Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Continental France a saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 288 469,19 euros en réparation des préjudices résultant des fautes contractuelles commises dans l'exécution du lot n° 3 du marché ayant pour objet la fourniture de pneumatiques pour les forces de sécurité intérieure, outre des conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1610563/3-1 du 25 octobre 2017, le Tribunal administratif de Paris, d'une part, a condamné l'Etat à verser à la société Continental France une indemnité de 68 566 euros, d'autre part, a condamné la société Continental France à verser à l'Etat une indemnité de 221 062,34 euros, enfin a rejeté le surplus des conclusions indemnitaires de la société Continental France, le surplus des conclusions de l'Etat ainsi que les conclusions de la société Continental France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 21 décembre 2017, régularisée le 2 janvier 2018, et un mémoire en réplique, enregistré le 8 août 2018, la société Continental France, représentée par Mes Bellanger et de Bailliencourt, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 octobre 2017 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il a limité le montant de l'indemnité allouée à la somme de 68 566 euros et en tant qu'il a fait intégralement droit aux conclusions reconventionnelles de l'Etat ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 242 973,53 euros H.T, soit 288 568,23 euros TTC ;
3°) de rejeter les conclusions indemnitaires reconventionnelles présentées par l'Etat ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, d'une part, pour insuffisance de motivation, d'autre part, pour défaut de communication du second mémoire en défense en date du 5 décembre 2016 ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'elle avait commis une faute dans l'exécution du lot n° 3 du marché incriminé de nature à engager sa responsabilité contractuelle vis-à-vis de l'Etat dans la mesure où elle ne pouvait être regardée comme défaillante ; en outre, une fois informée du caractère inadapté des pneumatiques Continental Road Attack 2 EVO, elle a remédié à cette inadaptation dans les meilleurs délais en proposant d'autres pneumatiques ;
- c'est à tort que les premiers juges ont limité la responsabilité contractuelle de l'Etat ; le pouvoir adjudicateur a, en effet, commis une faute en ne définissant pas avec précision les besoins à satisfaire ; l'Etat a commis une autre faute en mettant près de 4 mois à répondre à son offre de substitution de pneumatiques puis en poursuivant ses commandes auprès des titulaires de 2ème et 3ème rang ; à titre principal, ces fautes doivent être regardées comme l'exonérant totalement de sa responsabilité, à titre subsidiaire, les fautes commises par l'Etat sont de nature à engager sa responsabilité à hauteur de 75% des préjudices subis ;
- s'agissant de la fourniture des pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 GT Evo, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la responsabilité contractuelle de l'Etat était engagée à compter du 4 mai 2016, alors qu'elle l'était dès le 1er février 2016 ;
- c'est à tort que les premiers juges ont limité le montant de l'indemnité allouée au titre du manque à gagner à la somme de 68 566 euros alors qu'elle est en droit de prétendre à une indemnité de 186 915,54 euros HT ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le préjudice lié aux frais de stockage et le préjudice commercial et d'image n'étaient pas établis ;
- c'est à tort que les premiers juges ont intégralement fait droit aux conclusions reconventionnelles de l'Etat ; à titre principal, ces conclusions doivent être rejetées en totalité car elle n'a commis aucune faute ; à titre subsidiaire, l'indemnité en réparation du préjudice résultant de l'achat de pneumatiques inadaptés doit être limitée à 189 103,20 euros et les frais d'essais techniques de 12 728,40 euros doivent être partagés, soit une indemnité globale de 195 467,40 euros et non de 221 062,34 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2018, le ministre de l'intérieur conclut, à titre principal, au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué en tant qu'il a intégralement fait droit à ses conclusions indemnitaires reconventionnelles, à titre subsidiaire, en cas de réformation de l'article 1er du jugement attaqué, à ce que la condamnation indemnitaire de l'Etat soit limitée à la somme de 51 686 euros.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Continental France ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 13 juillet 2018, la clôture d'instruction a été reportée au 20 août 2018 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pagès,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., pour la société Continental France.
