Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Somagaz a demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner l'Etat à lui verser la somme de 468 857,57 euros en réparation du préjudice né de l'absence de prise en compte par le préfet de Mayotte du coût relatif à la rémunération de l'importateur grossiste lors de la fixation du prix de vente au détail de la bouteille de gaz liquéfiée de 12,5 litres pour la période de septembre 2012 à septembre 2015.
Par un jugement n° 1300566 du 16 mai 2017, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 26 juillet 2017 et 28 janvier 2019, la société Somagaz, représentée par Me B..., demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Mayotte du 16 mai 2017 ;
2°) de désigner un expert ayant notamment pour mission de se faire remettre et prendre connaissance de tous documents utiles, d'entendre les parties, ainsi que tous sachants, de décrire la nature et l'étendue du préjudice invoqué par la société Somagaz, de donner tous les éléments utiles d'appréciation sur la ou les causes du préjudice invoqué par la société Somagaz, de donner tous les éléments utiles d'appréciation sur les responsabilités encourues et le préjudice subi, de faire toutes autres constatations nécessaires, de dresser un rapport complet de ses constatations et avis, après avoir préalablement soumis aux parties un pré-rapport et leur avoir permis de formuler leurs observations sur celui-ci ;
3°) de condamner le ministre de l'économie et des finances à supporter à parts égales la mesure d'expertise ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'un défaut de motivation ;
- elle s'en remet à ses écritures de première instance s'agissant de sa demande d'indemnisation ;
- elle soulève l'exception d'illégalité des décrets n° 2012-968 du 20 août 2012 réglementant le prix du gaz de pétrole liquéfié dans le département de Mayotte et n° 2013-1316 du 27 décembre 2013 réglementant les prix des produits pétroliers ainsi que le fonctionnement des marchés de gros pour la distribution de ces produits dans le département de Mayotte sur le fondement desquels les arrêtés préfectoraux et les mesures d'application litigieuses ont été pris dès lors que ces décrets ont été pris en application des dispositions des articles L. 445-1 et suivants du code de l'énergie qui sont incompatibles avec les objectifs de la directive n° 2009/73/CE du Parlement Européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive n° 2003/55/CE.
La requête a été communiquée au ministre de l'économie et des finances, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par ordonnance du 6 décembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 28 janvier 2019 à 12h.
Par une ordonnance en date du 1er mars 2019, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, en application des dispositions de l'article R. 531-8 du code de justice administrative, a décidé d'attribuer la requête de la société Somagaz pendante devant la Cour administrative d'appel de Bordeaux à la Cour administrative d'appel de Paris.
Par courrier du 7 novembre 2019, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité du fondement de responsabilité lié à l'exception d'illégalité des décrets n° 2012-968 du 20 août 2012 et n° 2013-1316 du 27 décembre 2013 sur le fondement desquels les arrêtés préfectoraux et les " mesures d'application litigieuses " ont été pris dès lors que la faute dont se prévaut ainsi la société requérante constitue un fait générateur différent de celui invoqué au soutien de ses conclusions indemnitaires devant le tribunal et dans sa réclamation préalable, lesquelles se fondaient uniquement sur la circonstance que les arrêtés mensuels pris par le préfet de Mayotte ne prenaient pas en compte la réalité des différents coûts supportés par la société requérante ou les sous-estimaient, en particulier la rémunération de l'importateur grossiste.
Par un mémoire en réponse au moyen d'ordre public soulevé par la Cour, enregistré le 12 novembre 2019, la société Somagaz maintient ses conclusions.
Elle soutient que le moyen tiré de l'illégalité des dispositions réglementaires dont il s'agit constitue un moyen tiré du champ d'application de la loi, donc un moyen d'ordre public pouvant être soulevé à tout moment.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., avocat de la société Somagaz.
