Vu la requête, enregistrée le 10 septembre 2010, présentée par l'AUTORITE DE REGULATION DES COMMUNICATIONS ELECTRONIQUES ET DES POSTES (ARCEP), dont le siège est 7 square Max Hymans à Paris Cedex 15 (75730) ; l'ARCEP demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0814111/7-1 en date du 8 juillet 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a condamné l'AUTORITE DE REGULATION DES COMMUNICATIONS ELECTRONIQUES ET DES POSTES à rembourser à la société Neocom Multimedia les sommes de 141 400 et 220 906, 84 euros acquittées au titre de la redevance relative aux frais de gestion du plan national de numérotation et de contrôle de son utilisation pour les années 2005 et 2006, assorties des intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2008 ;
2°) de rejeter les conclusions de la société Neocom Multimedia présentées devant le tribunal administratif ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des postes et des communications électroniques ;
Vu le décret nº 96-1224 du 27 décembre 1996 relatif aux redevances dues pour les frais de gestion du plan national de numérotation et de contrôle de son utilisation ;
Vu l'arrêté du 30 décembre 1997 établissant la valeur du coefficient qui fixe l'assiette des redevances pour le coût de gestion de la numérotation ;
Vu l'article 1153-1 du code civil ;
Vu l'article L. 313-3 du code monétaire et financier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 juin 2012 :
- le rapport de Mme Folscheid, rapporteur,
- les conclusions de M. Jarrige, rapporteur public,
- et les observations de Me Benesty, pour la société Neocom Multimedia ;
Considérant que par ordre de paiement du 13 décembre 2005, l'Autorité de Régulation des Télécommunications (ART), devenue l'AUTORITE DE REGULATION DES COMMUNICATIONS ELECTRONIQUES ET DES POSTES (ARCEP) a mis à la charge de la société Neocom Multimedia la somme de 141 400 euros au titre de la redevance relative aux frais de gestion du plan national de numérotation et de contrôle de son utilisation pour l'année 2005 ; que, par ordre de paiement du 1er février 2007, l'ARCEP a mis à la charge de cette société la somme de 220 906, 84 euros au titre de la même redevance pour l'année 2006 ; que par lettre du 30 mai 2008, la société Neocom Multimedia a demandé la restitution de ces redevances ; qu'à la suite de la décision de l'ARCEP en date du 26 juin 2008 rejetant cette demande, ladite société a saisi le Tribunal administratif de Paris aux fins de condamnation de l'ARCEP à lui restituer, avec les intérêts de droit, les sommes de 141 400 euros et 220 906, 84 euros dont elle s'est acquittée au titre de la redevance due pour les frais de gestion du plan national de numérotation et de contrôle de son utilisation des années 2005 et 2006 ; que l'ARCEP relève appel du jugement en date du 8 juillet 2010 par lequel le tribunal a fait droit à la demande de la société Neocom Multimedia ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense ;
Considérant qu'il n'est pas contesté en appel que, comme l'a jugé le tribunal administratif, la redevance annuelle due pour les frais de gestion du plan national de numérotation et de contrôle de son utilisation est une taxe, dont l'autorité réglementaire n'a pas compétence pour fixer les taux en vertu de l'article 34 de la Constitution et que, par suite, les ordres de paiement et les titres de recettes pris sur le fondement du décret susvisé du 27 décembre 1996, puis du décret du 27 mai 2005 codifiant et modifiant le décret du 27 décembre 1996, sont dépourvus de base légale ; que le présent appel porte exclusivement sur l'exception d'enrichissement sans cause de la société Neocom Multimedia opposée en défense devant le tribunal et dont l'ARCEP soutient que c'est à tort que les premiers juges l'ont écartée ;
Sur l'exception d'enrichissement sans cause :
Considérant que l'administration est, en principe, tenue de restituer des taxes perçues illégalement ; qu'elle ne peut s'opposer à cette restitution que si elle établit que cette restitution entraînerait un enrichissement sans cause de la personne astreinte au paiement de ces taxes ; qu'un tel enrichissement sans cause peut survenir lorsque le remboursement excède le préjudice subi par le redevable de la taxe litigieuse en raison du montant des taxes qu'il n'a pas répercuté dans ses prix de vente et de la diminution des volumes de vente liée à l'augmentation du prix résultant du montant des taxes qu'il a répercuté sur ses clients ; que s'il appartient à l'administration d'établir que le remboursement des taxes entraînerait un enrichissement sans cause, le juge ne saurait toutefois lui demander des éléments de preuve qu'elle ne peut apporter ; qu'ainsi, dans le cas où l'administration avance une argumentation présentant un degré suffisamment élevé de vraisemblance sur l'enrichissement sans cause dont bénéficierait le redevable en cas de remboursement de l'intégralité des taxes perçues, en s'appuyant sur des éléments d'information pertinents sur l'évolution des prix, des marges et des volumes du secteur concerné à la suite de la mise en application de la taxe litigieuse, ainsi que sur des documents qu'elle est en droit d'obtenir du redevable, il appartient au juge, après avoir soumis cette argumentation au débat contradictoire, d'apprécier, le cas échéant après un supplément d'instruction, si l'enrichissement allégué est établi ;