Considérant ce qui suit :
1. À l'issue de la consultation engagée pour la passation d'un marché à bons de commande multi attributaires ayant pour objet la fourniture d'enveloppes pneumatiques pour les forces de sécurité intérieure, le ministère de l'intérieur a attribué le 3 décembre 2014, par ordre décroissant de classement, aux sociétés Continental France, Point S et Michelin, le lot n° 3 de ce marché, ayant pour objet la fourniture de pneumatiques neufs pour des véhicules deux roues à moteur. Durant l'exécution de ce lot, le ministère de l'intérieur, estimant que la société Continental France était défaillante, a diminué, puis cessé ses commandes auprès d'elle. La société Continental France a alors saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité d'un montant de 288 469,19 euros TTC en réparation des préjudices résultant de fautes contractuelles commises par l'Etat durant l'exécution du lot n° 3. A titre reconventionnel, l'Etat a demandé que le tribunal condamne la société Continental France à lui verser une indemnité d'un montant de 221 062,34 euros TTC en réparation, d'une part, des préjudices liés à la vente de pneumatiques inadaptés et, d'autre part, aux frais d'expertise exposés. Par un jugement du 25 octobre 2017, le Tribunal administratif de Paris, d'une part, a condamné l'Etat à verser à la société Continental France une indemnité de 68 566 euros, d'autre part, a condamné la société Continental France à verser à l'Etat une indemnité de 221 062,34 euros, enfin a rejeté le surplus des conclusions indemnitaires de la société Continental France, le surplus des conclusions de l'Etat ainsi que les conclusions de la société Continental France présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La société Continental France relève appel de ce jugement en tant qu'il a limité le montant de l'indemnité allouée à la somme de 68 566 euros et en tant qu'il a fait intégralement droit aux conclusions indemnitaires reconventionnelles de l'Etat.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. D'une part, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments de la société Continental France, ont répondu de façon circonstanciée à l'ensemble des moyens soulevés par cette dernière et ont ainsi satisfait à l'obligation de motivation impartie par les dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative. D'autre part, en ne communiquant pas le second mémoire en défense enregistré le 5 décembre 2016, les premiers juges n'ont pas méconnu le principe du contradictoire dans la mesure où la modification des conclusions du ministre de l'intérieur était favorable à la requérante, ce dernier concluant à titre subsidiaire à ce que la condamnation de l'Etat soit limitée à la somme de 41 125 euros, contre 30 000 euros dans le premier mémoire en défense. Les moyens tirés de l'irrégularité du jugement attaqué doivent donc être écartés.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
I. Sur les conclusions indemnitaires présentées par la société Continental France :
1. En ce qui concerne la responsabilité :
3. Aux termes de l'article 77 du code des marchés publics alors applicable : " I. - Un marché à bons de commande est un marché conclu avec un ou plusieurs opérateurs économiques et exécuté au fur et à mesure de l'émission de bons de commande. Lorsqu'un marché à bons de commande est attribué à plusieurs opérateurs économiques, ceux-ci sont au moins au nombre de trois, sous réserve d'un nombre suffisant de candidats et d'offres. / Dans ce marché le pouvoir adjudicateur a la faculté de prévoir un minimum et un maximum en valeur ou en quantité, ou un minimum, ou un maximum, ou prévoir que le marché est conclu sans minimum ni maximum. / L'émission des bons de commande s'effectue sans négociation ni remise en concurrence préalable des titulaires, selon des modalités expressément prévues par le marché. / Les bons de commande sont des documents écrits adressés aux titulaires du marché. Ils précisent celles des prestations, décrites dans le marché, dont l'exécution est demandée et en déterminent la quantité. / (...) / / III. - Pour des besoins occasionnels de faible montant, le pouvoir adjudicateur peut s'adresser à un prestataire autre que le ou les titulaires du marché, pour autant que le montant cumulé de tels achats ne dépasse pas 1 % du montant total du marché, ni la somme de 10 000 Euros HT. Le recours à cette possibilité ne dispense pas le pouvoir adjudicateur de respecter son engagement de passer des commandes à hauteur du montant minimum du marché lorsque celui-ci est prévu ".
