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06/06/2025 | FRANCE | N°23NT03138

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 06 juin 2025, 23NT03138


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... C..., agissant en qualité de représentante légale de son fils B... C..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 4 septembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire à Lagos (Nigeria) qui a refusé de délivrer au jeune B... C... un visa de long séjour au titre de la réunification familiale.



Par un jugement n°2214488 du 31 août 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa deman...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C..., agissant en qualité de représentante légale de son fils B... C..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 4 septembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire à Lagos (Nigeria) qui a refusé de délivrer au jeune B... C... un visa de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n°2214488 du 31 août 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 octobre 2023 et 14 octobre 2024, Mme C..., représentée par Me Cavelier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision implicite née le 4 septembre 2022 de la commission de recours ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;

- la décision de la commission de recours méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mars 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... C..., ressortissante nigériane, a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire. Une demande de visa d'entrée et de long séjour a été présentée pour le jeune B... C..., enfant allégué de Mme C..., auprès de l'autorité consulaire française à Lagos au titre de la réunification familiale. Par une décision du 6 mai 2022, cette demande a été rejetée par l'autorité consulaire. Par une décision née le 4 septembre 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement refusé de délivrer le visa sollicité. Par un jugement du 31 août 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme C... tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours. Mme C... relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...)/ 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ".

3. Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française ".

4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Il ressort de l'accusé de réception du recours administratif préalable obligatoire remis par la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France à Mme C... que, pour rejeter implicitement son recours, la commission s'est appropriée les motifs de refus de visa opposés par l'autorité consulaire, tirés de ce que les documents d'état-civil produits sont dépourvus de valeur probante.

6. Pour justifier du lien de filiation de l'enfant B... C... à l'égard de Mme C..., a été produite la photocopie d'un acte de naissance dressé le 8 novembre 2021, mentionnant Mme A... C... et M. F... C... comme la mère et le père de l'enfant. Si le ministre conteste les allégations de Mme C... selon lesquelles M. F... C... serait son propre père qui aurait adopté son fils, B... C..., au motif qu'elle a déclaré, lors d'un entretien conduit le 12 septembre 2019 par un agent de l'Office française de protection des réfugiés et apatrides dans le cadre de sa demande d'asile, ne plus se souvenir du prénom de son propre père, il ressort du récit de l'intéressée - que l'OFPRA a tenu pour établi - que le jeune B... est issu d'un viol, raison pour laquelle elle avait alors refusé de mentionner l'identité réelle du père de l'enfant et qu'après avoir fui la famille d'accueil au sein de laquelle ce viol avait été commis, elle a confié son enfant à sa mère pour rejoindre Bénin City puis la Lybie en 2017. En outre, Mme C... produit, pour la première fois devant la cour, un nouvel acte de naissance, délivré le 28 août 2024 et légalisé par les autorités consulaires nigérianes en France le 19 septembre 2024, qui fait également état d'un lien de filiation paternel de l'enfant avec M. F... C... ainsi qu'un affidavit, rédigé le 25 août 2024 devant notaire par un frère de Mme C..., M. G... C..., qui confirme que " feu M. F... C... " était le " père adoptif " de l'enfant. La circonstance que, dans un affidavit, établi en 2021 devant la cour coutumière de l'Etat d'Edo, le nom du père biologique de l'enfant, M. E..., est mentionné ne remet pas en cause l'identité de l'enfant dont les nom et prénom, date et lieu de naissance sont reproduits sans aucune discordance dans chacun des documents produits, ni son lien de filiation à l'égard de Mme C..., laquelle a dès son arrivée en France déclaré l'enfant B... comme son fils et est mentionnée, dans l'ensemble des documents produits, dont les deux affidavits, comme la mère biologique de l'enfant B.... Enfin, si le ministre fait valoir que l'acte a été établi tardivement et qu'il ne comporte pas les mentions réglementaires, il ne se prévaut d'aucune disposition du droit nigérian qui ferait obstacle à un tel établissement tardif des actes de naissance des enfants et n'explicite pas davantage les mentions qui seraient manquantes dans l'acte ni les dispositions les imposant. Dans ces conditions, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, en estimant que l'identité et le lien de filiation de l'enfant B... n'étaient pas établis et en refusant de délivrer le visa sollicité pour ce motif, a fait une inexacte application des dispositions précitées.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à l'enfant B... C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

9. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros que demande son mandataire, Me Cavelier, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 31 août 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision née le 4 septembre 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté la demande de visa d'entrée et de long séjour en France présentée pour l'enfant B... C... est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur de délivrer à l'enfant B... C... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Cavelier une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 20 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Mas, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juin 2025.

La rapporteure,

I. MONTES-DEROUETLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

M. D...

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT03138


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03138
Date de la décision : 06/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle MONTES-DEROUET
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : CAVELIER

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-06;23nt03138 ?
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