Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Transport Prevot Robert a saisi le Tribunal administratif de la Guyane d'une demande tendant à la condamnation de la collectivité territoriale de Guyane à lui verser la somme de 555 840 euros à titre de dommages et intérêts, outre des conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1600029 du 30 mars 2017, le Tribunal administratif de la Guyane a condamné la collectivité territoriale de Guyane à verser à la société Transport Prevot Robert la somme de 397 000 euros, a mis à la charge de la même collectivité une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de la demande de la société Transport Prevot Robert.
Procédure devant la Cour:
Par une requête, enregistrée le 14 juillet 2017 au greffe de la Cour administrative d'appel de Bordeaux, un mémoire en réplique, enregistré le 4 janvier 2018, et un mémoire récapitulatif, enregistré le 29 avril 2019, la collectivité territoriale de Guyane, représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 mars 2017 du Tribunal administratif de la Guyane en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande de la société Transport Prevot Robert ;
2°) de rejeter la demande de la société Transport Prevot Robert devant le Tribunal administratif de la Guyane ;
3°) de mettre à la charge de la société Transport Prevot Robert une somme de 1 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont accordé une indemnité supplémentaire à la société Transport Prevot Robert qui ne se justifiait ni au regard des stipulations contractuelles ni au regard de la théorie de l'imprévision ;
- le quantum de l'indemnisation supplémentaire est exagéré ;
- c'est l'Etat, à qui incombe l'entretien de la route nationale, qui est responsable des préjudices de la société Transport Prevot Robert.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 septembre 2017, la société Transport Prevot Robert, représentée par Me B..., conclut à titre principal au rejet de la requête comme irrecevable, à titre subsidiaire, au rejet de la requête au fond et, par la voie de l'appel incident, à ce que la condamnation indemnitaire de la collectivité territoriale de Guyane soit portée à la somme de 555.840 euros ; elle demande, en outre, qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la collectivité territoriale de Guyane au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, la requête doit être rejetée comme irrecevable, d'une part, faute de comporter des moyens d'appel, d'autre part, car la régularisation de la requête s'agissant de la délibération autorisant le président de cette collectivité à ester en justice ne pouvait être effectuée après l'expiration du délai d'appel ;
- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par la collectivité territoriale de Guyane ne sont pas fondés ;
- elle est fondée par la voie de l'appel incident à solliciter une indemnisation supplémentaire pour porter la condamnation de la collectivité territoriale de Guyane à la somme de 555 840 euros.
Par une ordonnance du 24 juillet 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 28 septembre 2018 à 12 heures.
Par une ordonnance du 1er mars 2019, le Président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la Cour la requête de la Collectivité territoriale de Guyane.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- et les observations de Me B... pour la société Transport Prevot Robert.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte d'engagement en date du 1er juillet 2008, le département de la Guyane a confié à la société Transport Prevot Robert la réalisation de prestations de transport scolaire terrestre pour assurer la desserte d'établissements d'enseignement du département. Parmi les 16 lignes de transport confiées à cette société, trois d'entre elles traversaient la rivière de Cayenne et empruntaient le pont du Larivot sur la route nationale 1. Or, suite à de graves dégradations, le pont du Larivot a été fermé par décision du préfet de la Guyane du 26 novembre 2009 jusqu'au 15 mars 2010, entraînant l'allongement du parcours sur ces trois lignes et a également contraint la société à allonger les trajets de ses autocars venant de Cayenne pour les transports scolaires dans la zone située à l'ouest du pont. En application de l'article 2.5 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) de la convention de transport scolaire, une rémunération supplémentaire d'un montant de 174 120 euros a été versée par le département à la société Transport Prevot Robert. Mais par courrier du 27 janvier 2010, la société a réclamé une indemnisation complémentaire à hauteur de 2 euros par kilomètre pour un montant total de 555 840 euros pour prendre en compte les frais supplémentaires causés par l'allongement des itinéraires. La société Transport Prevot Robert a alors saisi le Tribunal administratif de la Guyane d'une demande tendant à la condamnation de la collectivité territoriale de Guyane, venant aux droits du département de Guyane, à lui verser la somme de 555 840 euros en réparation de son préjudice. Par un jugement du 30 mars 2017, le Tribunal administratif de la Guyane a condamné la collectivité territoriale de Guyane à verser à la société Transport Prevot Robert la somme de 397 000 euros, a mis à la charge de la même collectivité une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de la demande de la société Transport Prevot Robert. La collectivité territoriale de Guyane relève appel de ce jugement en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande de la société Transport Prevot Robert, tandis que cette dernière, par la voie de l'appel incident demande que la condamnation de la collectivité territoriale de Guyane soit portée à la somme de 555 840 euros.
