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05/07/2024 | FRANCE | N°24NT00921

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 05 juillet 2024, 24NT00921


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 9 janvier 2024 du préfet d'Ille-et-Vilaine portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.



Par un jugement n° 2400534 du 14 mars 2024, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté, a enjoint au préfe

t d'Ille-et-Vilaine de réexaminer la situation de M. A... C... dans un délai de deux mois et de lui ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... C... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 9 janvier 2024 du préfet d'Ille-et-Vilaine portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2400534 du 14 mars 2024, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de réexaminer la situation de M. A... C... dans un délai de deux mois et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 27 mars 2024 le préfet d'Ille-et-Vilaine demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 14 mars 2024 du président du tribunal administratif de Rennes ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... C... devant le tribunal administratif de Rennes tendant à l'annulation de cet arrêté.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juin 2024, M. A... C..., représenté par Me Le Bourhis, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du préfet d'Ille-et-Vilaine ;

2°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou de réexaminer sa situation et, dans l'attente, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour et de procéder à l'effacement de son signalement dans le système d'information Schengen ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience

Le rapport de Mme Brisson a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... C..., ressortissant camerounais né le 19 février 1981, déclare être entré en France le 9 juin 2021. Sa demande d'asile a été rejetée le 30 juin 2022 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), décision confirmée le 27 novembre 2023 par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Par un arrêté du 9 janvier 2024, le préfet d'Ille-et-Vilaine a obligé l'intéressé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le Cameroun comme pays de destination et lui a fait interdiction de retour pendant une durée d'un an. Par un jugement du 14 mars 2024, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté. Le préfet d'Ille-et-Vilaine relève appel de ce jugement.

Sur le motif d'annulation retenu par le premier juge :

2. Il ressort des pièces du dossier que M. A... C..., qui déclare, ainsi qu'il a été dit, être entré en France le 9 juin 2021 n'y a séjourné que durant le temps nécessaire à l'examen de sa demande d'asile. L'intéressé fait valoir qu'il n'entretient plus aucune relation avec les membres de sa famille résidant au Cameroun mais ne l'établit pas. Il soutient également qu'il a dû fuir son pays d'origine en raison des persécutions subies du fait de son orientation sexuelle, et produit, sur ce point, deux convocations par les services de la gendarmerie camerounaise datées du mois d'avril 2019. Toutefois, alors que la CNDA a considéré que ces documents ne présentaient pas de caractère d'authenticité, l'intéressé ne produit aucun autre document pertinent de nature à corroborer ses allégations. M. A... C... fournit également deux certificats médicaux faisant état d'une hospitalisation à la suite d'une agression physique ayant eu lieu en mars 2019, mais le caractère homophobe de cette agression n'est pas établi. Si le requérant se prévaut de sa relation débutée en décembre 2022 avec un compatriote en situation régulière, ainsi que de plusieurs activités bénévoles, et notamment de sa participation aux activités de l'association " Iskis " à Rennes, il ne peut être regardé comme ayant noué des liens intenses et stables en France. Ainsi, compte tenu de la durée et des conditions du séjour en France de M. A... C..., en dépit de ses efforts d'intégration professionnelle et sans remettre en cause les difficultés inhérentes au statut des personnes homosexuelles au Cameroun, le préfet d'Ille-et-Vilaine n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet a, en obligeant l'intéressé à quitter le territoire français, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle, doit être écarté. C'est, par suite, à tort que le tribunal a, pour ce motif, annulé l'arrêté contesté.

3. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... C... devant le tribunal administratif de Rennes.

Sur les autres moyens soulevés par M. A... C... :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

4. En premier lieu, l'arrêté litigieux a été signé par Mme D... B..., directrice des étrangers en France de la préfecture d'Ille-et-Vilaine, en vertu d'une délégation qui lui a régulièrement été accordée par un arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine du 11 décembre 2023, dûment publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le même jour. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige doit être écarté.

5. En deuxième lieu, l'obligation de quitter le territoire français vise les dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur lesquelles elle se fonde, et rappelle les éléments de la situation personnelle, familiale et du parcours de M. A... C... qui font qu'il relève des hypothèses, visées par ces dispositions, dans lesquelles l'autorité préfectorale peut légalement décider de prendre une mesure d'obligation de quitter le territoire français. La mesure d'éloignement en litige comporte ainsi les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde.

6. En troisième lieu, il ressort des motifs de l'arrêté contesté que le préfet d'Ille-et-Vilaine a procédé à un examen particulier de la situation du requérant, notamment pour en déduire que la mesure d'éloignement ne portait pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L.721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2°Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". M. A... C... fait valoir qu'il a quitté le Cameroun à la suite de persécutions commises par les autorités et sa communauté en raison de son orientation sexuelle. Toutefois, ni les éléments qu'il apporte pour établir la réalité des faits de persécutions ayant eu lieu au début de l'année 2019, ainsi qu'il a été vu au point 2 du présent arrêt, ni les documents généraux relatifs à la situation des personnes homosexuelles au Cameroun, ne permettent d'établir l'existence des risques auxquels il serait personnellement exposé en cas de retour dans ce pays. Au surplus, sa demande d'asile a été rejetée par l'OFPRA puis par la Cour nationale du droit d'asile qui a relevé le caractère imprécis et peu circonstancié de ses déclarations et l'absence d'éléments suffisamment probants pour établir la réalité de ses allégations. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

8. En vertu de l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les décisions d'interdiction de retour sur le territoire français sont motivées. Aux termes des dispositions de l'article L. 612-8 du même code : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ".

9. En application de l'article L. 612-10 du même code, l'autorité administrative tient compte, pour fixer la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français, de la durée de présence de l'étranger sur ce territoire, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

10. Il ressort des pièces du dossier que, l'arrêté contesté vise les dispositions des articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il fait application, mentionne le fait que M. A... C... est entré en France en 2019, indique qu'il est fait obligation à l'intéressé de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et que l'intéressé n'établit être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. Il n'y avait pas lieu au cas présent de faire mention d'une précédente mesure d'éloignement et l'administration n'était, de plus, pas tenue de préciser expressément qu'elle ne retenait pas au nombre de ses motifs une quelconque menace à l'ordre public. Dans ces conditions, le préfet d'Ille-et-Vilaine a suffisamment motivé sa décision portant interdiction de retour sur le territoire français et n'a pas commis d'erreur de droit.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet d'Ille-et-Vilaine est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté en litige du 9 janvier 2024. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par M. A... C... à fin d'injonction et de mise à la charge de l'Etat des frais liés au litige doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 14 mars 2024 du président du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... C... devant le tribunal administratif de Rennes ainsi que les conclusions présentées par lui devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Lellouch, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2024.

La présidente-rapporteure,

C. BRISSON

Le président-assesseur,

G-V. VERGNE

Le greffier,

Y. MARQUIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24NT009212


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00921
Date de la décision : 05/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : LE BOURHIS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-05;24nt00921 ?
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