Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme Amoin M'Bra a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 17 juillet 2023 du préfet d'Ille-et-Vilaine portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant son pays de renvoi.
Par un jugement n° 2306117 du 13 mai 2024, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 17 juillet 2023, a enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de délivrer à Mme M'Bra un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de sa notification et a mis la somme de 1 200 euros à la charge de l'Etat au titre des dispositions des article 37 de la loi du 10 juillet 1971 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 juin 2024, le préfet d'Ille-et-Vilaine demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 13 mai 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée devant ce tribunal administratif par Mme M'Bra.
Il soutient que :
- Mme M'Bra peut bénéficier d'un traitement adapté à son état de santé dans son pays d'origine.
L'Office français de l'immigration et de l'intégration a présenté des observations le 23 juillet 2024.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2024, Mme Amoin Chimène M'Bra, représentée par Me Zaegel, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros qui sera versée à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet d'Ille-et-Vilaine ne sont pas fondés.
Mme M'Bra a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Gélard, a été entendu au cours de l'audience publique :
Considérant ce qui suit :
1. Mme M'Bra, ressortissante ivoirienne, est entrée en France le 17 juillet 2022, accompagnée de sa fille mineure, pour rendre visite à une autre de ses filles qui y poursuit ses études. Le 20 mars 2023, elle a sollicité un titre de séjour en raison de son état de santé. Par un arrêté du 17 juillet 2023, le préfet d'Ille-et-Vilaine a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français et a fixé son pays de renvoi. Ce dernier relève appel du jugement du 13 mai 2024 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 17 juillet 2023.
2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. / Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée. / Chaque année, un rapport présente au Parlement l'activité réalisée au titre du présent article par le service médical de l'office ainsi que les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre. ".
3. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'accès effectif ou non à un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
4. Il ressort de l'avis émis le 2 mai 2023 par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration que si l'état de santé de Mme M'Bra nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine et peut voyager sans risque pour sa santé à destination de ce pays.
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme M'Bra présente une glomérulopathie diabétique sévère avec insuffisance rénale de stade 4 avec un risque d'évolution à moyen terme vers un stade 5 nécessitant une dialyse ainsi qu'un diabète de type 2 insulino-requérant évoluant depuis une vingtaine d'années, pathologies pour lesquelles elle ne bénéficiait jusqu'alors d'aucun suivi médical. Il n'est pas contesté que l'état de santé de l'intéressée nécessite un traitement médicamenteux, lequel a été mis en place durant son séjour en France, et que le défaut de cette prise en charge médicale serait de nature à présenter un risque pour sa santé. Pour justifier de l'impossibilité de poursuivre ce traitement dans son pays d'origine, Mme M'Bra se prévaut de plusieurs attestations de médecins ou de pharmaciens de 5 des 13 communes de la ville d'Abidjan indiquant que certains médicaments qui lui sont prescrits, voire l'intégralité d'entre eux, ne sont pas commercialisés en Côte d'Ivoire ou sont en " perpétuelle rupture de stock ". Il ressort toutefois des pièces du dossier que l'Amiloride Hydrochlorothiazide, l'Amlodipine, le Furosémide, l'Anaresp, le Kayexalate et l'insuline figurent sur la liste des médicaments essentiels disponibles en Côte d'Ivoire et peuvent être obtenus notamment à la pharmacie et laboratoire du Longchamp à Abidjan. Par ailleurs, si le Repaglinide (Novonorm), le Nebivolol et le carbonate de Sévélamer ne sont pas commercialisés dans ce pays, d'autres traitements antidiabétiques ainsi que des médicaments chélateurs à base de calcium, qui selon la haute autorité de la santé doivent être prescrits en première intention, y sont disponibles. Mme M'Bra a, par ailleurs, produit deux attestations de médecins qui la suivent en France précisant que les médicaments qui lui sont prescrits ne peuvent être substitués par d'autres molécules sans entraîner des conséquences graves pour sa santé. Toutefois, ainsi que le fait valoir le préfet, ces attestations peu circonstanciées, qui visent l'intégralité de son traitement sans aucune exception, ne suffisent pas à établir qu'aucun autre traitement de substitution ne présentant aucun risque pour sa santé ne pourrait lui être proposé dans son pays d'origine, où, ainsi qu'il vient d'être dit, certains des médicaments qui lui sont prescrits sont disponibles. Enfin, Mme M'Bra ne conteste pas que le suivi néphrologique et l'hémodialyse ainsi que le suivi du diabète par un endocrinologue sont possibles dans son pays d'origine et notamment au centre médical hospitalier universitaire de Treichville d'Abidjan. Il s'ensuit que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté litigieux en estimant qu'il méconnaissait les dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mme M'Bra devant le tribunal administratif de Rennes.
