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17/01/2025 | FRANCE | N°24NT00195

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 17 janvier 2025, 24NT00195


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. B... A... et l'Union départementale des associations familiales du Finistère (UDAF), agissant en qualité de tutrice de celui-ci, ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le département du Finistère à indemniser M. A... des préjudices qu'il estime avoir subi du fait de sa chute en motocyclette, le 10 octobre 2019 vers 18h50, sur la route départementale n°19 reliant Morlaix à Plouzévédé, d'ordonner une expertise médicale et de condamner le départeme

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... et l'Union départementale des associations familiales du Finistère (UDAF), agissant en qualité de tutrice de celui-ci, ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le département du Finistère à indemniser M. A... des préjudices qu'il estime avoir subi du fait de sa chute en motocyclette, le 10 octobre 2019 vers 18h50, sur la route départementale n°19 reliant Morlaix à Plouzévédé, d'ordonner une expertise médicale et de condamner le département à lui verser une somme provisoire de 50 000 euros à faire valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.

Par un jugement n° 2105184 du 5 décembre 2023, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 24 janvier, 11 juin, 11 juillet et 23 juillet 2024, M. A... et l'UDAF du Finistère, représentés par Me Janvier, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 5 décembre 2023 ;

2°) d'ordonner une expertise médicale ;

3°) de condamner le département du Finistère à verser à M. A... une somme provisoire de 50 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices ;

4°) de mettre à la charge du département du Finistère la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la responsabilité du département du Finistère est engagée en raison du défaut d'entretien normal de la voie publique sur laquelle a eu lieu la chute de M. A..., dès lors que le lien de causalité entre la présence non signalée de gravillons sur la voie publique et l'accident est établi ;

- aucune faute ne peut être reprochée à M. A....

Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 mai, 14 juin, et 12 juillet 2024, le département du Finistère, représenté par Me Phelip, conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, à ce que les sommes allouées à M. A..., qui ne sauraient excéder 10 000 euros, soient ramenées à de plus justes proportions ;

3°) à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. A..., en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... et l'UDAF du Finistère ne sont pas fondés.

Par une lettre du 14 octobre 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de relever d'office le moyen tiré de ce que le jugement attaqué est irrégulier en l'absence de communication par le tribunal de la demande présentée par M. A... à la caisse de sécurité sociale à laquelle celui-ci est affilié, alors qu'il demandait réparation d'une lésion au sens de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Par un courrier du 15 octobre 2024, la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère soutient que le jugement est en effet irrégulier en l'absence de communication de la procédure engagée par M. A... et qu'elle aurait effectivement une créance provisoire à faire valoir, ce qu'elle n'a cependant pas fait avant l'audience.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gélard,

- les conclusions de M. Catroux, rapporteur public,

- les observations de Me Guicherd, représentant le département du Finistère.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été victime d'un accident, le 10 octobre 2019 vers 19 heures, alors qu'il circulait à motocyclette sur la route départementale n°19 reliant Morlaix à Plouzévédé, au lieu-dit C... situé sur le territoire de la commune de Guiclan (Finistère). L'intéressé, victime d'un traumatisme crânio-cérébral grave et de multiples contusions, a été hospitalisé au centre hospitalier universitaire de Brest du 10 octobre au 16 décembre 2019 puis au centre de Perharidy de Roscoff jusqu'au 27 avril 2020. Après un bref retour à son domicile, M. A..., qui est né en 1964 et qui conserve de très lourdes séquelles de l'accident, a été admis dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes à compter du 4 novembre 2020. Estimant que cet accident est imputable à un défaut d'entretien normal de la chaussée, M. A..., représenté par l'Union départementale des affaires familiales (UDAF) du Finistère, désignée en qualité de tutrice légale, a présenté, le 8 juillet 2021, une demande indemnitaire préalable au département du Finistère. Du silence gardé sur cette demande est née, le 9 septembre 2021, une décision implicite de rejet. M. A... ainsi que l'UDAF du Finistère, relèvent appel du jugement du 5 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation du département du Finistère à indemniser M. A... des préjudices qu'il a subis du fait de cet accident.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il appartient au juge administratif, qui dirige l'instruction, d'ordonner la mise en cause des parties intéressées au litige. En ayant omis de mettre en cause la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère en vue de l'exercice par celle-ci de l'action prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, les premiers juges ont méconnu la portée de ces dispositions. Par suite, le jugement attaqué du 5 décembre 2023 du tribunal administratif de Rennes est entaché d'irrégularité à raison de ce motif et doit en conséquence être annulé.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... et de l'UDAF du Finistère tant en première instance qu'en appel.

