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04/10/2024 | FRANCE | N°23NT01093

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 04 octobre 2024, 23NT01093


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 12 novembre 2020 par laquelle le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) de Normandie l'a mis en demeure de régulariser la situation de son officine de pharmacie au regard de la localisation du lieu de stockage utilisé pour son activité de vente en ligne de médicaments et en ce qui concerne le nombre de pharmaciens requis en raison de l'importance du chiffre d'affaires de l'officine.<

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Par un jugement n° 2002373, 2101061 du 17 févier 2023, le tribunal adminis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 12 novembre 2020 par laquelle le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) de Normandie l'a mis en demeure de régulariser la situation de son officine de pharmacie au regard de la localisation du lieu de stockage utilisé pour son activité de vente en ligne de médicaments et en ce qui concerne le nombre de pharmaciens requis en raison de l'importance du chiffre d'affaires de l'officine.

Par un jugement n° 2002373, 2101061 du 17 févier 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté la requête de M. B... A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 14 avril 2023 et 25 mars 2024, M. B... A..., représentée par Me Robert et Me Moiroux, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, d'annuler la décision du 12 novembre 2020 par laquelle le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) de Normandie l'a mis en demeure de régulariser la situation de son officine de pharmacie au regard de la localisation du lieu de stockage utilisé pour son activité de vente en ligne de médicaments et en ce qui concerne le nombre de pharmaciens requis en raison de l'importance du chiffre d'affaires de l'officine ;

3°) à titre subsidiaire, en ce qui concerne la décision relative la localisation du local de stockage de médicaments de son officine de pharmacie, de surseoir à statuer sur ses conclusions à fin d'annulation de cette décision et de saisir la cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur la conformité au droit de l'Union de la faculté des Etats membres d'imposer des obligations en la matière ;

4°) de mettre à la charge de l'ARS de Normandie la somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision attaquée est entachée de vices de procédure affectant le déroulement de l'inspection ayant donné lieu aux mises en demeure ; la mission d'inspection, correspondant à un niveau de détail et à des exigences excessifs, a été déloyale en ce qu'elle n'a pas respecté la mission limitée définie par le directeur de l'ARS, qui n'avait pas non plus été communiquée au pharmacien ni présentée lors du contrôle ; le principe d'impartialité a été méconnu ; la manière dont l'inspection a été menée manifeste une ingérence non justifiée par la finalité poursuivie et ne respecte pas les recommandations du Conseil d'Etat inscrite dans son rapport du 15 avril 2021 ; le rapport d'inspection n'a pas été remis dans le délai de deux mois suivant la visite sur place ;

- elle est dépourvue de base légale en l'absence d'acte réglementaire précisant les modalités d'application de l'article L. 5125-3-1 du code de la santé publique en définissant le " quartier d'une commune " correspondant à l'officine, définition figurant normalement dans l'arrêté du directeur de l'ARS autorisant l'ouverture d'une nouvelle officine ou son transfert ; l'administration ne pouvait lui opposer le défaut d'une exigence d'implantation de son local de stockage dans le quartier d'implantation de son officine ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation des faits dès lors que l'implantation de son local de stockage souscrivait à la seule condition applicable, soit celle d'une simple proximité - et non nécessairement d'une proximité immédiate - avec son officine, une telle proximité devant seulement garantir la possibilité du contrôle effectif, par le pharmacien titulaire, de la qualité de la dispensation des médicaments par l'ensemble des personnes qui l'assistent et le secondent ; or aucun défaut sur ce point n'a été relevé par l'ARS lors de son contrôle ;

- l'officine employait 9 pharmaciens, soit le titulaire et ses huit adjoints, tous travaillant 39 heures hebdomadaires, et employait donc l'équivalent de 9 pharmaciens au total en équivalent temps plein, de sorte que l'exigence d'effectif prévue par l'article 1er de l'arrêté du 1er août 1991 était satisfaite sans qu'il y ait lieu de déduire de l'effectif requis le titulaire ; c'est donc en commettant une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation que l'ARS a retenu que la condition d'effectif posée par cette disposition n'était pas respectée ;

- la mise en demeure de recruter dans un délai de trois mois est manifestement disproportionnée, compte tenu de la difficulté à recruter et de la différence très faible entre le nombre de 8,91 pharmaciens employés en équivalent temps plein (ETP) et celui de 8,99 ETP requis ;

