Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 26 janvier 2022 des autorités consulaires françaises à Tirana (Albanie) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité de travailleur salarié.
Par un jugement n° 2207667 du 27 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours et enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité par M. A....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 avril 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- le tribunal administratif n'a pas répondu à sa demande de substitution de motifs ;
- le motif initial de la décision contestée était fondé ;
- l'expérience professionnelle de M. A... n'est pas en adéquation avec l'emploi proposé ;
- il existe un risque de détournement du visa à des fins migratoires.
Une mise en demeure a été adressée le 23 avril 2024 à M. A..., représenté par Me Hmad qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel du jugement du 27 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. A..., la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours contre la décision des autorités consulaires françaises à Tirana (Albanie) refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité de travailleur salarié et lui a enjoint de délivrer à M. A... le visa sollicité, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il résulte de l'examen du jugement attaqué que le tribunal administratif de Nantes n'a pas répondu à la demande de substitution de motifs présentée dans son mémoire en défense par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, tirée de ce que la décision contestée peut être légalement fondée sur un autre motif tiré de ce que l'inadéquation entre l'expérience professionnelle du requérant et l'emploi proposé révèle un risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires, demande de substitution de motifs que le tribunal n'a pas davantage visée. Le jugement attaqué est donc entaché d'irrégularité sur ce point et doit être annulé.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Sur la légalité de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :
4. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". L'article L. 211-5 du même code dispose que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". L'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration précise cependant que : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ".
5. Les décisions des autorités consulaires portant refus d'une demande de visa doivent être motivées en vertu des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il en va de même pour les décisions de rejet des recours administratifs préalables obligatoires formés contre ces décisions.
6. Les dispositions de l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable, en vertu de l'article 3 du décret du 29 juin 2022 relatif aux modalités de contestation des refus d'autorisations de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France, aux demandes ayant donné lieu à une décision diplomatique ou consulaire prise à compter du 1er janvier 2023 impliquent que si le recours administratif préalable obligatoire formé contre une décision de refus d'une demande de visa fait l'objet d'une décision implicite de rejet, cette décision implicite, qui se substitue à la décision initiale, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision initiale. Dans le cadre de la procédure de recours administratif préalable obligatoire applicable aux refus de visa, il en va de même, avant l'entrée en vigueur de ces dispositions, si le demandeur a été averti au préalable par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'une telle appropriation en cas de rejet implicite de sa demande.
7. Si la décision consulaire n'est pas motivée, le demandeur qui n'a pas sollicité, sur le fondement de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, la communication des motifs de la décision implicite de rejet prise sur son recours préalable obligatoire, ne peut utilement soutenir devant le juge qu'aurait été méconnue l'obligation de motivation imposée par l'article L. 211-2 du même code. Si la décision consulaire est motivée, l'insuffisance de cette motivation peut être utilement soulevée devant le juge, sans qu'une demande de communication de motifs ait été faite préalablement. Si, dans l'hypothèse où la décision consulaire était motivée, une telle demande a néanmoins été présentée et l'autorité administrative y a explicitement répondu, cette réponse doit être regardée comme une décision explicite se substituant à la décision implicite de rejet initiale du recours administratif préalable obligatoire.
8. L'accusé de réception du recours formé par M. A... devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France indique qu'en l'absence d'une réponse expresse de la commission dans un délai de deux mois à compter de la date de réception du recours, celui-ci est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision consulaire. Il en résulte que la décision implicite de la commission, qui s'est substituée à la décision des autorités consulaires, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de cette dernière décision et que, contrairement à ce que soutient le ministre, M. A... peut utilement faire valoir que la décision en litige est insuffisamment motivée, alors même qu'il n'a pas sollicité préalablement la communication des motifs de cette décision. La décision des autorités consulaires comporte une case cochée portant la mention suivante : " Les informations communiquées pour justifier l'objet et les conditions du séjour envisagé sont incomplètes et/ou ne sont pas fiables ". Cette seule mention ne peut être regardée comme comportant, de manière suffisamment précise, les considérations de fait permettant à l'intéressé de les contester utilement. Il suit de là que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'est pas suffisamment motivée, en méconnaissance des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
9. La décision de la commission de recours n'étant pas annulée pour un vice tenant aux motifs qui la fondent mais pour une irrégularité de forme, le ministre de l'intérieur ne peut utilement demander qu'il soit procédé à une substitution de motifs.
10. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la demande de M. A..., que ce dernier est fondé à demander l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions présentées par M. A... tendant au prononcé d'une injonction sous astreinte :
11. Compte tenu du motif d'annulation retenu au point 8, l'exécution du présent arrêt implique seulement que la demande de M. A... soit réexaminée. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 27 février 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par M. A... contre la décision des autorités consulaires à Tirana lui refusant la délivrance d'un visa de long séjour en qualité de travailleur salarié est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de se prononcer de nouveau sur la demande de visa de M. A... dans un délai de deux mois.
Article 4 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par M. A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 novembre 2024.
Le rapporteur,
R. DIAS
La présidente,
C. BUFFETLa greffière,
M. C...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT01036