7. Mme M'Bra soutient que l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration aurait dû lui être communiqué. Cependant, il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire que cet avis aurait dû lui être transmis préalablement à la décision contestée.
8. L'arrêté du 17 juillet 2023 précise que seule la fille de Mme M'Bra, prénommée A..., était en situation régulière en France, qu'une autre de ses filles résidait en Allemagne et que, si l'intéressée avait indiqué que ses deux autres enfants, dont la dernière qui l'accompagnait était mineure, se trouvaient en France, son fils C... était en situation irrégulière. S'il ressort des pièces du dossier que ce dernier était entré en France sous couvert d'un visa étudiant valide du 6 septembre 2022 au 6 septembre 2023 valant titre de séjour et avait présenté, le 6 juillet 2023, une demande de renouvellement de ce titre de séjour, les enfants de l'intéressée venus en France pour y étudier n'ont, en tout état de cause, pas vocation à rester sur le territoire français à la fin de leur cursus universitaire. Par suite, la circonstance que le préfet a indiqué à tort que le fils de Mme M'Bra était en situation irrégulière ne suffit pas à établir qu'il n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle et familiale. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que la décision contestée serait entachée d'une erreur de fait ne peut qu'être écarté.
9. Il ressort des pièces du dossier que Mme M'Bra, qui n'est entrée en France que le 17 juillet 2022, a vécu durant près de cinquante ans en Côte d'Ivoire, où réside son mari et où elle pourra reconstituer sa cellule familiale avec sa fille mineure. Si elle se prévaut d'un certificat médical indiquant que tout changement de mode de vie présenterait un risque d'aggravation de sa pathologie rénale, ainsi qu'il a été dit aux points 4 et 5, l'intéressée pourra bénéficier dans son pays d'origine du traitement approprié à son état de santé. De plus, ses enfants A... et C... n'ont pas vocation à rester en France. Enfin, si Mme M'Bra fait valoir qu'elle est insérée dans la société française et se prévaut d'actions de bénévolat, elle a également indiqué exercer la profession d'attachée de direction à la direction générale des impôts en Côte d'Ivoire et y disposer de revenus confortables. Dans ces conditions, l'intéressée n'est pas fondée à soutenir qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour le préfet d'Ille-et-Vilaine aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
10. La décision portant refus de titre de séjour n'étant pas annulée, Mme M'Bra n'est pas fondée à demander l'annulation, par voie de conséquence, de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
11. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ". Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 4 et 5 et au point 9, les moyens tirés de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait contraire aux dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et entachée d'une erreur d'appréciation doivent être écartés.
12. La décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulée, Mme M'Bra n'est pas fondée à demander l'annulation, par voie de conséquence, de la décision fixant son pays de destination.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet d'Ille-et-Vilaine est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 17 juillet 2023, lui a enjoint de délivrer à Mme M'Bra un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de sa notification et a mis la somme de 1 200 euros à la charge de l'Etat au titre des dispositions des article 37 de la loi du 10 juillet 1971 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à Mme M'Bra de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2306117 du 13 mai 2024 du tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Rennes par Mme M'Bra ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme Amoin M'Bra.
Une copie en sera transmise pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Vergne, président,
- Mme Marion, première conseillère,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 novembre 2024.
La rapporteure,
V. GELARD Le président,
G-V. VERGNE
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01634