- la décision litigieuse méconnaît le principe de séparation entre autorités de poursuite et de sanction, qui est une composante du principe d'impartialité et qui s'applique aussi aux autorités administratives non juridictionnelles ;

- elle est illégale compte tenu de l'illégalité du décret du 30 juillet 2018 ; les articles R. 5125-8 (§1, alinéas 3 et 4) et R. 5125-9 (§2, 5°) méconnaissent l'article 85 quater de la directive 2001/83/CE, le principe d'égalité, l'exigence de clarté des normes, et les articles 34 à 36 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 février 2024 l'Agence régionale de santé (ARS) de Normandie, représentée par Me Tugaud, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. B... A... une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. B... A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 ;

- la directive 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 ;

- le code de la santé publique ;

- l'ordonnance n° 2018-3 du 3 janvier 2018 ;

- le décret n° 2018-672 du 30 juillet 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vergne,

- les conclusions de M. Catroux,

- et les observations de Me Moiroux, représentant M. A....

Une note en délibéré, présentée pour M. A... par Me Moiroux, a été enregistrée le 20 septembre 2024.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A... exploite ... à Caen (Calvados) une officine de pharmacie dont l'activité s'est développée du fait de la création par ce pharmacien d'un site internet de vente en ligne de médicaments autorisé par l'Agence régionale de santé (ARS) de Normandie le 10 avril 2013. Cet accroissement d'activité a conduit M. A... à recourir à un nouveau lieu de stockage des médicaments situé ... à Fleury-sur-Orne. Une mission d'inspection a été diligentée par l'ARS de Normandie dans les locaux de l'officine le 9 décembre 2019, à la suite de laquelle, par une décision du 12 novembre 2020, l'ARS a mis en demeure le pharmacien, d'une part, d'augmenter l'effectif de son personnel dans un délai de trois mois et, d'autre part, de régulariser les conditions de stockage et d'exercice de l'activité de commerce électronique de médicaments dans un délai de quatre mois. M. A... relève appel du jugement n° 2002373, 2101061 du 17 févier 2023 par lequel le tribunal administratif de Caen, après avoir joint les deux requêtes dont il était saisi, a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision du 12 novembre 2020 par laquelle le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) de Normandie l'a mis en demeure de régulariser la situation de son officine de pharmacie en ce qui concerne, d'une part, la localisation du lieu de stockage utilisé pour son activité de vente en ligne de médicaments et, d'autre part, le nombre de pharmaciens que l'officine devait employer compte tenu de l'importance de son chiffre d'affaires.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la régularité de l'inspection et de la procédure de mise en demeure litigieuse :

2. Aux termes de l'article L. 1435-7 du code de la santé publique : " Le directeur général de l'agence régionale de santé peut désigner, parmi les personnels de l'agence respectant des conditions d'aptitude technique et juridique définies par décret en Conseil d'Etat, des inspecteurs et des contrôleurs pour remplir, au même titre que les agents mentionnés à l'article L. 1421-1, les missions prévues à cet article ; il peut également désigner des experts pour les assister. (...) Les inspecteurs et contrôleurs de l'agence disposent des prérogatives prévues aux articles L. 1421-2 et L. 1421-3 du présent code (...). ". Les articles L. 1421-1 et L. 1421-3 du code de la santé publique reconnaissent aux inspecteurs de santé publique, pour contrôler le respect des dispositions du code de la santé publique, un très large pouvoir de visite et de contrôle des locaux professionnels ainsi qu'un pouvoir d'accès aux documents et produits de toute nature qui s'y trouvent. L'ingérence que constitue la mise en œuvre de ces pouvoirs doit toutefois s'apprécier au vu de leur finalité légitime, qui est notamment d'assurer la santé publique et la sécurité sanitaire des particuliers.

3. En premier lieu, si M. A... soutient que la " lettre de mission " ou " lettre d'annonce d'une inspection " du 2 décembre 2019 par laquelle le directeur de l'ARS de Normandie l'informait que son établissement était retenu " dans le cadre du programme d'inspection 2019 de l'ARS au titre de l'évaluation des conditions de réalisation de la préparation des doses à administrer (PDA) pour les patients en institution " aurait dû lui être transmise préalablement à la mission d'inspection engagée le lundi 9 décembre 2019 ou aurait dû être présentée avant l'engagement de celle-ci, une telle information, que l'ARS indique avoir effectuée par courrier simple le 3 décembre 2019, ne constitue pas, en tout état de cause, une obligation prévue par les textes. Alors qu'une mission d'inspection, dont le but est d'assurer la santé publique et la sécurité sanitaire des particuliers, peut être inopinée, l'absence d'une telle information, à la supposer établie, ne saurait être regardée, en tout état de cause, comme contraire au principe de loyauté des relations entre administration et administré.

