Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du
30 juin 2022 par lequel le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
Par un jugement n° 2201977 du 7 février 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté la requête de M. A....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 2 mars et le 13 octobre 2023, M. B... A..., représenté par Me Lelouey, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 30 juin 2022 par lequel le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé et révèle un défaut d'examen complet de sa situation ;
- la décision portant refus de titre de séjour méconnaît l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Un mémoire en défense a été produit par le préfet du Calvados, le 11 mars 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du
9 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Vergne a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant guinéen né en 2003, déclare être entré irrégulièrement en France le 5 octobre 2020. Il a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance en qualité de mineur isolé à partir du 24 novembre 2020, un contrat d'accueil social jeune majeur étant conclu à compter de la date du 5 janvier 2021 à laquelle il est devenu majeur, qui lui a permis d'engager des études en première année puis en deuxième année de CAP serrurerie soudure au lycée professionnel Jules Verne de Mondeville (Calvados), spécialité " Réalisations industrielles en chaudronnerie ou soudage ", sans qu'il obtienne son diplôme à l'issue de l'année scolaire 2021-2022. Devenu majeur, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un jugement du 7 février 2023 dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa requête tendant à l'annulation de l'arrêté du 30 juin 2022 par lequel le préfet du Calvados a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne le moyen commun aux décisions attaquées :
2. L'arrêté attaqué, qui vise notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, rappelle qu'en application des articles
L. 412-5, L. 432-1 et L. 432-2, dont le préfet a fait application, la délivrance d'une carte de séjour peut être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace à l'ordre public. Elle mentionne les éléments relatifs à la situation personnelle et familiale de M. A... et précise que la délivrance d'un titre de séjour lui est refusée au motif qu'il constitue une menace grave pour l'ordre public compte tenu des interpellations dont il a fait l'objet les 16 février et 30 mars 2022 alors qu'il n'était présent en France que depuis 21 mois. La circonstance que la décision ne mentionne pas l'état de santé de M. A... ne saurait faire regarder la décision attaquée comme insuffisamment motivée alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Calvados aurait été informé de l'hospitalisation du requérant à partir du 12 avril 2022 et dans les semaines qui ont précédé sa décision. La décision portant refus de titre de séjour comporte donc l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et qui permettent de démontrer que l'autorité administrative a statué sur la demande de titre de séjour qui lui était présentée à partir des éléments dont il disposait. Alors que la décision portant obligation de quitter le territoire, qui n'avait pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle du refus de titre de séjour, et les décisions fixant le délai de départ volontaire et le pays de destination sont elles-mêmes suffisamment motivées, les moyens dirigés contre l'arrêté préfectoral du 30 juin 2022 et tirés de l'insuffisance de motivation et du défaut d'examen particulier doivent être écartés.
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
3. Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou du tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ". Aux termes de l'article L. 412-5 du même code : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire, de la carte de séjour pluriannuelle et de l'autorisation provisoire de séjour prévue aux articles L. 425-4 ou L. 425-10 ainsi qu'à la délivrance de la carte de résident et de la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE ". ".
4. En premier lieu, pour refuser la délivrance d'un titre de séjour à M. A... sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Calvados s'est fondé exclusivement sur la menace à l'ordre public que son comportement constituait, en particulier sur le fait que M. A... était connu défavorablement des services de police, l'intéressé ayant été interpellé le 16 février 2022 pour dégradation ou détérioration de bien privé et le 30 mars 2022 pour des violences volontaires et menaces de mort sur personne chargée d'une mission de service public dans un établissement d'enseignement scolaire. Si M. A... affirme que les faits qui lui sont reprochés, dont la matérialité n'est pas contestée, sont liés à ses troubles psychiatriques qui affectent son comportement, et s'il justifie, d'une part, avoir été hospitalisé du 1er avril au 16 juin 2022 à l'établissement public de santé mentale (EPSM) de Caen pour un épisode délirant dans le cadre d'un début de schizophrénie, et, d'autre part, faire l'objet d'un suivi médical et social régulier depuis cette hospitalisation, le préfet n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant, eu égard aux éléments d'information dont il disposait et compte tenu de la nature et du caractère récent et répété des faits commis par M. A..., que celui-ci, alors même qu'il n'a pas été condamné pénalement, représentait une menace actuelle pour l'ordre public à la date à laquelle il statuait et en refusant, pour ce seul motif, de lui délivrer un titre de séjour. Les éléments invoqués par M. A... relatifs à son état psychique ne sont pas de nature à démontrer que sa présence en France ne constituait pas, objectivement, à la date de la décision attaquée, une menace pour l'ordre public alors que les documents médicaux qu'il fournit attestent au contraire de la répétition de comportements auto et hétéro agressifs. Dans ces conditions, les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation et de la méconnaissance par le préfet du Calvados des dispositions précitées des articles L. 435-3 et L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