4. Aux termes de l'article 2.2 du cahier des clauses administratives particulières du lot n° 3 : " Les marchés ont la forme de marchés à bons de commande multi-attributaires sans engagement. Chaque lot donne lieu à un marché à bons de commande sans engagement passé avec trois titulaires, sous réserve d'un nombre suffisant de candidats et d'offres. / L'émission des bons de commande intervient sans négociation, ni remise en concurrence préalable des titulaires. / Les titulaires se verront attribuer les bons de commande selon leur rang de classement tel que défini dans l'annexe 0 à l'acte d'engagement et dans les conditions suivantes : / Les bons de commande sont en priorité notifiés au titulaire de premier rang ; il en assure l'exécution dans les conditions prévues au marché. Les bons de commande sont notifiés au titulaire du rang suivant uniquement lorsque le titulaire qui le précède dans l'ordre de classement est considéré comme défaillant. / La défaillance peut être définitive ou temporaire. / (...) / 2) La défaillance temporaire peut être constatée en cas de non-conformité de l'exécution des prestations aux stipulations du marché et/ou mauvaise exécution du marché, notamment s'agissant des engagements du titulaire relativement à la qualité du service (compatibilité des produits aux exigences techniques du pouvoir adjudicateur) et au respect des délais (indisponibilité des produits et dépassement systématique et répété des délais). / La défaillance pour mauvaise exécution du marché est constatée : / - en cas d'indisponibilité récurrente des produits, / - en cas d'incompatibilité des produits aux exigences techniques et au besoin du moment du pouvoir adjudicateur. (...) ".
S'agissant de la fourniture des pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 Evo et GT :
5. D'une part, il résulte des essais techniques réalisés les 27 et 28 avril 2015 par la société Utac Ceram, dont les conclusions ne sont pas utilement contestées par la société Continental France, que les pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 Evo, lorsqu'ils sont installés sur les motos Yamaha " 1300FZR " du parc des forces de sécurité intérieure, équipées et utilisées selon leurs conditions particulières de conduite, provoquent un comportement anormal dans la tenue de route " à partir de 120/ 130 km/h ", qui " s'amplifie avec la vitesse ", en raison d'un " mauvais accord entre le pneumatique et la moto dans la configuration essayée (359 kg sans pilote) ". Si la société Utac Ceram en a ainsi conclu que " l'essai réalisé avec le Continental Conti Road Evo 2 ne donne pas entière satisfaction ", elle n'a toutefois pas remis en cause la qualité intrinsèque des pneumatiques et, notamment, leurs indices de charge et de vitesse, mais leur adéquation à ces véhicules deux roues et à la conduite des forces de sécurité intérieure, en comparaison des performances d'autres modèles de mêmes dimensions et de mêmes indices de charge et de vitesse. Eu égard à la nature et à l'ampleur de cette inadéquation les premiers juges ont considéré à bon droit que ces pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 Evo ne répondaient pas aux exigences techniques du marché destiné à équiper les véhicules deux roues des forces de sécurité intérieure.
6. D'autre part, si la société Continental France a alors proposé de remplacer les pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 Evo par des pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 GT, il résulte des essais techniques réalisés les 27, 28 et 29 octobre 2015 par la société Utac Ceram, dont les conclusions ne sont pas utilement contestées, que ces pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 GT, lorsqu'ils sont installés sur un véhicule deux roues représentatif du parc des forces de sécurité intérieure, équipée et utilisée selon ses conditions particulière de conduite - lesquelles se caractérisent notamment par des vitesses élevées excédant celles d'un usage normal, des freinages appuyés et des accélérations franches, y compris dans des sections de route sinueuses -, présentent sur route sèche et, principalement, sur route mouillée un défaut d'adhérence au sol. La société Utac Ceram en a ainsi conclu que " les pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 GT rendent la moto plus délicate à piloter sur route mouillée, mais surtout lorsque le profil de la route est dégradé ", mettant en exergue leur inadéquation à la conduite des forces de sécurité intérieure, en comparaison des performances d'autres modèles de mêmes dimensions et de mêmes indices de charge et de vitesse. Eu égard à la nature et à l'ampleur de cette inadéquation, c'est à juste raison que les premiers juges ont considéré que les pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 GT ne répondaient pas aux exigences techniques du marché.