4. En deuxième lieu, M. A... reproche aux inspecteurs le contrôle de points non prévus par le document " lettre de mission ", mentionné ci-dessus. Toutefois, si ce document, signé par la responsable de la mission inspection contrôle pour la directrice générale de l'ARS, mentionnait que " la mission d'inspection aura comme objectif d'évaluer l'activité de préparation des doses à administrer au regard des recommandations validées en Normandie ainsi que les points clés de fonctionnement de l'officine en vue de compléter l'analyse du circuit du médicament pour les patients résidant en EHPAD ", il était loisible aux inspecteurs, dans le cadre de leur inspection, diligentée sur le fondement de l'article L. 1421-1 du code de la santé publique, de contrôler et constater tout écart ou manquement par rapport aux dispositions applicables du code de la santé publique, parmi lesquelles celles, relatives au fonctionnement de l'officine de pharmacie, tenant au lieu de stockage de médicaments et au nombre suffisant de pharmaciens adjoints eu égard à l'importance de l'officine.

5. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment du rapport d'inspection établi le 29 juin 2020 par les deux pharmaciens membres de l'équipe d'inspection ni des exemples fournis par le requérant à partir d'un compte-rendu établi par deux pharmaciennes adjointes qui ont assisté aux opérations d'inspection aux côtés de M. A... que le niveau de détail du contrôle effectué aurait été abusif ou, eu égard à la finalité de santé publique poursuivie, disproportionné aux enjeux, révélant un défaut d'impartialité des agents de l'administration ou une ingérence excessive de celle-ci dans le fonctionnement de l'officine de M. A..., ni que des procédés déloyaux auraient été mis en œuvre.

6. En quatrième lieu, si le requérant déplore une date d'établissement et de remise du rapport d'inspection non " dans un délai de deux mois suivant la visite sur place ", effectuée le 9 décembre 2019, comme l'annonçait la lettre de mission, mais plus de sept mois après, cette circonstance, bien que regrettable, est par elle-même sans incidence sur la régularité de la procédure ayant conduit à la décision litigieuse.

7. En cinquième lieu, aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale ".

8. La procédure de la mise en demeure litigieuse, qui constitue une phase préalable à une éventuelle sanction financière ou disciplinaire, n'a pas à respecter les stipulations de cet article, dès lors, d'une part, que les autorités en charge d'infliger le cas échéant ces mises en demeure ou sanctions ne peuvent être regardées comme un tribunal, au sens des stipulations de cet article, et, d'autre part, que la mise en demeure et l'éventuelle sanction peuvent faire l'objet d'un recours auprès de la juridiction administrative, devant laquelle la procédure est en tous points conforme aux exigences de l'article 6 précité. Par ailleurs, le fait qu'au sein d'une autorité administrative dotée d'un pouvoir de sanction l'organe disposant du pouvoir de sanction soit également compétent en matière d'instruction n'est pas en soi contraire au principe d'impartialité, dans la mesure où la procédure ne conduit pas cette instance à préjuger de la réalité des manquements à examiner. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la mise en demeure litigieuse serait contraire au principe de la séparation des fonctions de poursuite et de jugement et aux stipulations mentionnées ci-dessus.

En ce qui concerne le bien-fondé de la mise en demeure de régulariser les locaux de l'officine :

