Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Equipements et métiers de la défense (EMD) a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler le lot n° 3 intitulé " trousse sauvetage intervention gendarmerie niveau 1 " de l'accord-cadre portant sur la fourniture de matériels de secourisme au profit de la police nationale, de la gendarmerie nationale, de la sécurité civile et de la préfecture de police de Paris, attribué à la société CIR Médical le 23 décembre 2015.
Par un jugement n° 1602743/3-2 du 26 avril 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 7 juin 2017, la société Equipements et métiers de la défense (EMD), représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 26 avril 2017 ;
2°) d'annuler le lot n° 3 intitulé " trousse sauvetage intervention gendarmerie niveau 1 " de l'accord-cadre mentionné ci-dessus ;
3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction judiciaire compétente sur la question de l'existence et de l'étendue du droit d'exclusivité dont elle bénéficie ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société CIR Médical le versement de la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son offre a été rejetée à tort comme irrégulière ;
- cette offre aurait dû être classée en première position ;
- le pouvoir adjudicateur aurait dû lui demander de compléter son dossier de candidature comme le prévoient l'article 58 du code des marchés publics et l'article XII.1 du règlement de la consultation, avant de rejeter son offre ; en s'en abstenant, il a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ;
- elle est recevable à agir, non seulement en qualité de concurrent évincé, mais encore en tant que tiers au contrat ; le tribunal ne pouvait donc écarter comme inopérante l'argumentation qu'elle avait tirée de son droit d'exclusivité pour la distribution du garrot tourniquet de marque SOF Tactical ;
- l'offre retenue est irrégulière en ce que la société CIR Médical n'est pas en mesure de fournir le garrot tourniquet de marque SOF Tactical, puisque la société EMD dispose de l'exclusivité pour la distribution de ce produit ; à défaut de l'avoir sollicitée à cette fin, la société CIR Médical ne peut pas non plus fournir le certificat de garantie sur ce même produit, pourtant prévu par le règlement de la consultation et par le cahier des clauses techniques particulières ; elle ne peut fournir que du matériel de contrefaçon ;
- la société CIR Médical a obtenu le marché en fraude en affirmant lors de la mise au point disposer des droits sur le garrot, ce qui a constitué une manoeuvre dolosive et a vicié le consentement du pouvoir adjudicateur ;
- en cas de doute sur son droit d'exclusivité, la Cour pourrait saisir le juge judiciaire d'une question préjudicielle.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 6 décembre 2017 et le 15 juillet 2018, la société CIR Médical, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société EMD le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le moyen tiré du caractère prétendument irrégulier de son offre est inopérant ;
- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que
- les moyens de la requête sont, compte tenu du caractère irrégulier de l'offre de la société EMD, inopérants ;
- ces moyens ne sont pas fondés ;
- la société EMD n'est pas recevable à agir, non en qualité de concurrent évincé, mais en tant que tiers au contrat ;
- les moyens tirés d'un acte de concurrence déloyale et de l'atteinte aux droits protégés par un brevet échappent à la compétence de la juridiction administrative.
Par un nouveau mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2018, le ministre de l'intérieur conclut à titre principal au non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête, et à titre subsidiaire au rejet de la requête.
Il soutient que le marché en litige a été résilié en juillet 2018.
Par deux mémoires en réplique, enregistrés le 22 juin 2018 et le 18 juin 2019, la société EMD, conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens. Elle demande en outre à la Cour, à titre subsidiaire, de mettre en oeuvre tout moyen d'investigation de nature à déterminer la provenance des garrots distribués par la société CIR Médical en exécution de l'accord-cadre.
Elle soutient en outre que :
- la résiliation du marché démontre le bien-fondé des moyens qu'elle avait soulevés ;
- la procédure choisie pour l'attribution du marché était inadaptée ; l'existence de ses droits exclusifs aurait dû conduire le ministre à opter pour une procédure sans publicité ni mise en concurrence ;
- l'attribution du marché en méconnaissance de son droit d'exclusivité et la manoeuvre délibérée de la société CIR Médical qui a affirmé lors de la mise au point disposer des droits sur le garrot, afin de tromper le pouvoir adjudicateur, ont constitué des vices d'une particulière gravité justifiant l'annulation du marché.
Par un nouveau mémoire en défense, enregistré le 16 juillet 2019, le ministre de l'intérieur conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire.
Il soutient en outre que les nouveaux moyens invoqués par la société EMD ne sont pas fondés.
Par un nouveau mémoire en réplique, enregistré le 2 août 2019, la société EMD conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.
Elle produit en outre le procès-verbal de constat d'huissier établi à la demande de la société américaine Tactical Medical Solutions le 15 novembre 2018 sur la composition des deux trousses de secours fournies en tant qu'échantillon par la société CIR Médical.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- les observations de Me D... pour la société EMD,
- les observations de Me C... pour la société CIR,
- et les observations de M. B... pour le ministre de l'intérieur.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que le service de l'achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI) du ministère de l'intérieur a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de la passation d'un accord-cadre relatif à la fourniture de matériel de secourisme. Ce marché était divisé en cinq lots, dont le lot n° 3 intitulé " trousse sauvetage intervention gendarmerie niveau 1 " pour lequel la société Equipements et métiers de la défense (EMD) a fait acte de candidature. Par courrier électronique du 23 septembre 2015, le pouvoir adjudicateur a rejeté l'offre de la société EMD en raison de son irrégularité, et l'a informée de ce que ce lot était attribué à la société CIR Médical. Par ordonnance du 21 octobre 2015, le juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société EMD tendant à l'annulation de cette décision. Par un jugement du 26 avril 2017, le même tribunal administratif a rejeté la demande de la société EMD tendant à l'annulation du lot n°3. La société EMD fait appel de ce jugement.
