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08/11/2018 | FRANCE | N°17PA01796

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 08 novembre 2018, 17PA01796


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Financière Apsys, venant aux droits de la société Apsys, a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 55 829, 58 euros, ainsi que les intérêts au taux légal et la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 13 août 2009 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de Mme A...B....

Par un jugement n° 1513210 du 31 mars 2017, le Tr

ibunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à la société Financière Apsys l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Financière Apsys, venant aux droits de la société Apsys, a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 55 829, 58 euros, ainsi que les intérêts au taux légal et la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 13 août 2009 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de Mme A...B....

Par un jugement n° 1513210 du 31 mars 2017, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à la société Financière Apsys la somme de 8 305 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2014 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 29 décembre 2015.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 25 mai 2017, la société Financière Apsys, représentée par la Selarl Squadra Avocats agissant par MeC..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1513210 du 31 mars 2017 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il a décidé d'un partage de responsabilité et a limité la condamnation de l'Etat à la somme de 8 305 euros au principal ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 55 829, 58 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2014 et la capitalisation de ces intérêts à compter du 29 décembre 2015, en réparation de l'illégalité fautive entachant la décision du 13 août 2009 de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement de MmeB... ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Financière Apsys soutient que :

- le jugement est irrégulier pour être entaché de contradiction de motifs dès lors qu'après avoir jugé que le préjudice subi du fait de la condamnation de l'employeur à verser une indemnité à Mme B...résultait directement de l'illégalité de la décision de l'inspecteur du travail, les premiers juges ont toutefois jugé que la société avait elle-même commis une faute de nature à exonérer l'Etat de la moitié de sa responsabilité ; l'employeur avait pourtant respecté ses obligations en matière de reclassement, comme en atteste la décision favorable de l'inspecteur du travail ;

- le jugement est irrégulier pour être insuffisamment motivé dès lors que les premiers juges se sont bornés à tenir compte du seul jugement du conseil des prud'hommes sans répondre à l'ensemble des arguments développés devant eux ;

- le préjudice consistant dans la condamnation à verser à l'employée une indemnité de 16 609, 77 euros sur le fondement de l'article L. 2422-4 du code du travail trouve son origine directe et exclusive dans la seule illégalité fautive de l'autorisation de licenciement ; il appartient en effet à l'inspecteur du travail de porter son appréciation, notamment, sur les efforts de reclassement entrepris et la décision autorisant le licenciement a été annulée pour défaut de motivation et non pour un motif de fond ; il résulte en outre des termes mêmes de l'article L. 2422-4 du code du travail que l'indemnité due au salarié en cas d'annulation de la décision autorisant son licenciement a pour seule origine l'illégalité de la décision administrative ;

- le préjudice consistant dans la condamnation à verser à l'employée une indemnité de 45 000 euros sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail trouve son origine directe et exclusive dans la seule illégalité fautive de l'autorisation de licenciement dès lors que le licenciement a été qualifié de sans cause réelle ni sérieuse du seul fait de l'annulation de la décision administrative l'autorisant ; c'est uniquement à raison de l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail que le conseil des prud'hommes a pu faire porter son appréciation sur le respect des obligations de reclassement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 avril 2018, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

La ministre fait valoir que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont opéré un partage de responsabilité entre l'Etat et l'employeur pour ce qui concerne l'indemnité due à la salariée sur le fondement de l'article L. 2422-4 du code du travail dès lors que si l'illégalité fautive entachant la décision de l'inspecteur du travail engage la responsabilité de l'Etat, la société a participé à la réalisation de son propre préjudice en demandant à être autorisée à procéder à un licenciement qui était illégal du fait du manquement à l'obligation de reclassement ;

- le préjudice résultant de la condamnation à verser à la salariée une indemnité sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail trouve son origine directe dans l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement constatée par le conseil des prud'hommes, imputable au seul employeur.

La requête a été communiquée à MmeB..., qui n'a pas présenté d'observations.

Par ordonnance du 30 mai 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 2 juillet 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail,

- le code de procédure civile,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Guilloteau,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 13 août 2009, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de MmeB..., directrice de projet au sein de la société Apsys et élue membre du comité d'entreprise. Par un jugement n° 0916678 du 4 mai 2011, le Tribunal administratif de Paris a, sur la requête de MmeB..., annulé cette décision. La Cour administrative d'appel de Paris a confirmé ce jugement, par un arrêt n° 11PA02998 du 4 juillet 2013 devenu définitif. Par un jugement du 14 janvier 2015, le conseil des prud'hommes a condamné la société Apsys à verser à Mme B...des indemnités en réparation des préjudices subis du fait de son licenciement. Estimant la responsabilité de l'Etat engagée à son égard à raison de l'illégalité fautive dont était entachée la décision du 13 août 2009, l'employeur a alors saisi l'Etat d'une demande tendant à l'indemnisation d'un préjudice de 55 829, 58 euros, correspondant au montant total de la somme versée à Mme B... en exécution du jugement du conseil des prud'hommes. Par la présente requête, la société Financière Apsys, venue aux droits de la société Apsys, demande l'annulation du jugement du 31 mars 2017 en tant que le Tribunal administratif de Paris a limité le montant de la condamnation de l'Etat à la somme de 8 305 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2014 et de la capitalisation des intérêts à compter du 29 décembre 2015.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, il résulte des motifs mêmes du jugement que le Tribunal administratif de Paris a expressément répondu aux moyens contenus dans les mémoires produits par la société requérante. En particulier, le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, n'a pas omis de répondre au moyen tiré de ce que le préjudice consistant dans le paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article L. 2422-4 du code du travail en exécution du jugement du conseil des prud'hommes trouvait sa cause directe, certaine et exclusive dans la seule illégalité fautive entachant la décision autorisant le licenciement de la salariée protégée. Par suite, la société Financière Apsys n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité pour ce motif.