Sur les fins de non recevoir opposées par la société Transport Prevot Robert :
2. Contrairement à ce que soutient la société Transport Prevot Robert, d'une part, la requête de la collectivité territoriale de Guyane comportait des moyens d'appel, d'autre part, la regularisation de la requête s'agissant de la déliberation autorisant le président de cette collectivité à ester en justice pouvait être effectuée après l'expiration du délai d'appel. Ces deux fins de non recevoir doivent donc être écartées.
Sur les conclusions de la collectivité territoriale de Guyane :
3. Il résulte de l'instruction que la fermeture du pont du Larivot a imposé à la société Transport Prevot Robert deux types de tournées, celles qui prenaient et déposaient les élèves sur la RN1 dès le début de la rive gauche de la rivière de Cayenne, et celles qui prenaient et déposaient les élèves au-delà du carrefour RD5/RN1. Les premières tournées ont été de ce fait allongées de 220 km par jour et les secondes de 160 km par jour.
4. Aux termes de l'article 2.5 du cahier des clauses techniques particulières : " En cas de modifications d'itinéraire qui ne seront pas dues au fait du transporteur, la déviation nécessaire fera l'objet de l'établissement d'un constat contradictoire entre l'Autorité organisatrice et le titulaire, fixant les caractéristiques physiques du parcours à emprunter ainsi que la date de début et de fin d'activation de la déviation. Pour toute modification de l'itinéraire n'excédant pas 10 jours, le prestataire ne pourra prétendre à aucune rémunération supplémentaire. Dans le cas d'une modification de l'itinéraire comprise entre 11 et 60 jours, le surcoût sera calculé sur la base du coût kilométrique multiplié par le nombre de kilomètres supplémentaires parcourus pendant cette période. Au-delà de 60 jours, la prestation supplémentaire fera l'objet d'un avenant ou d'un marché subséquent. ".
5. Il résulte de l'instruction que les parties n'ont pas entendu procéder à la conclusion d'un avenant ou d'un marché subséquent. En outre, le département de la Guyane n'a pas répondu à la sollicitation de la société Transport Prevot Robert visant à mettre en oeuvre la procédure de conciliation prévue par les stipulations de l'article 10 du cahier des clauses administratives particulières.
6. Par ailleurs, en vertu de l'article 4-1-3 du cahier des clauses administratives particulières, le prix des prestations est fixé pour chaque ligne par un coût journalier, calculé sur la base d'un coût par kilomètre multiplié par le nombre de kilomètres. Aux termes de l'article 4-1-1 de ce cahier : " ce forfait comprend l'ensemble des charges d'exploitation et toutes les sujétions qui leurs sont liées. " et aux termes de l'article 4-1-4 du même cahier : " Les prestations supplémentaires liées au service initial de caractère imprévisible et exceptionnel (grève, intempérie...) effectuées à la demande de l'autorité organisatrice seront payées sur la base du coût kilométrique multiplié par le nombre de kilomètres parcourus à charge". Il résulte de l'instruction que le département de la Guyane a réglé, sur le fondement des stipulations citées ci-dessus, à la société Transport Prévot Robert, les frais de kilométrage supplémentaire à hauteur de 174 120 euros au titre du transport " en charge " des seules trois lignes directement affectées par la fermeture du pont.