9. D'une part, aux termes de l'article L. 5125-18 du code de la santé publique : " Toute création d'une nouvelle officine, tout transfert d'une officine d'un lieu dans un autre et tout regroupement d'officines sont subordonnés à l'octroi d'une licence délivrée par le directeur général de l'agence régionale de santé selon les conditions prévues aux articles L. 5125-3, L. 5125-3-1, L. 5125-3-2, L. 5125-3-3, L. 5125-4 et L. 5125-5. / (...) / La licence fixe l'emplacement où l'officine sera exploitée (...) ". Le cinquième alinéa de cet article précise que le directeur général de l'agence régionale de santé " peut déterminer le ou les secteurs de la commune dans lequel l'officine devra être située. La décision d'autorisation ou de refus de la demande est prise par arrêté du directeur général de l'agence régionale de santé ". Aux termes de l'article L. 5125-3-1 du même code : " Le directeur général de l'agence régionale de santé définit le quartier d'une commune en fonction de son unité géographique et de la présence d'une population résidente. L'unité géographique est déterminée par des limites naturelles ou communales ou par des infrastructures de transport. / Le directeur général de l'agence régionale de santé mentionne dans l'arrêté prévu au cinquième alinéa de l'article L. 5125-18 le nom des voies, des limites naturelles ou des infrastructures de transports qui circonscrivent le quartier ". L'article L. 5125-33 de ce code dispose que " On entend par commerce électronique de médicaments l'activité économique par laquelle le pharmacien propose ou assure à distance et par voie électronique la vente au détail et la dispensation au public des médicaments à usage humain et, à cet effet, fournit des informations de santé en ligne. / L'activité de commerce électronique est réalisée à partir du site internet d'une officine de pharmacie. / La création et l'exploitation d'un tel site sont exclusivement réservées aux pharmaciens suivants : / 1° Pharmacien titulaire d'une officine ; / 2° Pharmacien gérant d'une pharmacie mutualiste ou de secours minière, exclusivement pour leurs membres (...) ".

10. D'autre part, aux termes des troisième et quatrième alinéas l'article R. 5125-8 du code de la santé publique : " Les locaux de l'officine forment un ensemble d'un seul tenant y compris pour ce qui concerne les activités spécialisées d'optique-lunetterie, d'audioprothèse et d'orthopédie. / Des lieux de stockage peuvent toutefois se trouver à proximité de l'officine, dans les limites de son quartier d'implantation mentionné à l'article L. 5125-3-1 du présent code, à condition qu'ils ne soient pas ouverts au public et ne comportent ni signalisation, ni vitrine extérieure ". L'article L. 5125-3-1 du même code dispose que " Le directeur général de l'agence régionale de santé définit le quartier d'une commune en fonction de son unité géographique et de la présence d'une population résidente. L'unité géographique est déterminée par des limites naturelles ou communales ou par des infrastructures de transport. (...). ". Enfin, aux termes de l'article R. 5125-8 du code : " (...) II. - L'officine comporte, dans la partie non accessible au public : (...) 5° Le cas échéant, une zone ou un local adaptés à l'activité de commerce électronique des médicaments définie à l'article L. 5125-33 du présent code ; (...) ".

11. En premier lieu, pour assurer le respect des dispositions citées ci-dessus au point 10, il incombait au directeur de l'ARS, même en l'absence de définition expresse préalable par lui-même, au demeurant non obligatoire, par application du 5ème alinéa de l'article L. 5125-18 du code de la santé publique, du quartier d'implantation de l'officine de M. A..., d'apprécier si le local de stockage, d'une part, se situait à une proximité suffisante de cette officine, et, d'autre part, s'il se trouvait dans le même quartier d'implantation que celle-ci, défini, par renvoi à l'article L. 5125-3-1 du code de la santé publique, par la présence en son sein d'une population résidente et par son unité géographique, cette dernière étant elle-même déterminée par la prise en considération des limites naturelles ou communales ou des infrastructures de transport. Alors que l'ARS fait valoir que les locaux en cause se situent dans des communes différentes et relèvent d'" îlots regroupés pour l'information statistique " (IRIS) distincts, îlots définis par l'INSEE et correspondant à des entités territoriales de base homogènes quant au type d'habitat et dont les limites s'appuient sur les grandes coupures du tissu urbain (voies principales, voies ferrées, cours d'eau ...), il ne ressort pas des pièces du dossier qu'eu égard à des considérations relatives à la population résidant à Fleury-sur-Orne et à ses habitudes, aux caractéristiques des infrastructures de transport existantes, à la continuité du bâti urbain et à d'éventuels facteurs influant positivement sur la mobilité des personnes et la fréquentation par celles-ci de l'officine de pharmacie de M. A..., les locaux de stockage en cause, nonobstant leur relative proximité, relèveraient d'un même quartier d'implantation. Sont à cet égard insuffisantes les circonstances que les locaux en cause ne sont éloignés l'un de l'autre que de 3,9 kilomètres, se situent à moins de 9 minutes en voiture, et que cette distance permettrait un " contrôle effectif des commandes qui y sont préparées ". Et le requérant ne peut non plus utilement faire valoir que ces locaux respecteraient, par rapport à l'officine, la condition de " proximité " et non plus de " proximité immédiate " désormais prévue à l'article R. 5125-8 du code de la santé publique dans sa rédaction issue du décret du 30 juillet 2018 relatif aux demandes d'autorisation de création, transfert et regroupement et aux conditions minimales d'installation des officines de pharmacie, dès lors que ce n'est pas pour ce motif que le directeur de l'ARS a édicté la mise en demeure litigieuse. Par suite, les moyens tirés de ce que cette autorité administrative aurait mis en œuvre une condition inapplicable aux locaux en cause et commis une erreur d'appréciation en fondant sa mise en demeure sur le seul motif que le lieu de stockage exploité par M. A... ne se situait pas " dans les limites du quartier d'implantation de l'officine au sein de la commune ", au sens et pour l'application de l'article R. 5125-8 du code de la santé publique, doivent être écartés.