5. En deuxième lieu, lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code, même s'il lui est toujours loisible de le faire à titre gracieux, notamment en vue de régulariser la situation de l'intéressé. Au cas d'espèce, si M. A... se prévaut de la méconnaissance des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il est constant qu'il n'a pas présenté de demande de titre de séjour sur le fondement de ces dispositions, le préfet n'ayant, par ailleurs, pas examiné d'office la demande du requérant à ces titres. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent qu'être écartés.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ". Si M. A... se prévaut de sa prise en charge en qualité de mineur isolé, du sérieux de sa scolarité et de ses perspectives professionnelles, il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal du 16 février 2022 des services de police, qu'il résidait en France depuis moins de deux ans à la date de la décision attaquée, qu'il a vécu jusqu'à l'âge de dix-sept ans dans son pays d'origine et qu'il est dépourvu de tout lien personnel et familial en France. M. A..., qui est hébergé par une association, ne justifie d'aucune insertion particulière dans la société française, s'étant au contraire signalé par des actes contraires à l'ordre public. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ne pourrait pas poursuivre sa formation dans son pays d'origine. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, le préfet du Calvados, en refusant de délivrer au requérant le titre de séjour que celui-ci sollicitait sur le fondement de l'article
L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts poursuivis. Par suite, ce moyen doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
7. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français :/ (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".
8. S'il est constant que M. A... n'a pas fait état de son état de santé lors de sa demande de titre de séjour, il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 2, qu'il a été atteint, au cours de sa scolarité en deuxième année de CAP, à partir du début de l'année 2022, de troubles psychiatriques qui se sont progressivement aggravés, et qui ont justifié son admission à l'EPSM de Caen pendant plus de deux mois, du 1er avril au 16 juin 2022, d'abord volontairement, puis sans son consentement, sur décision judiciaire, le juge des libertés et de la détention prescrivant puis renouvelant, à plusieurs reprises à partir du 12 avril 2022, son hospitalisation complète en chambre d'isolement au motif de l'existence d'un péril imminent pour sa santé, en raison d' " épisodes délirants dans le cadre d'un début de schizophrénie ", comportant des passages à l'acte hétéro-agressifs ou auto-agressifs. La médecin psychiatre qui suit le requérant depuis sa sortie d'hôpital atteste, aux dates du 24 septembre 2022 et du 22 mars 2023, de la poursuite de soins psychiatriques réguliers assurés par elle, d'une nouvelle hospitalisation de M. A... en août 2022 en raison d'une rechute délirante, et elle conclut que l'état de son patient nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une extrême gravité. Dans le cadre de la procédure de protection des étrangers malades contre les mesures d'éloignement, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a été saisi et a confirmé, dans un avis du 13 septembre 2023, que l'état de santé de
M. A... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, que l'intéressé ne peut pas bénéficier effectivement en Guinée d'un traitement approprié, et que les soins en cours doivent être poursuivis pour une durée de douze mois. Il y a lieu de tenir compte de cet avis produit en cause d'appel, bien qu'il ait été émis postérieurement à la décision litigieuse, dès lors qu'il constate et éclaire une situation existante à la date à laquelle cette décision a été prise. L'administration, en défense, n'apporte aucun élément de nature à contredire l'analyse du collège des médecins de l'OFII. Il doit être considéré, dans ces conditions, qu'en obligeant M. A... à quitter le territoire et alors même qu'il ne disposait pas de l'élément d'information mentionné ci-dessus, le préfet a méconnu les dispositions précitées du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. Il résulte de ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Calvados du 30 juin 2022 en tant que cet arrêté l'a obligé à quitter le territoire français et, par voie de conséquence, a fixé le pays de destination.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
10. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ". Le présent arrêt annulant l'obligation faite à l'intéressé de quitter le territoire et les décisions accessoires implique nécessairement, en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que le préfet territorialement compétent réexamine la situation administrative de M. A... et lui délivre sans délai une autorisation provisoire de séjour pendant la durée de ce réexamen. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Calvados de procéder à ce réexamen dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
11. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de
1 200 euros HT à Me Lelouey dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Les décisions du 30 juin 2022 par lesquelles le préfet du Calvados a obligé M. A... à quitter le territoire et a fixé le pays de destination sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de
M. A... dans un délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 7 février 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à Me Lelouey, avocate du requérant, la somme de 1 200 euros HT en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Lellouch, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2024.
Le rapporteur,
G.-V. VERGNE
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous mandataires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00592