Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Entoma a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2016 par lequel le préfet de police a suspendu la mise sur le marché des insectes destinés à l'alimentation humaine commercialisés par ladite société et a ordonné le retrait de ces produits du marché jusqu'à l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché et après une évaluation visant à démontrer qu'ils ne présentent aucun danger pour le consommateur.
Par un jugement n° 1602662/6-3 du 9 novembre 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 29 novembre 2017, et un mémoire en réplique, enregistré le 2 mars 2018, la société Entoma, représentée par Me Steck, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 9 novembre 2017 par lequel le Tribunal administratifde Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté n° DDPP-2016-0005 du 27 janvier 2016 par lequel le préfet de police a suspendu la mise sur le marché de ses produits commercialisés à base d'insectes et a ordonné leur retrait du marché jusqu'à mise en conformité avec les dispositions du règlement (CE) n° 258/97 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 27 janvier 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- les premiers juges ont dénaturé ses écritures en considérant que la société requérante ne conteste pas que les insectes remplissent les deux conditions cumulatives requises pour entrer dans le champ d'application de l'autorisation préalable prévue par le règlement sur les nouveaux aliments et les nouveaux ingrédients alimentaires du 27 janvier 1997 ;
- les premiers juges ont omis de répondre à son argumentation tirée de ce que le fait que les insectes entiers entrent désormais explicitement dans le champ d'application du nouveau règlement du 25 novembre 2015 signifie qu'ils étaient auparavant exclus du champ d'application du précédent règlement ;
- les premiers juges ont omis de répondre à son argumentation sur le sens courant des termes litigieux et du contexte dans lequel ils ont été employés.
Sur le bien-fondé du jugement :
- les premiers juges ont commis une erreur de droit en considérant que les insectes entiers doivent être inclus dans les " ingrédients alimentaires isolés à partir d'animaux " du règlement du 27 janvier 1997 puisqu'une interprétation stricte doit présider aux mesures de police administrative, même au niveau européen, que la libre circulation des marchandises doit également être prise en compte dans l'interprétation du règlement européen, qu'il est impossible de transposer le raisonnement retenu par la Cour de justice de l'Union européenne saisie sur question préjudicielle d'une interprétation du règlement du 27 janvier 1997 concernant les structures moléculaires primaires nouvelles, et enfin que les insectes entiers étaient exclus de la procédure d'autorisation préalable sous l'empire du règlement du 27 janvier 1997 ;
- les premiers juges ont entaché leur jugement d'une erreur d'appréciation des faits en n'apportant pas de précisions sur le caractère nécessaire et adapté de l'arrêté préfectoral contesté, alors que plusieurs rapports ne prônent pas l'interdiction de la commercialisation des insectes à des fins alimentaires et que cet arrêté n'est pas proportionné du fait de la longueur de la procédure préalable à l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché.
Sur l'effet dévolutif de l'appel :
- elle sollicite l'entier bénéfice de ses écritures devant le Tribunal administratif de Paris aux termes desquelles elle a soutenu que l'arrêté du préfet de police du 27 janvier 2016 émane d'une autorité incompétente et procède d'une erreur de droit et d'appréciation des faits.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mars 2018, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Entoma ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) n° 258/97 du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires,
- le règlement (UE) n° 2015/2283 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relatif aux nouveaux aliments abrogeant le règlement (CE) n° 258/97 du Parlement européen et du Conseil,
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 9 novembre 2016, Davitas GmbH c/ Stadt Aschaffenburg (aff. C-448/14),
- le code de la consommation,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendues au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Luben,
- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,
- et les observations de Me Steck, avocat de la société Entoma.
Considérant ce qui suit :
Sur la régularité du jugement attaqué :
1. En premier lieu, si la société Entoma critique la motivation retenue par les premiers juges au point 10 du jugement attaqué pour rejeter les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 27 janvier 2016, le moyen tiré de la dénaturation de ses écritures porte sur le bien-fondé du jugement et non sur sa régularité.
2. En second lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif, après avoir analysé les conclusions et les mémoires des parties, a expressément répondu, de manière circonstanciée, aux moyens que la société Entoma avait invoqués en première instance. En outre, il n'était ni tenu de répondre à l'ensemble des arguments avancés à l'appui de ces moyens, ni tenu de reprendre l'intégralité des faits développés par la société requérante. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait suffisamment motivé doit être écarté.
4. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué n'est pas entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. D'une part, aux termes de l'article 1er du règlement susvisé du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 1997 : " 1. Le présent règlement a pour objet la mise sur le marché dans la Communauté de nouveaux aliments et de nouveaux ingrédients alimentaires. / 2. Le présent règlement s'applique à la mise sur le marché dans la Communauté d'aliments et d'ingrédients alimentaires pour lesquels la consommation humaine est jusqu'ici restée négligeable dans la Communauté et qui relèvent des catégories suivantes : (...) / e) les aliments et ingrédients alimentaires composés de végétaux ou isolés à partir de ceux-ci et les ingrédients alimentaires isolés à partir d'animaux (...) " ; aux termes de l'article 4 du même règlement : " 1. La personne responsable de la mise sur le marché dans la Communauté, ci-après dénommée " demandeur ", soumet une demande à l'État membre dans lequel le produit doit être mis sur le marché pour la première fois. Elle transmet, en même temps, une copie de la demande à la Commission. / 2. Il est procédé à l'évaluation initiale prévue à l'article 6. / À l'issue de la procédure visée à l'article 6 paragraphe 4, l'État membre visé au paragraphe 1 informe sans délai le demandeur: / - qu'il peut procéder à la mise sur le marché de l'aliment ou de l'ingrédient alimentaire, lorsque l'évaluation complémentaire visée à l'article 6 paragraphe 3 n'est pas requise (...) / ou / - que, conformément à l'article 7, une décision d'autorisation est nécessaire (...). ".
6. Il résulte de ces dispositions que pour qu'un aliment ou un ingrédient alimentaire soit soumis à la procédure d'autorisation préalable avant sa mise sur le marché conformément à l'article 4 précité du règlement susvisé, il doit remplir deux conditions cumulatives, d'une part la consommation humaine de ces substances doit être " restée négligeable " dans l'Union avant le 15 mai 1997, et, d'autre part, lesdites substances doivent relever de l'une des catégories expressément décrites à l'article 1er, paragraphe 2 du règlement. La catégorie visée à l'article 1er, paragraphe 2, sous e) dudit règlement inclut les " ingrédients alimentaires isolés à partir d'animaux ". Par ailleurs, dans son arrêt du 9 novembre 2016, Davitas GmbH c/ Stadt Aschaffenburg, aff. C-448/14, rendu sur question préjudicielle, relatif à l'interprétation de l'article 1er paragraphe 2, c) sur les " structures moléculaires primaires nouvelles " du règlement susvisé du 27 janvier 1997, la Cour de justice de l'Union européenne a mentionné que les deux objectifs poursuivis par le règlement relatif aux nouveaux aliments étaient le fonctionnement du marché intérieur des nouveaux aliments et la protection de la santé publique contre les risques que les nouveaux aliments peuvent générer, et a précisé que ce règlement " vise à établir au sein de l'Union des standards communs dans le domaine des nouveaux aliments et des nouveaux ingrédients alimentaires qui se traduisent, notamment, ainsi qu'il ressort de son considérant 2, par l'instauration d'une évaluation d'innocuité unique de ceux-ci suivant une procédure communautaire avant leur mise sur le marché de l'Union ". Enfin, la Cour de justice de l'Union européenne a rappelé qu'il ressort d'une jurisprudence constante que la détermination de la signification de la portée des termes pour lesquels le droit de l'Union ne fournit aucune définition doit être établie conformément au langage de ceux-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la règlementation dont ils font partie. Dès lors, les termes du règlement relatif aux nouveaux aliments doivent s'interpréter au regard du langage courant, étayé tant par leur contexte que par la finalité du règlement.
7. D'autre part, aux termes de l'article L. 218-5-4 du code de la consommation, sur le fondement duquel a été pris l'arrêté préfectoral litigieux : " S'il est établi qu'un produit a été mis sur le marché sans avoir été l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement ou de la déclaration exigé par la réglementation applicable à ce produit, le préfet ou, à Paris, le préfet de police peut ordonner la suspension de sa mise sur le marché et son retrait jusqu'à la mise en conformité avec la réglementation en vigueur ".
8. En premier lieu, si la société Entoma soutient que son activité n'entre pas dans le champ d'application de l'article 1er du règlement susvisé qui ne concerne que " les ingrédients alimentaires isolés à partir d'animaux " alors qu'elle commercialise des insectes entiers, toutefois, au regard des finalités précédemment rappelées poursuivies par le règlement susvisé, il n'y a pas lieu d'opérer une différence de traitement entre la commercialisation de substances à base d'insectes et celle d'insectes entiers consommés en tant que tels dès lors que seule une interprétation de l'expression " ingrédients alimentaires isolés à partir d'animaux " visant à inclure les insectes entiers permet de garantir une protection effective de la santé publique contre les risques potentiels présentés par ces nouveaux aliments ; en effet, si une évaluation d'innocuité ainsi qu'une autorisation préalable avant la mise sur le marché sont requises pour les substances à base d'insectes en vue de la protection de la santé publique et du bon fonctionnement du marché intérieur, un tel dispositif doit être mis en oeuvre a fortiori pour les insectes entiers.