7. La société Transport Prevot Robert a sollicité du Tribunal administratif de la Guyane une indemnisation supplémentaire en estimant qu'elle devait être indemnisée également des kilomètres supplémentaires " à vide " et ce pour toutes les lignes impactées par la déviation. D'une part, faute d'accord entre les parties, il y a lieu, comme l'a fait le tribunal de s'inspirer des modalités d'indemnisation qu'elles avaient prévues à l'article 2.5 cité au point 4 du cahier des clauses administratives particulières. D'autre part, eu égard à la situation géographique du pont et au nombre de déplacements à organiser à l'intérieur d'un périmètre situé au-delà de celui-ci, la société Transport Prevot Robert a été contrainte d'allonger les déplacements de ses autocars venant de Cayenne pour les transports scolaires dans la zone située à l'ouest du pont. Dans ces conditions, elle est fondée à demander une rémunération supplémentaire pour les 5 720 kms journaliers supplémentaires à effectuer induits par cette fermeture. Il ne résulte pas de l'instruction, que la société Transport Prevot Robert ait exagérément évalué le coût kilométrique en l'estimant à deux euros dès lors que les documents contractuels prévoient un coût kilométrique dans les conditions normales d'exploitation autour de 4 euros. Par suite, le tribunal a fait une juste appréciation des frais supplémentaires nécessités par l'allongement des itinéraires résultant de la fermeture du pont de Larivot entre le 26 novembre 2009 et le 15 mars 2010 en condamnant la collectivité territoriale de Guyane à verser à la société Transport Prevot Robert la somme de 397 000 euros correspondant à un kilométrage supplémentaire quotidien de 5 720 km auquel il a appliqué un coût kilométrique de 2 euros pendant 60 jours de trafic effectif et a retranché les 10 jours de carence prévues par les stipulations du contrat citées au point 4, ainsi que les 174 120 euros déjà versés par la collectivité territoriale de Guyane. Si cette dernière se prévaut de ce que les indemnisations supplémentaires représenteraient 80% du prix du marché, cette seule circonstance ne saurait en elle-même remettre en cause le calcul de l'indemnité d'imprévision alors d'ailleurs que son objet même est la compensation d'un bouleversement temporaire du contrat. Enfin, la circonstance que ce bouleversement trouve son origine dans le défaut d'entretien d'une route nationale incombant à l'Etat est sans incidence, la collectivité territoriale de Guyane pouvant seulement le cas échéant si elle s'y croit recevable et fondée engager une action contre l'Etat.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la collectivité territoriale de Guyane n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Guyane a partiellement fait droit à la demande de la société Transport Prevot Robert.
Sur les conclusions incidentes de la société Transport Prevot Robert :
9. Si la société Transport Prevot Robert sollicite par la voie de l'appel incident une indemnisation supplémentaire pour porter la condamnation indemnitaire de la collectivité territoriale de Guyane à la somme de 555.840 euros, c'est toutefois à juste titre que les premiers juges ont retranché de la somme réclamée, d'une part, une somme correspondant aux 10 jours de carence prévues par les stipulations du contrat, d'autre part, la somme de 174 120 euros déjà versée par la collectivité territoriale de Guyane. Les conclusions incidentes de la société Transport Prevot Robert doivent donc être rejetées.
Sur les conclusions des parties tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Les dispositions visées ci-dessus font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Transport Prevot Robert, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante à titre principal, la somme demandée par la collectivité territoriale de Guyane au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la collectivité territoriale de Guyane à verser à la société Transport Prevot Robert une somme de 1 500 euros au même titre.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la collectivité territoriale de Guyane est rejetée.
Article 2 : Les conclusions incidentes de la société Transport Prevot Robert sont rejetées.
Article 3 : La collectivité territoriale de Guyane versera une somme de 1 500 euros à la société Transport Prevot Robert au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4: Le présent arrêt sera notifié à la collectivité territoriale de Guyane et à la société Transport Prevot Robert.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. D..., president-assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 10 décembre 2019.
Le rapporteur,
D. PAGES
Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au préfet de la Guyane en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA22236