Considérant qu'à l'appui de sa requête, l'ARCEP fait valoir que le compte de résultat produit en première instance par la société Neocom Multimedia, sur lequel s'est fondé le tribunal, est dépourvu de toute valeur probante, qu'elle peut valablement fonder son argumentation sur la comparaison avec un autre opérateur tel que la société Free, que la circonstance qu'elle n'ait pas opposé l'enrichissement sans cause à la société Kosmos est sans incidence sur le présent litige, que les données propres à l'entreprise permettent établir l'enrichissement sans cause de la société, que le marché des services de renseignements téléphoniques, dans le contexte duquel la situation de la société peut également être resituée, fait apparaître sur la période une baisse structurelle des volumes mais une augmentation sensible des tarifs induisant pour les opérateurs un bénéfice net de 7 millions d'euros pour l'année 2005 contre un montant de redevances réclamées auxdits opérateurs de 2, 2 millions d'euros et pour l'année 2006 un déficit très limité de 28 millions d'euros contre un montant de redevances de 1 318 356, 16 million d'euros, que la société Neocom Multimedia a nécessairement répercuté le coût des redevances litigieuses dans le prix de ses services, enfin que ladite société a retiré un avantage évident des ressources qui lui ont été attribuées ;
Considérant, toutefois, que les comptes consolidés de la société Neocom Multimedia, dûment signés par ses commissaires aux comptes et dont le caractère probant ne peut être contesté, font apparaître que le chiffre d'affaires de cette petite société qui emploie 18 salariés a chuté de 20% entre 2005 et 2006 pour s'établir à un peu moins de 10 millions d'euros en 2006 ; que son résultat, s'il a progressé de près de 190% sur la période concernée, était négatif d'un million d'euros en 2005 et n'a atteint que 405 000 euros en 2006, alors que le coût des redevances litigieuses s'élevait à 141 400 euros et 220 906, 84 euros pour les années en cause ; que l'ARCEP ne démontre pas que la progression du solde de gestion sur la période concernée serait imputable non à des efforts de restructuration comme le soutient la société Neocom Multimedia mais à l'attribution des numéros spéciaux à l'origine pour la société d'un enrichissement supérieur au coût des redevances illégalement perçues ; que si les données chiffrées précitées n'excluent pas par elles-mêmes l'enrichissement sans cause, celui-ci n'est cependant pas démontré par la seule circonstance, au demeurant non établie, que les redevances de numérotation représenteraient une part minime de charges de la société dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la société Neocom Multimedia aurait répercuté le montant desdites redevances sur les prix facturés à ses clients pour compenser le surcoût de l'imposition indue ; que l'analyse générale du marché global des renseignements téléphoniques, dont se prévaut l'ARCEP en cause d'appel, ne peut être utilement invoquée dès lors que la société ne fournit pas de services de renseignements téléphoniques mais des services d'informations générales ; que l'ARCEP ne saurait sérieusement comparer la société en cause dans le présent litige à la société Free à laquelle le Tribunal administratif de Paris n'a pas accordé la restitution des redevances litigieuses en raison de l'enrichissement sans cause dont elle avait bénéficié dès lors que ladite société a connu un chiffre d'affaires en 2005 de 724 millions d'euros et en 2006 de 950 millions d'euros, respectivement 60 et 100 fois supérieur à celui de la société Neocom Multimedia, les résultats nets de la société Free pour ces deux années s'établissant à 68, 9 et 123, 9 millions d'euros contre un résultat déficitaire d'un million d'euros en 2005 et un résultat positif de 0, 4 million d'euros en 2006 pour la société en cause dans le présent litige ; qu'en outre il est constant que l'ARCEP n'a pas opposé l'enrichissement sans cause à la société Kosmos ni relevé appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a accordé la décharge de la taxe litigieuse, alors que la situation de la société Kosmos est comparable à celle de la société Neocom Multimedia ; qu'enfin, la société Neocom Multimedia a produit le 27 janvier 2012 les chiffres de son activité pour 2005 et 2006 sur les numéros courts qui lui ont été attribués, lesquels ne démontrent pas un enrichissement sans cause ; qu'eu égard à l'explication donnée par la société, notamment le reversement de la part de la TVA, c'est à tort que l'ARCEP met en doute la fiabilité de ces chiffres en raison de leur prétendue incohérence avec les volumes d'activité également produits par la société ;