Sur la responsabilité du département du Finistère :

4. Pour obtenir réparation par le maître de l'ouvrage des dommages qu'il a subis, l'usager de la voie publique doit démontrer, d'une part, la réalité de son préjudice et, d'autre part, l'existence d'un lien de causalité direct entre l'ouvrage et le dommage. Pour s'exonérer de la responsabilité qui pèse sur elle, il incombe à la collectivité, soit d'établir qu'elle a normalement entretenu l'ouvrage, soit de démontrer la faute de la victime ou l'existence d'un évènement de force majeure.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et en particulier des procès-verbaux établis par la gendarmerie de Plourin-lès-Morlaix et des déclarations concordantes du témoin oculaire de l'accident, que M. A... a glissé sur la chaussée recouverte de gravillons formés par des résidus de boue, avant de chuter au sol et de heurter un véhicule qui circulait en sens inverse. Le rapport d'expertise automobile établi le 8 avril 2020 confirme que la perte de contrôle peut s'expliquer au moment de l'accident par la présence de gravillons sur la chaussée. Si ce rapport fait également état d'une hypothèse, au demeurant insuffisant étayée, selon laquelle la perte de contrôle pourrait s'expliquer par un phénomène de " guidonnage ", cette circonstance à la supposer établie, ne suffit à remettre en cause le lien de causalité entre les gravillons présents sur la chaussée et la survenance de l'accident, qui doit ainsi être tenue pour établie.

6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise automobile, que la présence de ces gravillons sur la chaussée s'explique par le passage répété d'engins agricoles et de véhicules poids lourds sur un remblai formé de terre et de graviers situé aux abords immédiats de la voie publique, à l'endroit où s'est produit l'accident de M. A.... L'expert indique que des résidus de ce remblai sont projetés sur la chaussée puis sont concentrés sur le milieu des voies et sur les côtés par le passage régulier des véhicules sur la route. Le département du Finistère soutient que la présence des gravillons au moment de l'accident est due à des travaux d'ensilage qui se sont déroulés plus tôt dans la journée par des agriculteurs, ce dont il n'avait pas été informé et était, par suite, dans l'impossibilité de mettre en place une signalisation de ce danger en temps utile. Toutefois, eu égard aux mentions figurant dans le rapport d'expertise automobile, il ne résulte pas de l'instruction que ces travaux d'ensilage puissent expliquer, à eux seuls, la présence de gravillons sur la chaussée, alors qu'il s'agit de surcroît de travaux agricoles récurrents. Par ailleurs, le département du Finistère ne peut sérieusement soutenir qu'il ignorait l'état de la voie publique, alors que, située à proximité immédiate d'exploitations agricoles, elle est fréquemment empruntée par des engins agricoles travaillant sur ces exploitations. Compte tenu d'une telle situation géographique, il appartenait au département du Finistère de faire procéder à des inspections régulières de la voirie et de prendre les dispositions propres à faire disparaître le danger ou, à tout le moins, de le signaler de façon adéquate, ce qu'il n'établit, ni même allègue. Dans ces conditions, le département du Finistère ne peut être regardé comme apportant la preuve, qui lui incombe, de l'entretien normal de la voirie.

7. Il résulte de ce qui vient d'être dit aux points 6 et 7, que contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, M. A... est fondé à rechercher la responsabilité du département du Finistère.

Sur la faute de la victime :

8. Si ainsi qu'il vient d'être dit, il incombait au département du Finistère de veiller au bon entretien de la voie de circulation empruntée par M. A..., il résulte de l'instruction que ce dernier a également contribué, par son comportement insuffisamment prudent, à la survenue de l'accident dont il a été victime. Selon les conclusions du rapport d'expertise, l'intéressé circulait en effet à une vitesse excessive, sur une route empruntée par des véhicules agricoles susceptibles de laisser de la boue et des gravillons sur la chaussée et à la tombée de la nuit. De plus, l'expert a relevé que le pneu avant de la motocyclette de M. A... était en mauvais état, sans imputer cette usure à une action de freinage qui a pu précéder l'accident. Enfin, la conductrice venant en sens inverse a précisé que l'intéressé portait un casque avant la collision, mais qu'au sol M. A..., victime d'un grave traumatisme crânien, se trouvait sans cette protection. Il est, par suite, très probable que ce dispositif n'était pas correctement attaché par l'intéressé au moment de l'accident. Par suite, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, M. A... doit être regardé comme ayant commis des fautes de nature à exonérer le département du Finistère à hauteur de 25 % des conséquences dommageables de l'accident.

