Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... et Mme A... H... épouse D... ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les arrêtés du 2 octobre 2024 du préfet du Morbihan portant assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement nos 2406008, 2406009 du 25 octobre 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
I. - Par une requête, enregistrée le 22 novembre 2024 sous le n° 24NT03280, M. G... D..., représenté par Me Khatifyian, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 octobre 2024 du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes ;
2°) d'annuler l'arrêté du 2 octobre 2024 du préfet du Morbihan ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le magistrat désigné a omis d'examiner le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'assignation à résidence est disproportionnée tant dans son principe que dans ses modalités d'exécution, en méconnaissance des dispositions de l'article 66 de la Constitution et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté contesté méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Par un mémoire enregistré le 30 avril 2025, le préfet du Morbihan conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun moyen n'est fondé.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 22 janvier 2025.
II. - Par une requête, enregistrée le 22 novembre 2024 sous le n° 24NT03282, Mme A... H... épouse D..., représentée par Me Khatifyian, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 octobre 2024 du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes ;
2°) d'annuler l'arrêté du 2 octobre 2024 du préfet du Morbihan ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté contesté a été signé par une autorité incompétente ;
- il est insuffisamment motivé ; il n'a pas été précédé d'un examen particulier de sa situation ;
- il est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'assignation à résidence est disproportionnée tant dans son principe que dans ses modalités d'exécution, en méconnaissance des dispositions de l'article 66 de la Constitution et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire enregistré le 30 avril 2025, le préfet du Morbihan conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun moyen n'est fondé.
La demande d'aide juridictionnelle présentée par Mme H... épouse D... a été rejetée par le président du bureau d'aide juridictionnelle par une décision du 22 janvier 2025.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la Constitution du 4 octobre 1958 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Brisson a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... et Mme H... épouse D..., ressortissants géorgiens, nés les 14 octobre 1981 et 11 octobre 1987 à Tbilissi en Géorgie sont entrés sur le territoire français le 23 mars 2017, accompagnés de leur premier fils. Par des arrêtés du 13 décembre 2023, le préfet du Morbihan les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination, leur a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée de six mois et leur a fait obligation de se présenter deux fois par semaine au commissariat de Lorient. Par deux jugements n° 2401956 et n° 2401957 du 1er juillet 2024, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés du 13 décembre 2023 du préfet du Morbihan. Par des arrêtés du 2 octobre 2024, le préfet du Morbihan a assigné à résidence M. D... et Mme H... épouse D... pour une durée de quarante-cinq jours et leur a fait obligation de se présenter tous les jours de la semaine sauf les week-ends et les jours fériés au commissariat de police de Lorient. Par deux demandes enregistrées sous les nos 2406008 ; 2406009, M. D... et Mme H... épouse D... ont respectivement saisi le tribunal administratif de Rennes de demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés. Par un jugement du 25 octobre 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes. M. D... et Mme H... relèvent appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que, devant les premiers juges, M. D... a soulevé le moyen tiré de ce que l'arrêté portant assignation à résidence méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes, qui a visé ce moyen, n'y a pourtant pas répondu. Le jugement attaqué est donc entaché, sur ce point, d'une omission de répondre à un moyen et doit être annulé dans cette mesure. Il y a ainsi lieu de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée devant le tribunal administratif de Rennes par M. D... et, par l'effet dévolutif de l'appel, sur la demande de Mme H... épouse D....
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Le préfet du Morbihan a donné délégation, selon arrêté du 11 septembre 2024, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, à Mme C... B..., cheffe du pôle éloignement et contentieux par intérim et signataire des arrêtés contestés, aux fins de signer, en cas d'absence ou d'empêchement de M. F..., directeur de la citoyenneté et de la légalité, et de Mme E..., chef du bureau des étrangers et de la nationalité, notamment les décisions d'éloignement et d'assignation à résidence. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des arrêtés contestés doit être écarté.
4. Les arrêtés en litige, qui mentionnent les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, du code des relations entre le public et l'administration, ainsi que des autres textes sur la base desquels ils reposent, exposent les raisons ayant conduit le préfet à estimer que l'éloignement des requérants, dont il est précisé que le délai de départ volontaire imparti par l'obligation de quitter le territoire français dont ils font l'objet est expiré, ne pouvait être immédiat mais demeurait une perspective raisonnable. Ils sont, par suite, suffisamment motivés.
5. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Morbihan n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. D... et Mme H... épouse D....
6. Aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré (...) ". Si, dans sa rédaction antérieure, cet article disposait que l'obligation de quitter le territoire devait avoir été prise moins d'un an avant l'assignation à résidence, en l'absence de dispositions différant son entrée en vigueur, cette modification de texte est entrée en vigueur le lendemain de la promulgation de la loi, soit le 28 janvier 2024.
7. Une obligation de quitter le territoire français antérieure de plus d'un an à la date d'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024 n'est pas privée d'effet, l'étranger demeurant toujours tenu de l'exécuter et ne se trouvant pas, pour ce motif, dans une situation juridique définitivement constituée qui le soustrairait à l'entrée en vigueur de l'allongement de la période ouverte à l'administration pour prononcer une assignation à résidence préparatoire à l'éloignement. Par suite, le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle, prévu à l'article 2 du code civil, ne fait pas obstacle à l'édiction d'une assignation à résidence répondant aux conditions posées par la loi du 26 janvier 2024 afin d'assurer l'exécution d'une obligation de quitter le territoire français ancienne de plus d'un an et de moins de trois ans, alors même que l'article L. 731-1, dans sa rédaction en vigueur à la date à laquelle ladite mesure d'éloignement a été prise, enfermait dans un délai d'un an l'édiction d'une assignation à résidence. Il en résulte que M. D... et Mme H... épouse D... ne sont pas fondés à soutenir que les arrêtés en litige auraient méconnu le principe de non-rétroactivité de la loi et que le préfet du Morbihan aurait commis une erreur de droit.
8. Alors qu'il est constant que le délai de départ volontaire fixé par les décisions portant obligation de quitter le territoire français était expiré, les requérants n'établissent pas que leur éloignement ne serait pas une perspective raisonnable, le préfet ayant relevé qu'ils présentaient des garanties propres à prévenir le risque qu'ils se soustraient aux mesures d'éloignement dans l'attente de leur exécution d'office. Le moyen tiré de ce que le préfet du Morbihan aurait commis une erreur manifeste d'appréciation doit donc être écarté.
9. Les mesures d'assignation contestées astreignent M. D... et Mme H... épouse D... à se présenter à 8h tous les jours de la semaine sauf les week-ends et les jours fériés et leur interdisent de sortir de la ville de Lorient sans autorisation. Les intéressés se bornent à indiquer que ces obligations les empêcheraient de conduire leurs enfants à l'école, sans apporter d'éléments probants à l'appui de leurs allégations. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que les mesures d'assignation à résidence présentent un caractère disproportionné par rapport à la finalité poursuivie et méconnaîtraient leur droit au respect de leurs libertés individuelles garantie par l'article 66 de la Constitution.
10. Il ressort des pièces du dossier que M. D... souffre de troubles psychiatriques et fait valoir une vulnérabilité psychologique. Toutefois, il ne ressort pas des pièces médicales produites que l'assignation à résidence dont il fait l'objet constituerait un traitement inhumain ou dégradant au regard de son état psychologique. Par suite, en assignant à résidence M. D..., le préfet du Morbihan n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
11. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que Mme H... épouse D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 octobre 2024 par lequel le préfet du Morbihan l'a assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours, et, d'autre part, que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du même jour prononçant son assignation à résidence.
12. Par voie de conséquence, leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratives doivent également être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 26 octobre 2024 du magistrat désigné tribunal administratif de Rennes est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de M. D... tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 octobre 2024 du préfet du Morbihan.
Article 2 : Les conclusions de M. D... présentées devant le tribunal administratif de Rennes tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 octobre 2024 du préfet du Morbihan ainsi que le surplus des conclusions présentées en appel par M. D... et Mme H... épouse D... sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... D..., à Mme A... H... épouse D... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Morbihan.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Marion, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juin 2025.
La présidente-rapporteure,
C. BRISSON
Le président-assesseur,
G-V. VERGNE
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Nos 24NT03280, 24NT032822