Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite du 21 juin 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 23 mars 2022 des autorités consulaires françaises à Tunis (République tunisienne) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française.
Par un jugement n° 2211692 du 5 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite du 21 juin 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France de procéder au réexamen de la demande de visa de long séjour de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 5 juin 2023 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient que :
- la présence de M. A... en France représente une menace pour l'ordre public ;
- le mariage de M. A... et de Mme B... est frauduleux ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er octobre 2024, M. A..., représenté par Me Medjnah, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous une astreinte de 150 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer sa demande à compter de la notification du jugement et sous la même astreinte ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 5 juin 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. A..., la décision implicite du 21 juin 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 23 mars 2022 des autorités consulaires françaises à Tunis (République tunisienne) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française et a enjoint à la commission de réexaminer le recours de M. A... dans un délai de deux mois. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le visa de long séjour ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public (...) ". En application de ces dispositions, il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale. Pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, d'établir que le mariage a été entaché d'une telle fraude, de nature à justifier légalement le refus de visa. La circonstance que l'intention matrimoniale d'un des deux époux ne soit pas contestée ne fait pas obstacle, à elle seule, à ce qu'une telle fraude soit établie.
3. Il ressort des pièces du dossier que l'accusé de réception du recours formé par M. A... devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France indique qu'en l'absence d'une réponse expresse de la commission dans un délai de deux mois à compter de la date de réception du recours, celui-ci est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision des autorités consulaires. La décision de la commission de recours doit donc être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision du 23 mars 2022 des autorités consulaires à Tunis. Celle-ci comporte une case cochée portant la mention suivante : " Vous présentez un risque de menace à l'ordre public d'une gravité telle qu'un refus de visa ne porte pas à votre vie familiale ou privée une atteinte disproportionnée. ".
4. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer a produit un arrêté du 1er mai 2019 du préfet de police de Paris, pris à l'encontre de M. A..., portant interdiction de retour sur le territoire français au motif que ce dernier avait été signalé pour port d'arme prohibé et recel de vol, ainsi qu'un arrêté du 28 juin 2021 par lequel cette même autorité a fait obligation à M. A... de quitter le territoire français au motif qu'il avait été signalé pour des faits délictuels de cession de stupéfiants, de violences conjugales et de vols. Les mentions figurant sur ces décisions administratives ne permettent pas, à elles seules, d'établir la matérialité des faits qu'elles énoncent, dès lors que M. A... les conteste. Par ailleurs, si le ministre de l'intérieur et des outre-mer mentionne une proposition de composition pénale du 10 février 2022, cette mesure, qui n'a d'ailleurs pas été produite, et dont il n'est pas établi ni même allégué qu'elle aurait été acceptée par M. A..., n'est pas de nature à établir les faits de violences conjugales, également contestés par l'intéressé. En outre, et en dépit de la demande présentée dans ce sens par le tribunal administratif, le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'a pas produit l'extrait du bulletin n°2 du casier judiciaire de M. A.... Dans ces conditions, en estimant que la présence de M. A... représentait une menace à l'ordre public, et en refusant, pour ce motif de lui délivrer un visa de long séjour en qualité de conjoint de Français, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
5. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. Pour établir que la décision implicite contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France était légale, le ministre de l'intérieur et des outre-mer invoque, dans ses mémoires en défense de première instance et d'appel, tous deux communiqués à M. A..., un autre motif tiré de ce que son mariage avec une ressortissante française a été conclu à des fins étrangères à l'institution matrimoniale, dans le seul but de faciliter son installation en France.
7. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait valoir qu'à la date de son mariage avec Mme B..., M. A... se maintenait irrégulièrement en France depuis plusieurs années, que la communauté de vie entre les époux n'est établie ni avant ni après le mariage, et que les déclarations de l'intéressé sur l'année de sa rencontre avec son épouse sont contradictoires.
8. M. A... soutient qu'il connaît son épouse depuis 2009 et qu'ils ont vécu ensemble jusqu'au 28 avril 2019, date à laquelle l'intéressé a été placé en rétention administrative. Toutefois, les pièces du dossier, qui se résument, d'une part, à quelques documents administratifs libellés à une même adresse au nom des deux époux, tous postérieurs au départ, le 11 juillet 2021, de M. A... en Tunisie et, d'autre part, à quelques photographies non datées, ne permettent pas d'établir la réalité de la vie commune alléguée, avant et après le mariage, célébré le 25 novembre 2017, alors que l'intéressé se maintenait irrégulièrement depuis plusieurs années sur le territoire français. La seule production d'un courrier du 12 avril 2022, adressé par l'épouse de M. A... à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ne permet pas davantage d'établir l'existence d'échanges entre les époux depuis le retour de M. A... en Tunisie. Dans ces circonstances, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'une fraude de nature à justifier légalement, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le refus de visa sollicité. Il résulte de l'instruction que la commission aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif. Ainsi, c'est à tort que, pour annuler la décision litigieuse, le tribunal administratif de Nantes a écarté la demande de substitution de motifs présentée par le ministre.
9. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... tant devant le tribunal administratif que devant la cour.
10. Compte tenu de ce qui a été dit au point 8, le moyen tiré de ce que le refus de visa qui lui a été opposé porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaîtrait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint à cette commission de réexaminer la demande de visa de M. A....
Sur les conclusions présentées en appel par M. A... tendant au prononcé d'une injonction sous astreinte :
12. Le présent arrêt rejette les conclusions de la demande présentées par M. A... devant le tribunal administratif et n'appelle donc aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. A... doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E:
Article 1er : Le jugement du 5 juin 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 3 : Les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées en appel par M. A... et celles qu'il présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. D... A....
Délibéré après l'audience du 28 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2025.
Le rapporteur,
R. DIAS
La présidente,
C. BUFFETLa greffière,
M. C...
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT02319