12. En deuxième lieu, les articles 34 et 35 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdisent les restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation entre les États membres ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sans faire obstacle, aux termes de l'article 36 de ce traité, " aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons (...) de protection de la santé et de la vie des personnes (...). Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres ". Aux termes du 1 de l'article 85 quater, inséré dans la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain par la directive 2011/62/UE du 8 juin 2011 et transposé par l'ordonnance du 19 décembre 2012 relative au renforcement de la sécurité de la chaîne d'approvisionnement des médicaments, à l'encadrement de la vente de médicaments sur internet et à la lutte contre la falsification de médicaments : " Sans préjudice des législations nationales qui interdisent l'offre à la vente à distance au public de médicaments soumis à prescription, au moyen de services de la société de l'information, les États membres veillent à ce que les médicaments soient offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l'information (...) ". Aux termes du 2 du même article : " Les États membres peuvent imposer des conditions, justifiées par la protection de la santé publique, pour la délivrance au détail, sur leur territoire, de médicaments offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l'information ". La directive n° 2011/62/UE, dont les considérants 22 et 23 se réfèrent à l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 19 mai 2009 dans les affaires Apothekerkammer des Saarlandes et autres contre Saarland C-171/07 et C-172/07, a ainsi entendu prendre en considération le caractère très particulier des médicaments, dont les effets thérapeutiques les distinguent substantiellement de toute autre marchandise, et la responsabilité des États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique et la manière dont ce niveau doit être atteint. Toutefois, ainsi que le rappellent ses considérants 21 et 24, les États membres ne peuvent imposer des conditions pour assurer la protection de la santé publique lors de la délivrance au détail de médicaments offerts à la vente à distance au moyen de services de la société de l'information que dans le respect des stipulations du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

13. Par les dispositions de l'article L. 5125-33 du code de la santé publique, mentionnées au point 9 du présent arrêt, le législateur a entendu que l'activité de commerce électronique de médicaments soit exercée à partir du site internet d'une officine de pharmacie afin, d'une part, de lutter contre le risque de commercialisation de médicaments falsifiés par le moyen de la vente à distance et, d'autre part, de garantir le respect par le pharmacien de son devoir particulier de conseil, impliquant notamment qu'il assure dans son intégralité l'acte de dispensation du médicament et agisse, lorsqu'il délivre un médicament qui ne requiert pas de prescription médicale, avec la même vigilance, que le médicament soit délivré dans l'officine ou à distance. A ce titre, le pharmacien titulaire de l'officine, auquel incombe une responsabilité particulière, doit être en mesure de s'assurer effectivement, par une présence suffisante dans les locaux où elle a lieu, que la dispensation des médicaments tant au comptoir de son officine que par le biais du site internet de celle-ci soit conforme aux obligations que le code de la santé publique fait peser sur lui, sur les pharmaciens qui l'assistent et sur les préparateurs en pharmacie autorisés à les seconder. L'exigence de contiguïté des locaux de l'officine et de proximité des lieux de stockage dans le même quartier d'implantation d'une commune résultant des articles R. 5125-8 et R. 5125-9 du code de la santé publique est justifiée par le besoin que le pharmacien titulaire soit effectivement en mesure de contrôler la qualité de la dispensation des médicaments par l'ensemble des personnes qui l'assistent et le secondent. Par ailleurs, son application y compris à l'activité de vente en ligne de médicaments garantit que cette activité conserve un caractère complémentaire à la vente au comptoir de l'officine, pour préserver une répartition équilibrée des officines de pharmacie sur le territoire et assurer ainsi un approvisionnement de l'ensemble de la population en médicaments sûr et de qualité, y compris dans les parties du territoire jugées peu attractives. Une telle exigence ne soumet pas le commerce électronique de médicaments à une contrainte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des articles 34 et 35 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et du 2 de l'article 85 quater, inséré dans la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, doivent être écartés.