Sur les préjudices et les conclusions tendant au versement d'une provision :

9. L'état du dossier ne permet pas à la cour de se prononcer sur l'étendue des préjudices, temporaires et permanents, dont M. A... sollicite la réparation. Dès lors, il y a lieu, comme il le demande, d'ordonner une expertise médicale aux fins et dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.

10. Dans l'attente de cette expertise, M. A... sollicite le versement d'une provision de 50 000 euros. Il est constant que l'intéressé a été victime d'un traumatisme crânio-cérébral accompagné de contusions lombaires, thoraciques et au niveau des genoux ayant nécessité un séjour d'une durée de trois mois successivement en service de réanimation, de traumatologie et neurologie du centre hospitalier régional universitaire de Brest puis d'un séjour de quatre mois en centre de rééducation à Roscoff. De plus, l'intéressé a été placé sous tutelle à la suite de l'accident et séjourne désormais en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Dans ces conditions, et compte tenu de la part de responsabilité du département du Finistère, l'obligation d'indemnisation incombant à ce dernier est établie avec un degré suffisant de certitude à hauteur d'un montant qui sera fixé à 15 000 euros. Par suite, il y a lieu de faire droit dans cette limite aux conclusions de M. A... et de l'UDAF du Finistère et de mettre à la charge du département du Finistère une allocation provisionnelle de 15 000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices de l'intéressé.

11. Il résulte de ce qui précède, que M. A... et de l'UDAF du Finistère sont fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses conclusions indemnitaires.

12. Dans l'attente des conclusions expertales, il y a lieu de réserver jusqu'en fin d'instance les droits et moyens sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, incluant les conclusions présentées par les parties sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°2105184 du tribunal administratif de Rennes du 5 décembre 2023 est annulé.

Article 2 : Il sera procédé, avant-dire droit, à une expertise médicale contradictoire entre les parties.

Article 3 : L'expert aura pour mission de :

1°) se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de M. A... ; convoquer et entendre les parties ainsi que tout sachant ; procéder à l'étude de l'entier dossier médical de M. A... et à son examen clinique ;

2°) décrire l'état de santé de M. A... avant l'accident afin d'évaluer son état antérieur non imputable à l'accident du 10 octobre 2019 ;

3°) décrire les séquelles dont il reste atteint à la suite de cet accident ainsi que l'évolution chronologique de celles-ci ;

4°) de préciser la date de consolidation de l'état de santé de M. A... et dans le cas où cet état ne serait pas consolidé, de dire s'il est susceptible de modification en amélioration ou en aggravation en indiquant son degré de probabilité et dans le cas où un nouvel examen serait nécessaire, de mentionner dans quel délai ;

5°) évaluer les différents préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, temporaires et permanents, subis par M. A... du fait de l'accident.

Article 4 : L'expert accomplira la mission définie à l'article 3 dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il pourra, au besoin, se faire assister par un sapiteur préalablement désigné par le président de la cour.

Article 5 : L'expert appréciera l'utilité de soumettre au contradictoire des parties un pré-rapport.

Article 6 : L'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires, accompagné de l'état de ses vacations, frais et débours. Il en notifiera copie aux personnes intéressées, notification qui pourra s'opérer sous forme électronique avec l'accord desdites parties, à laquelle il joindra copie de l'état de ses vacations, frais et débours.

Article 7 : Les frais et honoraires dus à l'expert seront taxés ultérieurement par le président de la cour conformément aux dispositions de l'article R. 621-13 du code de justice administrative.

Article 8 : Le département du Finistère versera à M. A... une provision de 15 000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices qu'il a subis du fait de l'accident dont il a été victime.

Article 9 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 10 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à l'Union départementales des associations familiales du Finistère, au département du Finistère et à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 janvier 2025.

La rapporteure,

V. GELARD

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier

Y MARQUIS

La République mande et ordonne au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, en ce qui le concerne, et à tous mandataires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24NT001952


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00195
Date de la décision : 17/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : SIAM CONSEIL

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-17;24nt00195 ?
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