2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction. Au titre de tels manquements, le concurrent évincé peut contester la décision par laquelle son offre a été écartée comme irrégulière. Un candidat dont l'offre a été à bon droit écartée comme irrégulière ou inacceptable ne saurait en revanche soulever un moyen critiquant l'appréciation des autres offres. Il ne saurait notamment soutenir que ces offres auraient dû être écartées comme irrégulières ou inacceptables, un tel manquement n'étant pas en rapport direct avec son éviction et n'étant pas, en lui-même, de ceux que le juge devrait relever d'office.
Sur les conclusions du ministre de l'intérieur à fin de non-lieu à statuer :
3. Contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, la circonstance que le marché en litige a été résilié en juillet 2018, n'est pas de nature à priver d'objet la demande de la société EMD tendant à son annulation.
Sur les conclusions de la société EMD :
4. En premier lieu, pour estimer que l'offre présentée par la société EMD était irrégulière et que le pouvoir adjudicateur était tenu de la rejeter, le tribunal administratif s'est fondé sur le III de l'article 53 du code des marchés publics, alors en vigueur, aux termes duquel : " Les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées (...) ", et sur le règlement de la consultation précisant, en son article I, que : " les matériels doivent être conformes en tout point au cahier des clauses techniques ", et imposant, en son article IX.2, que les offres comprennent " l'ensemble des documents demandés dans les spécifications techniques ". Le tribunal administratif a également relevé que l'article 1.3, intitulé " documents obligatoires ", du cahier des clauses techniques particulières applicable au lot n° 3, prévoyait que chacune des deux trousses composant le lot devait être accompagnée lors de sa livraison d'une notice d'emploi rédigée en langue française, comprenant notamment les consignes d'élimination en fin de vie des matériels, et que la notice d'emploi fournie par la société EMD mentionnait, s'agissant du garrot tourniquet SOF Tactical et du pansement OLAES 4, qu'ils étaient " à usage unique ". Le tribunal a refusé de regarder cette mention comme équivalant aux consignes d'élimination en fin de vie de ces matériels, exigées par le CCTP, et a estimé par ailleurs que la mention portée sur le sac de déchet de soins " à éliminer dans les centres de traitement agréés " ne pouvait pallier la carence de la notice d'emploi. Il a enfin jugé que le pouvoir adjudicateur ne pouvait demander à la société EMD de compléter son offre. La société EMD ne fait valoir devant la Cour aucun élément nouveau de nature à remettre en cause le bien-fondé de ces motifs qu'il y a lieu d'adopter.
5. En deuxième lieu, si la société EMD dont l'offre a été rejetée à bon droit comme irrégulière, entend soutenir qu'elle aurait disposé de l'exclusivité de la distribution du garrot tourniquet de marque SOF Tactical, exigé par les spécifications techniques du marché, que l'offre de la société CIR Médical, attributaire du marché, était de ce fait irrégulière et inacceptable, et que le contenu du contrat litigieux était lui-même entaché d'un vice en conséquence, il résulte de ce qui a été dit au point 2 qu'elle ne peut soulever un tel moyen, que si le vice ainsi allégué, sans rapport direct avec son éviction ou l'intérêt lésé dont elle se prévaut, est d'ordre public, c'est-à-dire si le contenu du contrat est illicite. Le contenu d'un contrat ne présente un caractère illicite que si l'objet même du contrat, tel qu'il a été formulé par la personne publique contractante pour lancer la procédure de passation du contrat ou tel qu'il résulte des stipulations convenues entre les parties qui doivent être regardées comme le définissant, est, en lui-même, contraire à la loi, de sorte qu'en s'engageant pour un tel objet, le cocontractant de la personne publique la méconnaît nécessairement. En invoquant son exclusivité dans la distribution du garrot mentionné ci-dessus, la société EMD ne fait, en tout état de cause, état d'aucun élément de nature à démontrer l'illicéité du marché en litige.
6. En troisième lieu, si la société EMD soutient que son offre aurait du être classée en première position, que le marché a été résilié au mois de juillet 2018 et que la procédure choisie pour l'attribution du marché était inadaptée, les manquements ainsi invoqués qui ne sont pas d'ordre public, sont sans rapport direct avec son éviction. Ces moyens sont dès lors inopérants et ne peuvent qu'être écartés.
7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de saisir le juge judiciaire d'une question préjudicielle, la société EMD n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat et de la société CIR Médical, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement de la somme que la société EMD demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société EMD une somme de
1 500 euros au titre des frais exposés par la société CIR Médical et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société EMD est rejetée.
Article 2 : La société EMD versera à la société CIR Médical une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Equipements et métiers de la défense, à la société CIR Médical et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. A..., président-assesseur,
- Mme Labetoulle, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 février 2020.
Le rapporteur,
J-C. A...Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
A-L. CHICHKOVSKY PASSUELLO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA01931