Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a, par deux requêtes distinctes, demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler, d'une part, la décision implicite de rejet de sa demande de titre de séjour présentée le 22 septembre 2022 et, d'autre part, l'arrêté du 3 avril 2024 par lequel le préfet du Calvados a refusé expressément de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée d'un an.
Par un jugement n° 2301067-2401149 du 8 juillet 2024, le tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté du préfet du Calvados du 3 avril 2024 et enjoint au préfet de délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 août 2024, le préfet du Calvados demande à la cour :
1er) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 8 juillet 2024. ;
2°) de rejeter la demande de Mme B....
Il soutient que :
- la décision de refus de séjour n'est pas entachée d'un vice de procédure du fait de l'absence de convocation de Mme B... à la deuxième réunion de la commission du titre de séjour du 23 février 2024 alors que l'intéressée avait déjà été convoquée à une première réunion de cette commission le 30 juin 2023 et qu'aucun texte n'impose à l'administration de reconvoquer un demandeur de titre de séjour pour lequel l'avis de la commission du titre de séjour est sollicité ; en tout état de cause, cette absence de convocation ne l'a privée d'aucune garantie puisqu'elle a pu faire valoir ses observations lors de la séance de la commission du titre de séjour du 30 juin 2023 ;
- la décision de refus de séjour ne méconnaît pas les articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors que Mme B... s'est maintenue frauduleusement sur le territoire français pendant 6 ans et demi sous couvert d'autorisations provisoires de séjour délivrées sur la foi d'une fausse déclaration de paternité par un ressortissant français et que Mme B... ne justifie d'aucune insertion professionnelle, n'ayant travaillé que 6 mois à temps partiel pour assurer l'accueil périscolaire de midi pour un salaire mensuel de 808 euros, ou sociale, s'étant maintenue sur le territoire français frauduleusement et en ne respectant pas un protocole d'apurement de sa dette de loyers d'habitation.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 2 et 10 octobre 2024, Mme A... B..., représentée par Me Cavelier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que l'ensemble des moyens soulevés par le préfet du Calvados ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marion,
- et les conclusions de M. Catroux, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante congolaise (RDC), née à Kinshasa, entrée irrégulièrement en France le 3 juillet 2011, accompagnée de ses deux filles aînées alors âgées de 11 ans et 2 mois, a sollicité son admission au séjour au titre du droit d'asile. Sa demande a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides par décision du 29 mars 2012, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 28 novembre suivant. A la faveur de la reconnaissance par un ressortissant français de sa troisième fille née à Caen le 2 février 2012, elle a bénéficié de récépissés de demande de titre de séjour en qualité de parent d'enfant français puis de titres de séjour sur ce même fondement entre le 13 mai 2013 et le 8 janvier 2021. A la suite d'un signalement du préfet du Calvados au procureur de la République de Bobigny effectué, le 6 mai 2020, sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale pour suspicion de reconnaissance frauduleuse de paternité, le renouvellement de son titre de séjour en qualité de mère d'enfant français lui a été refusé par un arrêté du 30 avril 2021. Le recours formé contre cette décision a été rejeté par un jugement du tribunal administratif de Caen du 20 décembre 2021 puis par une ordonnance du président de la cour administrative d'appel de Nantes du 9 mai 2022. Mme B... a alors sollicité, le 19 septembre 2022, un titre de séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, demande qui a été implicitement rejetée le 19 janvier 2023. Par un arrêté du 3 avril 2024, le préfet a expressément rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée d'un an. Mme B... a ensuite demandé, par deux requêtes distinctes, au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de titre de séjour et l'arrêté du 3 avril 2024. Par la requête visée ci-dessus, le préfet du Calvados demande à la cour d'annuler le jugement du 8 juillet 2024 en tant que le tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté du 3 avril 2024 et lui a enjoint de délivrer une carte de séjour mention " vie privée et familiale " à Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.
2. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié", "travailleur temporaire" ou "vie privée et familiale", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. / Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat. ". Aux termes de l'article L. 432-15 du même code : " L'étranger est convoqué par écrit au moins quinze jours avant la date de la réunion de la commission qui doit avoir lieu dans les trois mois qui suivent sa saisine ; il peut être assisté d'un conseil ou de toute personne de son choix et être entendu avec l'assistance d'un interprète. ". L'article R. 432-11 du même code dispose que : " L'étranger est convoqué devant la commission du titre de séjour (...) par une lettre qui précise la date, l'heure et le lieu de réunion de la commission et qui mentionne les droits résultant pour l'intéressé des dispositions du même alinéa. A sa demande, le maire de la commune dans laquelle réside l'étranger concerné, ou son représentant, est entendu. ". Aux termes de l'article R. 432-14 du même code : " Devant la commission du titre de séjour, l'étranger fait valoir les motifs qu'il invoque à l'appui de sa demande d'octroi ou de renouvellement d'un titre de séjour. Un procès-verbal enregistrant ses explications est transmis au préfet avec l'avis motivé de la commission. L'avis de la commission est également communiqué à l'intéressé. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a été convoquée et a assisté à une réunion de la commission du titre de séjour du 30 juin 2023. A l'issue de cette réunion, la commission a émis un avis favorable à la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour d'une durée de six mois mais a subordonné le renouvellement de cette autorisation à la condition que Mme B... produise des éléments montrant son intégration par le travail avant l'échéance de son autorisation provisoire de séjour de six mois. Le 6 février 2024, Mme B... a envoyé à la commission du titre de séjour des documents dont notamment celui justifiant d'une activité professionnelle en qualité d'agent d'entretien et de restauration scolaire au collège Guillaume de Normandie à Caen au titre de la période courant de septembre à décembre 2023 pour un salaire mensuel de 808 euros. Sans même de nouveau la convoquer, la commission du titre de séjour a émis, le 23 février 2024, un avis défavorable à sa demande de titre de séjour au motif que Mme B... n'avait " pas pu respecter le protocole d'apurement de sa dette de loyers malgré les efforts pour travailler de septembre à décembre 2023 ". Eu égard au fait que Mme B... a produit les documents demandés, elle aurait dû être reconvoquée pour exposer sa situation personnelle et faire valoir tous éléments de nature à éclairer la commission sur lesdits documents. Il apparaît donc que Mme B... a été privée d'une garantie. Ce vice justifie à lui seul l'annulation de la décision de refus de séjour opposée sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. L'annulation de la décision de refus de séjour entraîne par voie de conséquence l'annulation des décisions d'obligation de quitter le territoire français et d'interdiction de retour sur le territoire français.
5. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que le présent arrêté implique seulement que le préfet du Calvados réexamine la demande de titre de séjour de Mme B... en procédant à une nouvelle consultation de la commission du titre de séjour.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Calvados est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif lui a enjoint de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois.
Sur les frais de justice :
7. Mme B... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, il y a lieu, en l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros hors taxe qui sera versée à Me Cavelier, en application des dispositions des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement nos 2301067-2401149 en date du 8 juillet 2024 est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par le préfet du Calvados est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera à Me Cavelier la somme de 1 200 euros hors taxe sur le fondement des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme A... B... et à Me Cavelier.
Une copie sera transmise, pour information, au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente de chambre,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Marion, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 novembre 2024.
La rapporteure,
I. MARION
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°24NT02488