3. La société requérante soutient en second lieu que le jugement entrepris serait entaché d'une contradiction de motifs en tant qu'il juge que le préjudice consistant dans le paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article L. 2422-4 du code du travail en exécution du jugement du conseil des prud'hommes est directement imputable à l'illégalité fautive entachant la décision autorisant le licenciement mais que la société a elle-même commis une faute de nature à exonérer l'Etat de la moitié de la responsabilité encourue. Toutefois, une telle contradiction, à la supposer même avérée, affecterait le bien-fondé du jugement et non sa régularité.

Sur le bien-fondé de la demande :

4. En application des dispositions du code du travail, le licenciement d'un salarié protégé ne peut intervenir que sur autorisation de l'autorité administrative. L'illégalité de la décision autorisant un tel licenciement constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique, quelle que puisse être par ailleurs la responsabilité encourue par l'employeur. Ce dernier est en droit d'obtenir la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice direct et certain résultant pour lui de cette décision illégale.

5. En l'espèce, la décision de l'inspecteur du travail en date du 13 août 2009 autorisant le licenciement de Mme B...a été annulée par un jugement du 4 mai 2011, devenu définitif, aux motifs que cette décision " se [bornait] à relever l'impossibilité de reclassement malgré les efforts de reclassement consentis par la société " et était dès lors insuffisamment motivée au regard des exigences de l'article R. 2421-12 du code du travail. L'illégalité dont elle était entachée constitue ainsi une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat et la société Financière Apsys est fondée à demander réparation des préjudices directs et certains résultant pour elle de cette faute.

6. Le jugement du conseil des prud'hommes en date du 14 janvier 2015 a condamné, d'une part, la société requérante à verser à Mme B...une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail, qui, dans sa version alors en vigueur, dispose que : " Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. / Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9 ".

7. Contrairement à ce que soutient la société requérante, l'absence de cause réelle et sérieuse d'un licenciement d'un salarié protégé ne résulte pas, en soi, de l'annulation de l'autorisation de licenciement, qui a en outre été prononcée en l'espèce pour un vice de légalité externe. Le conseil des prud'hommes a ainsi jugé qu' " en dépit de certains postes proposés à la salariée le 10 juin 2009, l'employeur ne démontre pas avoir tout mis en oeuvre pour respecter pleinement son obligation de reclassement (...) L'employeur n'a pas proposé de formation en accompagnement des postes offerts initialement et notamment du poste de directeur administratif et financier " et en a déduit que le licenciement de Mme B...était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le préjudice consistant pour la société Financière Apsys dans le paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail trouve ainsi sa cause directe et exclusive dans la faute commise par l'employeur préalablement à la demande d'autorisation de licenciement. Il suit de là que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que ce préjudice ne résultait pas directement et certainement de l'illégalité dont était entachée la décision du 13 août 2009 autorisant le licenciement.

8. Le jugement du conseil des prud'hommes en date du 14 janvier 2015 a condamné, d'autre part, la société requérante à verser à Mme B...une indemnité réparant le préjudice financier et moral subi par la salariée sur le fondement de l'article L. 2422-4 du code du travail, qui dispose que : " Lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. / L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration. / Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire ".

9. L'annulation de la décision administrative autorisant le licenciement étant une condition légale pour ouvrir droit à cette indemnité, le préjudice consistant pour la société Financière Apsys à avoir versé à Mme B...une somme de 16 609, 77 euros sur le fondement de l'article L. 2422-4 du code du travail présente un lien de causalité direct et certain avec l'illégalité dont était entachée la décision autorisant le licenciement de cette salariée.

10. Toutefois, l'employeur qui demande une autorisation de licenciement d'un salarié protégé alors que les conditions prévues par le code du travail ne sont pas satisfaites commet lui-même une faute. En l'espèce, alors même que la réalité du motif économique du licenciement a été admise par le conseil des prud'hommes, la société Apsys a commis une faute en demandant une autorisation de licenciement alors, ainsi qu'il a été dit au point 7, que ce licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse du fait de ses propres manquements à son obligation préalable de reclassement. C'est ainsi à bon droit et sans contradiction de motifs que les premiers juges ont estimé que si l'illégalité fautive dont était entachée la décision du 13 août 2009 engageait la responsabilité de l'Etat, l'employeur de Mme B...avait lui-même concouru à la réalisation de son propre dommage et qu'ils ont par conséquent exonéré l'Etat de la moitié de la responsabilité encourue.

11. Enfin, aux termes de l'article 700 du code de procédure civile : " Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer : / 1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens (...) ".

12. Le préjudice consistant pour la société Financière Apsys dans le paiement d'une somme au titre des frais exposés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile trouve sa cause directe et exclusive dans la qualité de partie perdante au procès de l'employeur. Il suit de là que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que ce préjudice ne résultait pas directement et certainement de l'illégalité dont était entachée la décision du 13 août 2009 autorisant le licenciement.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Financière Apsys n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris n'a fait droit à sa demande qu'à hauteur de la somme de 8 305 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Financière Apsys est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Financière Apsys, à la ministre du travail et à Mme A...B....

Délibéré après l'audience du 18 octobre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Luben, président,

- Mme Larsonnier, premier conseiller,

- Mme Guilloteau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 8 novembre 2018.

Le rapporteur,

L. GUILLOTEAULe président,

I. LUBEN

Le greffier,

C. POVSELa République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 17PA01796


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA01796
Date de la décision : 08/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère direct du préjudice - Absence.

Travail et emploi - Licenciements - Autorisation administrative - Salariés protégés - Responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. LUBEN
Rapporteur ?: Mme Laëtitia GUILLOTEAU
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SQUADRA ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-11-08;17pa01796 ?
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