Considérant, par suite, que l'ARCEP ne produit pas, en l'espèce, d'éléments suffisamment précis sur les effets de l'instauration de la taxe pour la société Neocom Multimedia, tirés de la situation de la société ou de l'évolution économique du secteur pendant les années en litige, pour établir l'enrichissement sans cause dont bénéficierait la société en cas de remboursement de l'intégralité des taxes perçues en 2005 et 2006 ; que si l'ARCEP fait également valoir que les redevances litigieuses sont perçues en contrepartie de l'attribution d'une ressource en numérotation, qui est une ressource rare, et qu'il y a donc nécessairement lieu de tenir compte des avantages économiques qu'en retirent les opérateurs, elle ne démontre pas en l'espèce l'avantage qu'aurait retiré la société Neocom Multimedia de l'exploitation de cette ressource ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ARCEP n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué ;
Sur les conclusions de la société Neocom Multimedia aux fins de versement des intérêts capitalisés :
Considérant qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière " ; que pour l'application des dispositions précitées, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant les juges du fond ; que cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; qu'à défaut, la demande prend effet à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière ; que le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ;
Considérant que la société Neocom Multimedia a demandé la capitalisation des intérêts le 9 mars 2011, date d'enregistrement de son mémoire en défense devant la Cour ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à cette date ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les conclusions de la société Neocom Multimedia aux fins de versement des intérêts au taux légal majoré de cinq points :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 11 du code de justice administrative : " Les jugements sont exécutoires. " ; qu'aux termes de l'article 1153-1 du code civil : " En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier : " En cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision " ;
Considérant que même en l'absence de demande tendant à l'allocation d'intérêts, tout jugement prononçant une condamnation à une indemnité fait courir les intérêts au taux légal au jour de son prononcé jusqu'à son exécution, puis, en application des dispositions précitées du code monétaire et financier, au taux majoré s'il n'est pas exécuté dans les deux mois de sa notification ; qu'ainsi la demande de la société Neocom Multimedia tendant à ce que lui soient alloués, à compter du 13 septembre 2010, des intérêts au taux majoré sur la somme que l'ARCEP a été condamnée à lui rembourser, est dépourvue de tout objet et doit donc être rejetée ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par l'ARCEP doivent dès lors être rejetées ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Neocom Multimedia d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle dans la présente instance et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, la société Neocom Multimedia n'est pas recevable à demander pour la première fois en cause d'appel une somme sur le fondement des mêmes dispositions au titre de la première instance ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête présentée par l'ARCEP est rejetée.
Article 2 : Les intérêts sur les sommes de 141 400 et 220 906, 84 euros mises à la charge de l'Etat (ARCEP) par le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 8 juillet 2010 seront capitalisés le 9 mars 2011 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : L'Etat versera à la société Neocom Multimedia la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions incidentes de la société Neocom Multimedia est rejeté.
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N° 10PA03855
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N° 10PA04633