schéma directeur régional des exploitations agricoles établit, pour répondre à l'ensemble des objectifs et orientations mentionnés au I du présent article, l'ordre des priorités entre les différents types d'opérations concernées par une demande d'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2, en prenant en compte l'intérêt économique et environnemental de l'opération ". En vertu du 1° du I de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, applicable en l'espèce, sont soumises à autorisation préalable les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles mentionnés à cet article. Le second alinéa de l'article L. 331-3 du même code dispose que l'autorité administrative " vérifie, compte tenu des motifs de refus prévus à l'article L. 331-3-1, si les conditions de l'opération permettent de délivrer l'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 et se prononce sur la demande d'autorisation par une décision motivée. " Aux termes du I de l'article L. 331-3-1 du même code dans la rédaction applicable en l'espèce : " L'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 peut être refusée : / 1° Lorsqu'il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles mentionné à l'article L. 312-1 ; / (...) ". Aux termes du II de l'article R. 331-6 : " La décision d'autorisation ou de refus d'autorisation d'exploiter prise par le préfet de région doit être motivée au regard du schéma directeur régional des exploitations agricoles et des motifs de refus énumérés à l'article L. 331-3-1 ". Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il est saisi de demandes d'autorisation concurrentes par un preneur en place ou un candidat à la reprise répondant à des ordres de priorités différents au regard des prescriptions du schéma directeur régional, le préfet fait en principe application de l'ordre de priorité fixé par le schéma pour rejeter la demande placée à un ordre de priorité inférieur. Il peut toutefois délivrer une autorisation concurrente à une demande de rang inférieur si l'intérêt général ou des circonstances particulières, en rapport avec les objectifs du schéma directeur, le justifient.
4. Aux termes de l'article 3 du schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) relatif à l'ordre des priorités: " Article 3 : Ordre de priorités (...) / II - Les priorités
/ Priorité 1 : maintien de l'exploitation du preneur en place (...) / maintien de l'exploitation du preneur en place lorsque l'opération est de nature à porter gravement atteinte à l'équilibre structurel de son exploitation, du fait de l'un ou l'autre des cas suivants : (...) opération de nature à retirer plus de 10 % du plan d'épandage d'une exploitation d'élevage sans solution alternative raisonnable possible pour l'exploitant. / opération de nature à retirer plus du cinquième de la surface agricole utile de l'exploitation, dans la mesure où l'exploitation du preneur en place après l'opération est de dimension économique inférieure à celle du demandeur après opération. (...) ".
5. M. C... a conclu avec M. F... une promesse de bail à ferme le 30 juillet 2018 portant sur les terres agricoles en litige d'une surface de 22 hectares et 47 ares situées à Radenac. Les intéressés ont ensuite conclu un bail verbal sur ces mêmes terres agricoles à compter du 1er octobre 2018, ce dont ils ont attesté, le même jour, par écrit. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date du refus d'autorisation contesté, une action en nullité du bail aurait été intentée et, partant, qu'à la suite de cette action, la nullité du bail aurait été prononcée, dans les conditions prévues par l'article L. 331-6 du code rural et de la pêche maritime. M. F... pouvait donc se prévaloir du bail conclu le 1er octobre 2018 et, ainsi, de la qualité de preneur en place pour les terres agricoles en cause, alors même qu'il n'avait pas obtenu l'autorisation administrative d'exploiter ces terres. Par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté préfectoral du 9 juillet 2021 portant refus d'autorisation d'exploiter les parcelles en cause ainsi que la décision implicite portant rejet du recours gracieux contre cet arrêté, le tribunal administratif de Rennes s'est fondé sur ce que les décisions contestées méconnaissaient les dispositions précitées de l'article 3 du SDREA de Bretagne, en ce que l'administration l'aurait regardé à tort comme pouvant se prévaloir de la qualité de preneur en place et du rang de priorité correspondant prévu par cet article.
6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme G... devant le tribunal administratif.
Sur les autres moyens invoqués par Mme G... contre l'arrêté du 9 juillet 2021 :
7. En premier lieu, par un arrêté du 11 mai 2021, régulièrement publié, le directeur régional de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt de Bretagne a, en application du 4° de l'article 38 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements, subdélégué la signature du préfet de cette région à M. B... A..., chef du service régional d'économie et des filières agricoles et agroalimentaires, dans la limite des missions exercées par celui-ci. Par suite, doit être écarté le moyen tiré de ce que ce dernier n'était pas compétent pour signer l'arrêté du 9 juillet 2021 portant refus d'autorisation d'exploiter des terres agricoles.
8. En deuxième lieu, il ressort des pièces produites en première instance par le préfet de la Région Bretagne que M. F... avait la qualité de preneur en place pour 4,425 des
4,629 hectares que comporte la parcelle cadastrée ZP 64, soit sa plus grande part. Il en ressort aussi que Mme G... exploite des terres agricoles dans le Morbihan, à Radenac, ainsi que dans l'Yonne. Par suite, les erreurs de fait invoquées par Mme G..., tenant à ce que
M. F... ne serait pas titulaire d'un bail pour la parcelle cadastrée ZP 64 et à ce qu'elle-même n'exploiterait pas des terres agricoles dans ces deux départements doivent être écartées.
9. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 331-3-2 du code rural et de la pêche maritime : " L'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 peut n'être délivrée que pour une partie de la demande, notamment si certaines des parcelles sur lesquelles elle porte font l'objet d'autres candidatures prioritaires ". Mme G... faisait valoir devant le tribunal administratif de Rennes que l'administration aurait pu ne faire bénéficier M. F... d'une priorité, en sa qualité de preneur en place, que dans la mesure nécessaire pour éviter de diminuer de plus de 5,596 hectares la surface d'épandage de son exploitation et aurait pu, dès lors, lui accorder à elle-même une autorisation pour le surplus des terres agricoles disponibles. Toutefois, si l'autorité administrative a la faculté, en application des dispositions précitées, de ne délivrer l'autorisation d'exploiter des terres agricoles que pour une partie de la demande, elle n'y est pas tenue. Et il n'est pas démontré, au cas particulier, que l'intérêt général ou des circonstances particulières en rapport avec les objectifs du SDREA de Bretagne auraient justifié que le préfet délivre à Mme G..., en dépit du rang inférieur de sa demande par rapport à la situation de M. F..., une autorisation d'exploiter concurrente à celle accordée à celui-ci, sur tout ou partie des terres en cause. Le préfet de la région Bretagne pouvait ainsi légalement, en l'espèce, refuser l'autorisation d'exploiter pour l'ensemble des parcelles faisant l'objet de la demande de Mme G.... Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit, par suite, être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée à la demande de Mme G... devant le tribunal, ni la demande de substitution de motifs formée par M. F..., que ce dernier est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 9 juillet 2021 et la décision de rejet du recours gracieux contre cet arrêté.
Sur les frais d'instance :
11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à charge de Mme G... la somme que demande M. F... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 13 février 2023 est annulé.
Article 2 : La demande de Mme G... devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... F..., à Mme E... G... et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de la région Bretagne.
Délibéré après l'audience du 14 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Vergne, président,
- Mme Lellouch, première conseillère,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2024.
Le rapporteur,
X. CATROUXLe président,
G.-V. VERGNE
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00887