7. Il résulte de tout ce qui précède que l'Etat a pu constater sans méconnaître les stipulations précitées de l'article 2.2 du cahier des clauses administratives particulières, qu'en proposant les pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 Evo, puis GT, qui représentent chacun 82% des besoins exprimés au titre du lot n° 3, la société Continental France se trouvait dans une situation de défaillance, permettant ainsi à l'Etat d'adresser ses commandes à des attributaires de rangs inférieurs. Par suite, la société Continental France n'est pas fondée à soutenir que l'Etat aurait méconnu les stipulations de l'article 2.2 du cahier des clauses administratives particulières.
8. La société Continental France fait valoir que cette situation de défaillance est imputable à une carence fautive de l'Etat dans la définition de ses besoins. Si la société Continental France n'a pas été informée par l'Etat des conditions particulières d'usage des véhicules deux roues des forces de sécurité intérieure, sa défaillance prolongée trouve son origine dans l'inadéquation de ces deux modèles de pneumatique aux besoins et exigences techniques du lot n° 3, qui n'ont pas varié durant l'exécution du contrat, et qui, eu égard à l'objet du marché, pouvaient être raisonnablement déduits des seules pièces contractuelles par la société requérante qui ne pouvait ignorer que les contraintes techniques auxquelles sont soumis les véhicules deux roues des forces de l'ordre sont susceptibles d'excéder celles résultant d'un usage civil normal. Or, la société Continental France avait connaissance de l'objet particulier du lot n° 3 et, dès lors en tant que professionnelle avertie, elle aurait dû anticiper en grande partie les exigences techniques et besoins de ce lot. En outre, une fois informée du caractère inadapté des pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 Evo, elle n'a pas été en mesure d'y remédier et a proposé un nouveau modèle défaillant lui aussi. Dans ces conditions elle n'est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal a limité à 80% sa part de responsabilité des préjudices subis par l'Etat en raison de cette défaillance du 1er janvier 2015 au 3 mai 2016.
S'agissant de la fourniture des pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 GT EVO :
9. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société Continental France a proposé à l'Etat, par courriers du 6 octobre 2015 et du 12 janvier 2016, de remplacer les pneumatiques inadaptés par des pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 GT Evo, au motif que ces derniers " possèdent une nouvelle construction de carcasse renforcée et des nouveaux composés de gomme intégrant notre dernière technologie "rain grip" ". Il résulte toutefois de l'instruction que l'Etat a accepté le 4 mai 2016 ce nouveau modèle de pneumatique, mais n'en a acheté aucun, adressant ses commandes auprès d'attributaires de rangs inférieurs. Or, il ne résulte pas de l'instruction qu'eu égard à leurs caractéristiques techniques et à leurs performances, les pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 GT EVO n'auraient pas répondu aux exigences techniques et aux besoins du lot n° 3. Dans ces conditions, l'Etat ne pouvait estimer qu'en les proposant, la société requérante se trouvait toujours dans une situation de défaillance temporaire au sens des stipulations précitées de l'article 2.2 du CCAP du lot n° 3, ce qui n'est d'ailleurs plus contesté par le ministre de l'intérieur dans son mémoire en défense d'appel.