9. En outre, si la société Entoma soutient que l'inclusion expresse des insectes entiers dans le champ d'application du nouveau règlement n° 2015/2283 du 25 novembre 2015, applicable au 1er janvier 2018, établirait que les insectes entiers ne relevaient pas de celui du règlement susvisé du 27 janvier 1997, une telle précision apportée au champ d'application des nouveaux aliments ou ingrédients alimentaires ne saurait signifier que les insectes entiers ne relevaient pas des dispositions du c) du paragraphe 2 de l'article 1er du règlement du 27 janvier 1997, quand bien même ils n'y ont pas été mentionnés expressément.
10. Par suite, c'est à bon droit que le jugement attaqué a estimé que l'article 1er, paragraphe 2, sous e) du règlement susvisé du 27 janvier 1997 doit s'interpréter comme incluant les insectes entiers consommés pour eux-mêmes.
11. En deuxième lieu, les insectes entiers destinés à la consommation alimentaires étant, comme il vient d'être dit, inclus dans la catégorie des " ingrédients alimentaires isolés à partir d'animaux " de l'article 1er, paragraphe 2 du e) du règlement du 27 janvier 1997, ils étaient soumis à une demande d'autorisation de mise sur le marché auprès de l'Etat membre dans lequel le produit a été mis sur le marché pour la première fois, procédure qui n'a pas été respectée par la société Entoma, qui n'a pas formulé de demande en ce sens auprès de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et qui, au surplus, n'a pas non plus effectué ultérieurement de demande auprès des autorités européennes, conformément à la nouvelle procédure prévue par le règlement susvisé du 25 novembre 2015, alors même qu'un règlement d'exécution (UE) n° 2017/2469 établissant les exigences administratives et scientifiques applicables aux demandes visées à l'article 10 du règlement UE n° 2015/2283 du Parlement européen et du Conseil relatif aux nouveaux aliments a été adopté le 20 décembre 2017 et publié au Journal officiel de l'Union européenne le 30 décembre 2017. Par suite, le préfet de police, par son l'arrêté litigieux du 27 janvier 2016, a pu légalement ordonner la suspension de la mise sur le marché des produits commercialisés par la société Entoma sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 218-5-4 du code de la consommation.
12. D'une part, il ressort des termes mêmes de l'arrêté contesté que le préfet de police n'a suspendu la mise sur le marché et a retiré du marché les produits commercialisés par la société Entoma que jusqu'à la mise en conformité avec les dispositions du règlement susvisé n° 258/97 ; dès lors, cette mesure est temporaire et devra prendre fin dès que la société Entoma aura obtenu l'autorisation requise et procédé à l'évaluation de l'innocuité des produits qu'elle commercialise. D'autre part, quand bien même le rapport de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) du 12 février 2015 relatif à la valorisation des insectes dans l'alimentation et l'état des lieux des connaissances scientifiques sur les risques sanitaires en lien avec la consommation des insectes ne conclut pas à l'interdiction de la commercialisation des insectes entiers, le préfet de police a pu se fonder, pour adopter l'arrêté querellé, sur les risques soulignés par le rapport, notamment sur la circonstance que " les insectes vivants et transformés peuvent être considérés comme des réservoirs potentiels d'agents biologiques (et de leurs toxines), chimiques et physiques susceptibles d'affecter la santé de l'homme et de l'animal lors de la consommation directe ou indirecte ". Par suite, la mesure adoptée par l'arrêté contesté du préfet de police est nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi par l'article L. 218-5-4 du code de la consommation. Enfin, la société requérante ne saurait utilement faire valoir que la procédure administrative d'autorisation de mise sur le marché de nouveaux aliments serait longue et très lourde pour s'exonérer de son respect.
13. Enfin, la société Entoma sollicite en appel l'entier bénéfice de ses écritures devant le Tribunal administratif de Paris aux termes desquelles elle a soutenu, outre les moyens qu'elle a développés à nouveauen appel, que l'arrêté litigieux du préfet de police du 27 janvier 2016 émane d'une autorité incompétente. Il y a lieu, par adoption du motif retenus par les premiers juges, d'écarter ce moyen.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Entoma n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 9 novembre 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté n° DDPP-2016-0005 du 27 janvier 2016 par lequel le préfet de police a suspendu la mise sur le marché de ses produits commercialisés à base d'insectes et a ordonné leur retrait du marché jusqu'à mise en conformité avec les dispositions du règlement (CE) n° 258/97. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Entoma est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Entoma et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Luben, président,
- MmeB..., première conseillère,
- MmeA..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 22 mars 2018.
Le président-rapporteur,
I. LUBENLa première conseillère la plus ancienne,
M. B...La greffière,
A-L. CHICHKOVSKY PASSUELLOLa République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA03640