Considérant ce qui suit :
1. La société Somagaz est une filiale du groupe mauricien Ceejay gaz LTD et Total Mayotte qui sont les uniques opérateurs sur le marché du gaz à Mayotte. Elle a pour filiale la société Sigma qui importe le gaz via sa maison-mère Ceejay gaz LTD, le réceptionne, le stock et le conditionne. La société requérante, dont l'activité couvre près de 90 % des parts de ce marché, assure la distribution du gaz auprès d'un réseau de détaillants répartis sur l'ensemble du territoire. Par décret n° 2012-968 du 20 août 2012 réglementant le prix du gaz de pétrole liquéfié dans le département de Mayotte, le Premier ministre a habilité le préfet de Mayotte à réglementer par arrêté le prix maximum hors taxes des importations, avant passage en dépôt, les prix maximum des frais de passage en dépôt et d'embouteillage, toutes taxes comprises, pour les produits gaziers, la marge maximale et le prix maximum, TTC, de distribution au stade de gros et la marge maximale ainsi que le prix maximum, TTC, de distribution au stade de détail. Ainsi, ce décret prévoit notamment que les prix maxima de distribution, TTC, au stade de gros et de détail sont fixés le 1er jour de chaque mois pour tenir compte des modifications des prix HT des importations et des frais de passages en dépôt et d'embouteillage. Les conditions de définition de ces prix ont été précisées par arrêté préfectoral n° 2012-717 du 31 août 2012 portant réglementation du prix du gaz de pétrole liquéfié dans le département de Mayotte. Si le décret précité a été abrogé par le décret n° 2013-1316 du 27 décembre 2013 réglementant les prix des produits pétroliers ainsi que le fonctionnement des marchés de gros pour la distribution de ces produits dans le département de Mayotte, en revanche l'habilitation donnée au préfet de Mayotte a été maintenue. Les conditions de définition de prix ont ensuite été précisées par un arrêté interministériel du 5 février 2014 puis par arrêté préfectoral n° 2014-1720 du 15 février 2014. La société Somagaz relève appel du jugement du 16 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 468 857,57 euros en réparation du préjudice né de l'absence de prise en compte par le préfet de Mayotte du coût relatif à la rémunération de l'importateur grossiste lors de la fixation du prix de vente au détail de la bouteille de gaz liquéfiée de 12,5 litres pour la période de septembre 2012 à septembre 2015. Elle se borne dans ses conclusions d'appel à demander l'annulation de ce jugement, la désignation d'un expert, la condamnation du ministre de l'économie et des finances à supporter à parts égales les frais liés à la mesure d'expertise et la condamnation de l'État à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. La société requérante soutient après s'être prévalue de la méconnaissance des dispositions précitées du code de justice administrative et de la " jurisprudence constante [selon laquelle] un jugement ne peut être regardé comme valablement ou adéquatement motivé s'il n'expose pas suffisamment les éléments et les étapes du raisonnement du tribunal ", que la motivation du jugement est " confuse et contradictoire " et que le jugement est entaché " d'un défaut de motivation et d'une contradiction de motivation lesquels témoignent, en réalité, d'un défaut d'examen réel et sérieux de la part du tribunal administratif de Mayotte " et que " la motivation du tribunal s'avère tout à la fois énigmatique et contradictoire ". Elle doit ainsi être regardée comme soulevant l'irrégularité du jugement attaqué. D'une part, il ressort du point 2 du jugement attaqué que les premiers juges ont énoncé de façon suffisamment complète et précise les motifs pour lesquels ils ont considéré que la réalité du préjudice allégué par la société requérante s'agissant de l'absence de prise en compte par le préfet de Mayotte du coût relatif à la rémunération de l'importateur grossiste lors de la fixation du prix de vente au détail de la bouteille de gaz liquéfiée de 12,5 litres pour la période de septembre 2012 à septembre 2015 n'est pas démontrée et, d'autre part, la circonstance qu'une motivation soit confuse et contradictoire n'est pas de nature à entacher la régularité du jugement mais seulement d'affecter, le cas échéant, son bien-fondé. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de ce jugement ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Il appartient au requérant, tant en première instance qu'en appel, d'assortir ses moyens des précisions nécessaires à l'appréciation de leur bien-fondé. Il suit de là que le juge d'appel n'est pas tenu d'examiner un moyen que l'appelant se borne à déclarer reprendre en appel, sans l'assortir des précisions nécessaires.
5. Il résulte de l'instruction que la société Somagaz a déclaré devant la Cour administrative d'appel s'en remettre, aussi bien dans sa requête que dans son mémoire, à ses écritures et pièces produites en première instance en ce qui concerne sa demande d'indemnisation, sans fournir les précisions indispensables à l'appréciation du bien-fondé des moyens développés en première instance ni joindre à sa requête une copie du ou des mémoires de première instance auxquels elle se réfère. La Cour administrative d'appel n'est donc pas tenue de répondre aux moyens développés en première instance, alors qu'au surplus, ainsi qu'il a été dit, la requérante n'a saisi la Cour d'aucune conclusion expresse tendant à la condamnation de l'État.
Sur l'exception d'illégalité soulevée par la société Somagaz :
6. Il résulte de l'instruction que la société Somagaz a sollicité des premiers juges la condamnation de l'État à réparer le préjudice né de la faute qui aurait été commise par le préfet de Mayotte dans ses arrêtés mensuels successifs en s'abstenant de prendre en compte la réalité des différents coûts déterminant la fixation du prix de la bouteille de gaz GPL, en particulier la rémunération de l'importateur grossiste. Elle soulève pour la première fois en appel l'exception d'illégalité des décrets n° 2012-968 du 20 août 2012 réglementant le prix du gaz de pétrole liquéfié dans le département de Mayotte et n° 2013-1316 du 27 décembre 2013 réglementant les prix des produits pétroliers ainsi que le fonctionnement des marchés de gros pour la distribution de ces produits dans le département de Mayotte sur le fondement desquels les arrêtés préfectoraux et les " mesures d'application litigieuses " ont été pris. Elle soutient que ces décrets ont été pris en application des dispositions des articles L. 445-1 et suivants du code de l'énergie qui sont incompatibles avec les objectifs de la directive n° 2009/73/CE susvisée. Ce faisant, la société requérante invoque une faute qui constitue un fait générateur différent de celui invoqué au soutien de ses conclusions indemnitaires devant le tribunal et dans sa réclamation préalable. En conséquence, sa demande doit, en tout état de cause, être rejetée comme irrecevable parce que nouvelle en appel.
7. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que la société Somagaz n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante soit condamné à verser à la société Somagaz la somme qu'elle demande au titre des frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Somagaz est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Somagaz et au ministre de l'économie et des finances.
Copie en sera adressée au préfet de Mayotte.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 décembre 2019.
Le rapporteur,
A. A...Le président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
Y. HERBERLa République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA22488