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17/01/2025 | FRANCE | N°24NT02060

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 17 janvier 2025, 24NT02060


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 17 juillet 2023 du préfet d'Ille-et-Vilaine portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant son pays de renvoi.



Par un jugement n° 2306711 du 22 février 2024, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête

enregistrée le 3 juillet 2024, M. D..., représenté par Me Salin, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 17 juillet 2023 du préfet d'Ille-et-Vilaine portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant son pays de renvoi.

Par un jugement n° 2306711 du 22 février 2024, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 juillet 2024, M. D..., représenté par Me Salin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 22 février 2024 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 17 juillet 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il vise des pièces qui ne lui ont pas été communiquées ;

- la décision contestée doit être réputée prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors que l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ne précise pas les éléments de procédure réalisés au stade de l'élaboration du rapport et de cet avis ;

- la décision contestée est contraire aux articles L. 425-9 et L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et porte atteinte aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de renvoi est contraire à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 août 2024, le préfet d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 juin 2024.

Vu les autres pièces du dossier et notamment celles communiquées le 14 octobre 2024 pour le requérant.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Gélard a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant centrafricain, relève appel du jugement du 22 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 juillet 2023 du préfet d'Ille-et-Vilaine portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant son pays de renvoi.

Sur la décision portant refus de titre de séjour :

2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable.

La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. / Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée. / Chaque année, un rapport présenté au Parlement l'activité réalisée au titre du présent article par le service médical de l'office ainsi que les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre. ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un étranger qui en fait la demande en raison de son état de santé, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, que cette décision ne peut avoir de conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

4. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'OFII qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. D... souffre de schizophrénie paranoïde et a été hospitalisé à plusieurs reprises en 2018 et 2019 dans le cadre " d'épisodes délirants associés à des troubles du comportement majeurs et des velléités suicidaires ". Son traitement médicamenteux est constitué d'une injection de Xeplion(r) 100mg réalisée une fois par mois par un infirmier. L'intéressé bénéficie en outre d'un suivi médical trimestriel au centre hospitalier Guillaume Régnier de Rennes. Au vu de cette pathologie, le préfet d'Ille-et-Vilaine lui a délivré un premier titre de séjour valable du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020 lequel a été renouvelé jusqu'au 27 juin 2021. Par une décision du 18 février 2020, la maison départementale des personnes handicapés d'Ille-et-Vilaine lui a reconnu un taux d'invalidité de 80 %. Dans son avis émis le 6 avril 2023, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que l'état de santé de l'intéressé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de Centrafrique, M. D... pourrait y bénéficier d'un traitement et d'une surveillance adaptés à son état de santé. Le préfet ne conteste pas le fait que les injections de Xeplion(r) ne sont pas disponibles en Centrafrique mais fait valoir que des molécules de substitution existent. Il ressort toutefois de trois certificats médicaux que l'état de santé du requérant est actuellement stabilisé grâce à l'injection de ce produit. Dans un certificat du 27 octobre 2022, le docteur A... a ainsi indiqué qu'un changement de molécule l'exposerait à un risque de décompensation psychotique, lequel peut conduire, compte tenu de la pathologie dont souffre l'intéressé et de ses antécédents médicaux, à une tentative de suicide. Le docteur B..., psychiatre au centre hospitalier Guillaume Régnier, a également confirmé cette analyse dans trois certificats des 7 septembre 2023, 29 janvier et 5 août 2024, en précisant que ce traitement avait été mis en place après l'échec de plusieurs autres médicaments antipsychotiques et des hospitalisations " marquées par des séjours en chambre de soin intensif avec contention ". Par ailleurs, l'intéressé se prévaut du rapport de l'année 2023 de l'HeRAM (The Health Resources and Services Availability Monitoring System) évaluant la prise en charge des troubles mentaux et la disponibilité des soins hospitaliers pour ces pathologies en Centrafrique à moins de 1%. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le requérant doit être regardé comme démontrant qu'il ne pourrait effectivement bénéficier dans son pays d'origine d'une prise en charge adaptée à son état de santé. En conséquence, en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile le préfet a méconnu ces dispositions.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête et notamment celui relatif à la régularité du jugement attaqué, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 juillet 2023 refusant de lui délivrer un titre de séjour ainsi que, par voie de conséquence, des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant son pays de renvoi contenues dans ce même arrêté.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".

8. Eu égard au motif d'annulation, par le présent arrêt, de la décision de refus de titre de séjour, il y a lieu d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de délivrer à M. D... une carte de séjour d'une durée d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros hors taxe à verser à Me Salin, avocat de M. D..., au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Salin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2306711 du 22 février 2024 du tribunal administratif de Rennes et les décisions contenues dans l'arrêté du 17 juillet 2023 par lesquelles le préfet d'Ille-et-Vilaine a refusé de délivrer un titre de séjour à M. D..., l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éloignement sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine de délivrer à M. D... une carte de séjour d'une durée d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à Me Salin la somme de 1 500 euros hors taxe en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la contribution de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D..., au ministre de l'intérieur et Me Salin.

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente de chambre,

- M. Vergne, président-assesseur,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 janvier 2025.

La rapporteure,

V. GELARDLa présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

Y. MARQUIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT02060


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT02060
Date de la décision : 17/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : SALIN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-17;24nt02060 ?
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