10. En second lieu, la société requérante soutient que c'est à tort que les premiers juges ont retenu la date du 4 mai 2016 comme point de départ de la période de responsabilité contractuelle de l'Etat, engagée selon elle dès le 1er février 2016. Elle se prévaut à cet effet du délai de 15 jours prévu par l'article 9 du CCAP. Toutefois, cet article vise la substitution de produits à des produits initiaux déjà conformes aux besoins de l'administration, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Cet article était donc inapplicable. Par ailleurs en l'absence de précision sur la date à laquelle ces nouveaux pneumatiques étaient disponibles, la société Continental France se bornant à évoquer le premier trimestre 2016, les premiers juges ont retenu à juste titre la date du 4 mai 2016, date à laquelle l'Etat a accepté ce nouveau modèle de pneumatique, comme point de départ de la responsabilité de l'Etat.
11. Il résulte de ce qui précède que l'Etat doit être regardé comme ayant commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle à hauteur de la totalité des préjudices nés du constat par l'Etat à tort, d'une défaillance de la société requérante du 4 mai au 2 décembre 2016.
2. En ce qui concerne les préjudices :
Sur le manque à gagner :
12. Si le lot n° 3, du marché à bons de commande, ne prévoyait pas de quantités minimales, il résulte toutefois de l'instruction qu'au cours de l'exécution de ce lot et après le constat d'une défaillance de la société Continental France, l'Etat a effectivement acheté des pneumatiques à des attributaires de rangs inférieurs. Dans ces conditions, le préjudice dont se prévaut la société Continental ne saurait être regardé comme incertain.
13. D'une part, du 1er janvier 2015 au 3 mai 2016, il résulte de l'instruction que le besoin effectif de l'Etat au titre du lot n° 3 s'est élevé au total à 15 872 pneumatiques, déduction faite des pneumatiques achetés en remplacement de ceux inadaptés, et que la société requérante ne lui en a vendu que 5 207, tous modèles confondus. La société requérante soutient, sans être sérieusement contredite, que le prix moyen de vente de ses pneumatiques au titre du lot n° 3 s'élève à 70,66 euros HT et que son taux de marge nette est de 11,2%. Dans ces conditions et compte tenu du partage de responsabilité retenu par le tribunal et non contesté par l'Etat en appel, soit une faute de l'Etat à hauteur de 20%, il sera fait une exacte appréciation du manque à gagner indemnisable de la société requérante en lui allouant une somme de 25 121,95 euros. La condamnation indemnitaire de l'Etat à ce titre doit donc être portée de la somme de 16 880 euros allouée par le tribunal à cette dernière somme.
14. D'autre part, s'agissant de la période du 4 mai au 2 décembre 2016, alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que le besoin effectif de l'Etat en pneumatiques au titre du lot n° 3 aurait varié par rapport à la période précédente, si l'on considère une commande mensuelle moyenne de 933,65 durant sept mois moins deux jours (à raison de 31,12 pneumatiques générant 246,30 euros de marge nette par jour en moyenne), le manque à gagner indemnisable s'élève à la somme de 51 229,07 euros. La condamnation indemnitaire de l'Etat à ce titre doit donc être ramenée à cette dernière somme.
15. Il résulte de ce qui précède que le manque à gagner indemnisable de la société requérante s'élève à la somme totale de 76 351,02 euros. La condamnation indemnitaire de l'Etat doit donc être portée de la somme de 68 566 euros allouée par le tribunal à la somme de 76 351,02 euros.
Sur les frais de stockage :
16. La société requérante demande à être indemnisée des frais de stockage des pneumatiques non vendus à l'Etat au titre du lot n° 3. Toutefois, eu égard à l'importance des besoins mensuels en pneumatiques et à la brièveté des délais de livraison prévus à l'annexe 2 de l'acte d'engagement, ainsi qu'aux contraintes de production dont fait état la société requérante, il ne résulte pas de l'instruction que les frais de stockage qu'elle a effectivement exposés auraient été supérieurs à ceux qu'elle aurait nécessairement exposés en cas d'exécution régulière du marché. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à demander à être indemnisée des frais liés au stockage de ses pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 Evo et GT. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que la société requérante aurait procédé au stockage de pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 GT Evo au titre du lot n° 3.