14. En troisième lieu, le requérant reproche aux dispositions du code de la santé publique prescrivant une proximité des locaux de stockage et de l'officine de ne pas permettre à un pharmacien de déterminer la distance maximale à laquelle doivent se situer les locaux annexes dont il entend s'équiper, en méconnaissance de l'exigence de clarté des normes. Toutefois, la décision litigieuse n'a pas été prise sur le fondement des dispositions contestées relatives à la proximité du lieu de stockage, mais sur l'exigence d'une implantation dans le même quartier au sein d'une commune. L'article L. 5125-3-1 du code de la santé publique indique que ce quartier est " fonction de son unité géographique et de la présence d'une population résidente ". L'unité géographique est déterminée par " des limites naturelles ou communales ou par des infrastructures de transport ", et prévoit ainsi des critères objectifs clairs. Par ailleurs, s'il est constant, ainsi qu'il a été exposé précédemment, que le requérant n'a pas bénéficié d'une délimitation de la notion de quartier par arrêté du directeur de l'ARS avant l'ouverture de son lieu de stockage, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ait sollicité l'édiction d'un tel arrêté avant cette ouverture, ou depuis cette dernière, afin de lui permettre d'apprécier la délimitation du quartier dans lequel il pourrait implanter son annexe. Le moyen tiré par le requérant de ce que les dispositions qui lui sont opposées contreviendraient à l'exigence de clarté des normes ne peut, en tout état de cause, être accueilli.

15. En quatrième lieu, le requérant fait valoir que les dispositions méconnaissent le principe d'égalité selon la situation géographique d'implantation des officines, dès lors que la condition tenant aux caractéristiques du lieu de stockage serait plus aisée à satisfaire en milieu rural et que les conditions de stockage des médicaments destinés au commerce par internet sont plus souples dans d'autres Etats membres de l'Union européennes et donc favorables aux entreprises qui y sont implantées. Toutefois, le principe d'égalité n'implique pas que des entreprises se trouvant dans des situations différentes doivent être soumises à des régimes différents. D'une part, il résulte de ce qui a été exposé au point 12 du présent arrêt que l'exigence de continuité et de proximité critiquée poursuit le double objectif, impliquant que les mêmes dispositions s'appliquent à l'ensemble des officines sur le territoire, de permettre le contrôle effectif de l'ensemble de l'activité dont celle de vente en ligne de médicaments et de préserver une répartition équilibrée des officines de pharmacie pour un approvisionnement sûr et de qualité de l'ensemble de la population en médicament. D'autre part, la considération d'un avantage compétitif constitué par l'existence d'une réglementation plus souple dans d'autres pays que la France ne saurait faire obstacle à ce que, pour servir les objectifs de santé publique rappelés au point 13 conformément au pouvoir reconnu dans ce domaine aux Etats membres par le droit de l'Union européenne, ces conditions soient définies plus strictement par la réglementation applicable en France.

16. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin, eu égard à ce qui a été dit ci-dessus au point 13, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, laquelle ne présente pas d'utilité pour le règlement du litige, que les conclusions à fin d'annulation de la décision du 12 novembre 2020 concernant les locaux de l'officine doivent être rejetées.