Sur le préjudice d'image :
17. La société requérante demande à être indemnisée du préjudice d'image résultant de sa défaillance. Si l'inadéquation des pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 Evo et GT a été relayée par des organisations syndicales des forces de sécurité intérieure et a ainsi fait l'objet d'une certaine diffusion publique, cette dernière n'émane pas du ministère de l'intérieur. Au demeurant, il ne résulte pas de l'instruction et, notamment des éléments contenus dans l'article de presse spécialisée produit en première instance, que cette diffusion aurait causé un préjudice d'image à la société requérante.
18. Il résulte de tout ce qui précède que l'Etat doit être condamné à verser à la société Continental France une indemnité de 76 351,02 euros.
II. Sur le montant du préjudice subi par L'Etat :
1. En ce qui concerne la responsabilité :
19. Il résulte des points 4 à 8 du présent arrêt que la société Continental France a fourni des pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 Evo et GT inadaptés aux exigences techniques et aux besoins du lot n° 3 et que cette inadaptation est imputable à une négligence de nature à engager sa responsabilité contractuelle du 1er janvier 2015 au 3 mai 2016. En revanche, il résulte des points 9 à 11 que la société requérante n'a pas commis de faute contractuelle en proposant de fournir à l'Etat des pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 GT Evo.
2. En ce qui concerne les préjudices :
S'agissant des achats de pneumatiques inadaptés :
20. S'il résulte de l'instruction et, notamment, du courriel du 3 juillet 2015 du chef du service des achats du ministère de l'intérieur que les pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 Evo peuvent équiper d'une manière adéquate des véhicules deux roues des forces de sécurité intérieure de moindre cylindrée et ainsi être utilement réemployés par l'Etat, il n'en est pas de même des pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 GT achetés à la société requérante. L'audit réalisé par la société KPMG, produit en première instance, fait en effet apparaître 2 755 unités de pneumatiques inutilisables, achetés au prix moyen de 85,50 euros HT, soit une somme de 236 379 euros payés en pure perte à la société requérante. Eu égard au partage de responsabilité retenu par le tribunal et non contesté en appel, l'indemnité à laquelle l'Etat a droit à ce titre s'élève donc à la somme de 189 103,20 euros.
S'agissant des frais d'essais techniques :
21. Il résulte de l'instruction que les essais techniques réalisées par la société Utac Ceram à la demande et aux frais de l'Etat ont permis d'établir l'inadaptation des pneumatiques Continental Conti Road Attack 2 Evo et GT et que ces essais ont ainsi revêtu un caractère utile à la résolution du présent litige. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard au fait que l'Etat n'aurait pas dû engager ces frais si la requérante n'avait pas fourni des pneumatiques inadaptés, il y a lieu de mettre entièrement à la charge de la société Continental France ces frais, soit la somme de 12 728,40 euros.
22. Il résulte de ce qui précède que l'Etat était seulement fondé à demander que la société Continental France soit condamnée à lui verser une indemnité totale de 201 831,60 euros. Par suite, la société Continental France est fondée à demander que la somme à laquelle elle est condamnée à verser à l'Etat soit ramenée à 201 831,60 euros.
23. Il résulte de tout ce qui précède que la société Continental France est seulement fondée à demander la reformation du jugement attaqué en tant qu'il est contraire au présent arrêt et que le surplus de ses conclusions indemnitaires doit être rejeté.
Sur les conclusions de la société Continental France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
24. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme quelconque au titre des frais exposés par la société Continental France et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'indemnité due par l'Etat à la société Continental France est portée de la somme de 68 566 euros à la somme de 76 351,02 euros.
Article 2 : L'indemnité due par la société Continental France à l'Etat est ramenée à la somme de 201 831,60 euros.
Article 3 : Le jugement n° 1610563/3-1 du 25 octobre 2017 du Tribunal administratif de Paris est réformé en tant qu'il est au contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Continental France est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Continental France et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 27 mars 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 avril 2019.
Le rapporteur,
D. PAGESLe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
T. ROBERT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 17PA03928 9