En ce qui concerne le bien-fondé de la mise en demeure de régulariser le nombre de pharmaciens employés par l'officine :

17. Aux termes de l'article L. 5125-15 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de la mise en demeure attaquée : " Le pharmacien titulaire d'une officine doit exercer personnellement sa profession. / La mise en œuvre des dispositions prévues à l'article L. 5125-7-1 ne fait pas obstacle à l'exercice personnel du titulaire. / En toutes circonstances, les médicaments doivent être préparés par un pharmacien, ou sous la surveillance directe d'un pharmacien. / Un arrêté du ministre chargé de la santé fixe, après avis du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, le nombre des pharmaciens dont les titulaires d'officine doivent se faire assister en raison de l'importance de leur chiffre d'affaires ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 1er août 1991 relatif au nombre de pharmaciens dont les titulaires d'officine doivent se faire assister en raison de l'importance de leur chiffre d'affaires, dans sa rédaction applicable au litige : " Le nombre de pharmaciens dont les titulaires d'officine doivent se faire assister en raison de l'importance de leur chiffre d'affaires annuel est fixé : / - à un pharmacien adjoint pour un chiffre d'affaires annuel hors taxe à la valeur ajoutée compris entre 1 300 000 et 2 600 000 euros ; / - à un deuxième pharmacien adjoint, pour un chiffre d'affaires annuel hors taxe à la valeur ajoutée compris entre 2 600 000 et 3 900 000 euros ; / - au-delà de ce chiffre d'affaires, à un adjoint supplémentaire par tranche de 1 300 000 euros supplémentaires ". Selon l'article 4 de ce même arrêté : " Les emplois correspondant aux tranches de chiffres d'affaires visées à l'article 1er doivent être pourvus à temps plein ou en équivalent temps plein ".

18. En premier lieu, la décision litigieuse met en demeure le requérant, au regard de son chiffre d'affaires non contesté de 12 993 950 euros hors taxes, d'employer un nombre de neuf adjoints en équivalent temps plein. Contrairement à ce que soutient le requérant, les dispositions citées ci-dessus fixent le nombre de pharmaciens adjoints dont le titulaire de l'officine doit se faire assister en fonction du chiffre d'affaires, donc indépendamment des heures de travail de ce titulaire, qui ne doivent pas être prises en compte. Compte tenu de ce chiffre d'affaires et conformément à ces dispositions, le requérant devait employer 8,99 adjoints en équivalent temps plein. Or, le requérant n'employait que huit adjoints. A supposer même que, comme il est soutenu, ces huit employés travaillent trente-neuf heures par semaine, et non trente-cinq heures, le nombre d'équivalents temps plein s'élève à 8,91 et reste donc inférieur à celui requis. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit et de l'erreur d'appréciation doit être écarté.

19. En second lieu, par la mise en demeure contestée, l'ARS s'est bornée à constater que l'obligation d'emploi d'un nombre déterminé de pharmaciens adjoints, définie en fonction de seuils réglementaires de chiffres d'affaires, n'était pas respectée et à mettre en demeure le titulaire de l'officine de se mettre en conformité sur ce point avec la réglementation. Si M. A... fait valoir les difficultés qu'il aurait rencontrées pour recruter de nouveaux collaborateurs pharmaciens d'officine et le faible écart entre son chiffre d'affaires et celui justifiant le recrutement d'un neuvième adjoint, ces circonstances sont en tout état de cause sans incidence sur l'irrégularité constatée dans le fonctionnement de l'officine, et, par suite, le bien-fondé de la mise en demeure litigieuse, laquelle ne constitue pas une sanction. Par suite, le moyen tiré de la disproportion soulevé à l'encontre de la décision contestée ne peut qu'être écarté.

20. Il résulte de ce qui précède que les conclusions aux fins d'annulation de la mise en demeure relative au nombre d'employés requis compte tenu du chiffre d'affaires de l'officine de M. A... doivent être rejetées.

21. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 12 novembre 2020 par laquelle le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) de Normandie l'a mis en demeure de régulariser la situation de son officine de pharmacie au regard de la localisation du lieu de stockage utilisé pour son activité de vente en ligne de médicaments et en ce qui concerne le nombre de pharmaciens requis en raison de l'importance du chiffre d'affaires de l'officine.

Sur les frais liés à l'instance :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'ARS de Normandie, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... le versement à l'ARS de Normandie d'une somme de 2 000 euros au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : M. A... versera une somme de 2 000 euros à l'ARS de Normandie sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la ministre de la santé et de l'accès aux soins, et à l'Agence régionale de santé de Normandie.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2024.

Le rapporteur,

G.-V. VERGNE

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

Y. MARQUIS

La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01093


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01093
Date de la décision : 04/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: M. Georges-Vincent VERGNE
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : CABINET EKIS AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-04;23nt01093 ?
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